Identités nationales : Drancy, Hamida
Samedi 7 novembre 2009
Le week-end dernier, j’ai lu le livre de Didier Epelbaum, Obéir, qui m’a brutalement ramené à Drancy et au procès intenté par mon père et mon oncle contre l’Etat et la Sncf. Et puis, mardi 3, je suis allé à l’enterrement d’Hamida Ben Sadia, admirable amie emportée par un cancer foudroyant. Un très grand moment, hélas bien involontaire, de réponse à Besson et à son opération de diversion sur « l’identité française ». Cela m’a remémoré un incident occulté de ma campagne à Poissy. Un jour une dame bien mise, à qui je tends un tract sur le marché, le repousse indignée : « Non, pas vous, Monsieur… Li-pète ! » Je comprends instantanément. Une camarade m’interroge du regard, effarée. Je hausse les épaules et murmure : « Anti-sémitisme ». La dame reprend : « C’est ça ! Moi, mon père est mort à Buchenwald ». Sous-entendu : dans un camp de résistants. Pas comme ces juifs qui en sont revenus et dont les enfants exigent une indemnisation de l’Etat français, pour les dommages subis par leurs parents… Cette opposition « Juifs / résistants » (mais aussi Lipietz/Sncf), je sais que les partisans de l’UMP Douillet en jouent à fond contre moi dans leur propagande verbale. Je suis obligé de « former » nos partisans sur le procès Georges Lipietz. Rappeler que ce n’est pas moi mais nos parents (les victimes) qui étaient plaignants et sont indemnisés, que si l’action judiciaire était « contre Etat et Sncf », c’est que la Sncf, contrairement à la gendarmerie, ne faisait pas partie de l’Etat, que le fait d’avoir à ouvrir un chapitre Sncf (celle-ci ayant fait appel du jugement de Toulouse la condamnant) nous a appris beaucoup de choses et fait réfléchir sur les méga-outils au service de la Shoah. Du coup, j’en avais oublié les gendarmes de Drancy. DrancySitôt que mes activités m’ont laissé un moment, j’ai donc dévoré le livre Obéir. Les déshonneurs du capitaine Vieux. Drancy 1941-1944 Un livre consacré par Didier Epelbaum au camp de Drancy, où ma famille paternelle avait été internée pendant plusieurs semaines, avant d’être libérée par l’insurrection parisienne à la veille de sa déportation pour les camps d’extermination. Lecture indispensable ! Le livre réfléchit particulièrement à ce qui a pu faire du capitaine des gendarmes français qui assuraient la garde de Drancy une sorte de monstre nazi. Epelbaum montre qu’il n’y avait rien là de fatal. À Drancy, il y eut de bons capitaines et de mauvais capitaines , une bonne et une mauvaise brigade, et, comme à la Sncf Léon Bronchard, Drancy compte aussi un gendarme « Juste parmi les Nations », Camille Mathieu. Dans son introduction, Pour un « surtout », l’auteur affirme que, ce qui lui a inspiré ce livre, c’est l’image terrible de mon père à la télévision, évoquant dans le camp de Drancy l’attitude inhumaine d’un gendarme français pointant son mousqueton sur un petit enfant, et le texte du faire-part de son décès, que Papa avait lui-même rédigé : « Miraculeusement rescapé des griffes des gangsters SS, il n’a jamais oublié les centaines de petits enfants qu’il a vu partir vers une mort atroce. Il n’a jamais pardonné à leurs bourreaux nazis, ni surtout à leurs ignobles complices de Vichy dont le zèle a permis l’accomplissement de tels forfaits ». Pour moi, paradoxalement, découvrir Drancy fut une nouveauté. Lors de l’action intentée par mes parents contre l’Etat et le SNCF, ces deux personnalité juridiques (que seul le statut commercial de la SNCF avait conduit la justice à distinguer) étaient à leurs yeux sur le même plan. Mais, alors que l’Etat, après le jugement de Toulouse (qui indemnisait chaque déporté de 15000 euros, 2/3 à la charge de l’Etat, 1/3 à la charge de la Sncf), se reconnut « coupable et responsable », la SNCF fit appel. Je constatai rapidement qu’une bonne partie de la presse et de l’opinion publique lui donnaient raison. Comme je m’en ouvrais avec étonnement à Serge Cwajgenbaum (Sec. Gén. du Congrès juif européen), il me répondit « Cher Monsieur, vous savez bien qu’en France la Sncf est la Maman et l’Etat est la Putain ». L’argument explicite était : « Les cheminots ont résisté ». Certes, répondais-je, mais c’est la hiérarchie qui est condamnée, elle qui fut collabo ET souvent antisémite (Fournier, le PDG de la SNCF, fut pour commencer le patron du SCAP, ancêtre du Commissariat Général aux Questions Juives). Tout le monde considérait que la condamnation de l’Etat (une première judiciaire pourtant) enfonçait une porte ouverte. Ce qui m’agaçait aussi (moi, haut fonctionnaire !), c’est que l’opinion semblait considérer a contrario qu’il n’y avait pas de résistant ni de Juste parmi les fonctionnaires, policiers, gendarmes, préfectorale. Or toute famille d’origine juive a son lot d’anecdotes sur les policiers venant prévenir la nuit d’une arrestation prévue pour le matin… J’ai donc passé des années à travailler sur la Sncf, sans me préoccuper de l’autre volet, les gendarmes de Drancy. Le livre d’Epelbaum m’a permis de contextualiser quelques récits de mon père, notamment l’organisation du camp sous Aloïs Brunner, et le cas des « piqueurs », ces juifs qui extorquaient des nouveaux prisonniers l’adresse de leurs parents restés cachés, et la nuit partaient les faire arrêter par la Gestapo. Mon père était chargé, par l’administration juive du camp, de mettre en garde les nouveaux internés contre ces personnages. Et surtout j’ai enfin pu, grâce à ce livre, découvrir « les gendarmes ». Je dois dire que je suis plus honteux que jamais d’être Français. Certains gendarmes ici décrits sont de la même boue que les supplétifs ukrainiens ou baltes d’Auschwitz ou du Front Est. C’est un scandale qu’on retrouve constamment dans la bouche des témoins, de ces immigrants polonais comme mon père comme de ces « nés en France » (comme mon oncle, ici) : « Que des Français aient fait ça ! » Voilà, je viens d’écrire une chose horriblement raciste anti-Ukrainiens et horriblement franchouillarde. C’est ma contribution au débat national de M. Besson : la France est le dernier pays dont on aurait attendu « ça », et qui l’a fait quand même. Surtout, l’analyse par Epelbaum de la défense des gendarmes au procès de Drancy (après la Libération) et du réquisitoire du rapporteur Cessac m’a remis exactement dans l’ambiance des débats Sncf. Et je me suis rendu compte que l’argument de la « Convention d’armistice » invoquée par celle-ci s’appliquait et se réfutait exactement de la même manière pour l’Etat que pour la Sncf , et que tout le monde, même moi, l’avait oublié ! Nous étions sans doute tellement contents que l’Etat n’ait pas fait appel… Epelbaum analyse longuement ce qui a pu pousser certains gendarmes à se comporter en nazis, l’argument de l’obéissance ne tenant pas (puisque d’autres se sont comportés différemment). J’ajouterais pour ma part un mobile possible dans l’inhumanité de certains gendarmes – car c’est la motivation qui explique le mieux ce qui pour moi reste mystérieux : le cas de ceux que l’auteur appelle les « ambivalents », qui sont horribles 9 fois sur 10 mais pas la dixième. Ce mobile, c’est tout simplement le plaisir d’écraser son semblable, en particulier s’il est socialement au-dessus de vous, quand un pouvoir discrétionnaire vous en donne l’occasion. Un tel mobile ne présuppose aucun racisme particulier, même si l’inhibition tombe avec le racisme. Le traitement inhumain imposé aux sans-papiers et autres demandeurs d’asile par les « petits » fonctionnaires d’aujourd’hui est typique de cette tendance, surtout quand elle est encouragée du sommet de l’Etat, par les Sarkozy et les Besson, puisqu’il permet à un « petit » de montrer sa puissance. Il lui permet de temps en temps de manifester aussi sa magnanimité, sa « libéralité ». Surtout quand celui qui en bénéficie est un « grand » : le fonctionnaire trouve à lui rendre service le même plaisir qu’il aurait eu à l’humilier. HamidaMardi 3, c’était l’enterrement de Hamida Ben Sadia, emportée en quelques mois par un cancer détecté alors qu’il était déjà généralisé. Dans la grande salle de Malakoff, cérémonie en son honneur : une série de témoignages, ouverte par un discours de la maire communiste, et entrecoupée de lectures de son livre, Itinéraire d’une femme française. Impossible de ne pas penser à l’enterrement de Francine, à laquelle elle ressemblait par tant d’aspects, morte il y a exactement un an, mais après six ans de combat contre la même maladie. La maladie des femmes généreuses, celles qui « prennent sur elles », qui n’extériorisent pas leurs blessures. L’histoire terrible d’Hamida, née en France, mariée de force « au pays », s’échappant d’Algérie après y avoir rencontré le FFS d’Aït Ahmed, se battant pour récupérer ses enfants, vous la connaissez, ou alors lisez le livre de toute urgence. C’est le plus subtile plaidoyer contre le simplisme islamophobe. J’avais découvert Hamida quand, juste à son retour, merveilleusement belle, elle était venue aux journées d’été des Verts, nous parler de ces chômeurs qui « allaient brûler, 9 mois, dans les maquis islamistes avant d’être tués ». Hamida, et d’autres franco-algériennes comme Fifi Benaboud, comme les liens de certains d’entre nous avec le FFS, nous ont sans doute évité de soutenir les « éradicateurs démocrates », comme, plus tard, elle nous a aidé à éviter de soutenir la loi anti-voile de Sarkozy. Hamida, ne séparant jamais féminisme et anti-racisme, fut une animatrice du collectif « Une école pour toutes et tous ». Dans son discours lu à la cérémonie, Aït Ahmed dit que Hamida sut transformer ses blessures « infligées par les traditions nationales et familiales de l’Algérie, terre de toutes les trahisons », en force d’amour envers son pays d’origine et son pays d’accueil. Moi je pense, quand même, que cette patiente générosité, que d’avoir ainsi « pris sur elle » au lieu de crier simplement sa révolte, n’est pas étranger à son cancer. Comme disaient Alima, Nabila et Françoise au cimetière, elle n’aura pas eu le temps d’être heureuse. Nous, Verts, n’avons pas trouvé les moyens de l’associer à nos luttes. Je lui avais proposé en 2002, en 2004, de venir sur nos listes, elle avait préféré le PCF. En 2008, selon un message de Dany transmis par Gilles Lemaire très ému, elle avait envisagé d’être sur la liste Europe-Écologie, et Dany avait mieux compris en discutant avec elle les raisons des partisans du Non en 2005. Mais elle n’en dit pas un mot dans son livre, qui s’achève par le renoncement à la politique de « pouvoir » et l’adhésion à la Ligue des droits de l’Homme, « pour les Droits, rien que les Droits, tous les Droits » Une Française à la trajectoire pas si atypique que ça : notre France à nous, les « secondes générations », nés en France de parents nés ailleurs. Et alors, « l’identité française » ? Les Droits de l’Homme, en sachant qu’il faut se battre pour eux, contre la France parfois. Une magnifique réponse à Besson.
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