Semaine de déceptions. Climat, SNCF, Villiers-le-bel.
Jeudi 29 novembre 2007
Ce devait être une grande semaine : le changement climatique, la visite au cancérologue après la dernière chimiothérapie de Francine, les conclusions du Commissaire du gouvernement au Conseil d’Etat sur l’appel interjeté par la SNCF à propos du procès de mon père et de mon oncle, etc… La chimio a vraiment marché, c’est-à-dire que toutes les métastases de la pauvre Francine sont bien réduites ou bloquées… mais n’ont pas toutes disparu, et elle est maintenant très faible. Bon, on va attendre. ClimatEn commission Internationale, nous étions arrivés à un vote quasi unanime, intégrant toutes les propositions des commissions Environnement et Transport. Les shadow-rapporteurs socialistes (David Martin), PPE (Papastamkos) et libéraux avaient été extrêmement coopératifs. Mon rapport se trouvait ainsi considérablement gonflé de phrases un peu répétitives, mais qui toutes en amélioraient la portée. D’où mon communiqué extrêmement optimiste, publié à la veille du vote en plénière, énumérant quelques unes de ses nombreuses perles. Le mercredi soir, à 23h, a lieu le débat à propos du vote du lendemain 11h. Et là, catastrophe : le rapporteur du PPE m’annonce qu’il a été désavoué par son groupe qui ne veut absolument pas d’une phrase (issue de la commission Environnement) critiquant le modèle productiviste (une phrase qu’on doit pourtant trouver des centaines de fois dans les résolutions de l’Onu). Et surtout, le PPE ne veut pas de l’idée, pourtant formulée avec d’infinies précautions, que dans le cas où il n’y aurait pas d’accord international post Kyoto, l’Union européenne appliquerait des taxes compensatrices à la frontière, conformément à l’article 20 du GATT. Non seulement ils feront des votes pour les supprimer (« split votes »), mais ils ont décidé de voter contre l’ensemble du rapport si ces deux phrases passent ! Avec David Martin, nous faisons le point. Il existe un amendement de l’UEN (groupe souverainiste) qui dit simplement que ne pas participer au protocole sur le changement climatique peut être considéré comme du dumping écologique (ce qui implique la possibilité d’avoir recours à cet article, mais ne le dit pas explicitement). Je convaincs David Martin, réticent à l’idée de voter pour un amendement UEN, de demander à son groupe de voter pour, à tout hasard et ne serait-ce que pour s’assurer les bonnes dispositions de l’UEN. Nous tombons d’accord que, dans ces conditions, et sachant qu’une partie du PS votera contre la taxe d’ajustement à la frontière, le rapport doit l’emporter d’une légère majorité. Le lendemain matin, au moment où les votes commencent, j’apprends que le PS s’aligne totalement sur le PPE afin d’obtenir le vote du rapport amputé ! Je fais connaître au PS mon intention, dans ces conditions, d’appeler les Verts à voter contre, et de retirer mon nom du rapport. Un peu affolé-e-s, certain-e-s du PS, y compris des plus libres-échangistes, viennent m’assurer qu’on revotera ça séparément une autre fois (et pourquoi donc ?). Je leur fais observer qu’il est très grave d’augmenter les engagements climatiques de l’Union européenne sans la protéger de la concurrence faussée des pays qui ne respectaient pas la Convention pour la défense du climat. Je n’oserai plus me présenter devant des travailleurs dont l’usine aura été délocalisée à cause de ça. La tension monte pendant tout le vote. La phrase anti-productiviste tombe par opposition du PPE et abstention du PS, mais ce n’est pas bien grave. La border tax tombe de la même façon. J’apprendrai dans le train du retour qu’il y a quand même eu des PPE et des PSE pour sauver l’honneur, c’est pourquoi d’ailleurs nous n’avions pas demandé de vote nominal afin de les laisser plus libres. Beaucoup de Verts autour de moi me font observer qu’il serait dommage de perdre tous les acquis de ce rapport, mais je tiens bon (j’explique pourquoi un peu plus loin). Finalement arrive l ‘amendement de l’UEN qui lui est adopté. Ouf… Le rapport, bien qu’édenté, est un peu moins dangereux. J’appelle donc à le voter, mais publie dès la sortie un communiqué indigné. Ce vote était en effet le dernier avant la Conférence de Bali, le dernier signal que l’Union européenne envoyait à ses partenaires et concurrents. Il était à mes yeux hors de question qu’on se montre totalement aventureux dans le débat contre le changement climatique sans annoncer à l’avance que l’on se protégerait contre les pays qui ne joueraient pas le jeu après 2012, comme les États-Unis actuellement. Ça commence à bien faire, le petit jeu par lequel les grands groupes votent des proclamations écologiques généreuses, mais qui aboutiraient, si elles étaient appliquées, à la délocalisation totale de l’industrie lourde vers le Tiers monde ou vers les pays « hors Kyoto »… Déjà, c’est la tendance lourde pour le ciment dont, en Europe, la moitié du prix de la tonne représente le prix du quota de gaz à effet de serre nécessaire pour la produire. Les cimentiers à qui j’ai parlé ont été formels : « Si l’Union européenne resserre les contraintes climatiques sur notre industrie, on déménagera tous au Maroc ou en Amérique latine pour alimenter l’Europe ». Si l’Europe s’engage toute seule et sans protection pour 2020 sur –30% d’émissions (par rapport à 1990), il ne restera plus d’industrie lourde en Europe. Bilan des courses : des centaines de milliers d’emplois détruits en Europe, et beaucoup plus de gaz carbonique produit au total… « Tout ça à cause des écolos ». Les écologistes doivent être intraitables là-dessus, il n’est pas question qu’on puisse dire un instant qu’ils défendent la planète en sacrifiant l’emploi, alors qu’il est extrêmement simple et totalement autorisé de réguler le libre-échange pour éviter ces effets pervers… SNCFOn se souvient que la SNCF avait gagné devant la Cour d’appel des tribunaux administratifs de Bordeaux. Le jugement de Bordeaux se permettait en outre d’énoncer des contre-vérités historiques, comme quoi la SNCF aurait encore obéi, en 1944, à la convention d’Armistice de 1940, alors qu’au moins deux autres conventions, commerciales la concernant avaient été passées dans les années suivantes, plus une quatrième, la « convention de l’espèce » (sur le transport des juifs), au nom de quoi la SNCF demandait encore à la France libre de régler les factures de la déportation… Nous étions donc à peu près assurés que le Conseil d’État ne suivrait pas la CAA de Bordeaux. Au moins sur le point du caractère de « service public administratif » de la SNCF, qui grillageait et plombait des wagons de transportés qui n’étaient pas ses clients, les privait d’eau - contrairement aux recommandations de Bousquet - pour ne pas ralentir les trains, etc. Eh bien si. Mercredi, c’est exactement ce qu’a de nouveau plaidé la Commissaire du gouvernement au Conseil d’État, quoique – lot de consolation ? – son discours ait été beaucoup plus critique envers l’inhumanité et le cynisme de la SNCF de l’époque. La SNCF n’est pas, n’était pas un service public, elle ne relève pas des tribunaux administratifs, point. Naturellement, les conclusions de la Commissaire du gouvernement ne sont pas toujours suivies par la Cour. On verra dans quelques semaines. Mais si, par un extraordinaire malheur, le Conseil d’État devait s’en tenir à cette position, cela serait d’abord une véritable révolution dans la définition française du service public, et en particulier du service public administratif. Surtout, ce serait reconnaître qu’en 1944, la SNCF n’était en rien un appareil d’État : elle a déporté, assoiffé, martyrisé les juifs seulement pour de l’argent. Or, c’est de cette appartenance à l’État que se prévaut la SNCF dans le procès analogue que lui intentent les juifs réfugiés à New York. En effet, aux États-Unis, on ne peut pas juger un appareil d’État étranger. Si donc, le Conseil d’État donne raison à la SNCF, son argument à New York s’écroule, et ipso facto, tous les procès contre la SNCF seront délocalisés à New York, devenu le centre et lieu du jugement des crimes de l’État français et de ses appareils pendant les années noires. Quand on songe que, selon un vote récent du Parlement européen, les dommages aux personnes, jugés au civil, sont imprescriptibles quand ils résultent de mauvais traitements et actes de barbarie, on imagine le scandale international qui pourrait retomber sur la justice française et même européenne ! Villiers-le-BelMercredi soir, je suis cloué au Parlement en attendant le débat « climat », et j’en profite pour prendre un pot avec l’ambassadeur de Bolivie. On fait le point sur les négociations qui doivent se dérouler les deux premières semaines de décembre pour l’accord CAN – UE et la participation des Boliviens. Il me fait remarquer, à propos des incidents de Villiers-le-Bel : « C’est la première fois que les gens tirent sur la police, depuis les barricades du 19e siècle, non ? » Il a raison. Cela fait plus de 20 ans que j’explique dans mes livres comment, avant le néo-libéralisme, la société française se tiers-mondise, se sud-américanise. Cela par la dégradation de ses quartiers, cela se sent à sa télévision, jusqu’au type de président que la France élit dorénavant (mélange de Menem et de Collor de Mello)… Surtout, on en voit la trace dans la haine de plus en plus irréductible entre une large partie de la population et la police. Mais là, c’est un élément nouveau. Dans un accident, une voiture de police tue deux gosses, c’est l’émeute. Jusque là, rien de nouveau. Mais là, on tire sur les policiers et c’est nouveau. Et ça rappelle Rio et Sao Paulo. La différence, il faut quand même le reconnaître, c’est que, comme l’a remarqué Sarkozy lui-même, 82 policiers se sont retrouvés à l’hôpital, tous étaient armés et aucun n’a tiré. Ça, ce n’est pas Rio. Cette tension entre population et police ne frappe pas que les jeunes. Les Français de toutes les classes sociales ont maintenant l’impression que la police se croit tout permis. Un exemple personnel : il y a un an, près de Briançon, je suis arrêté pour « ceinture de sécurité non bouclée » (il n’était pas contesté que je portais ma ceinture, mais qu’elle n’aurait pas été bouclée, comme si les gendarmes pouvaient le voir…) Or ma ceinture était bouclée. Je conteste donc la contravention, j’écris au juge de « proximité », qui me convoque (à Briançon…). Je me fends de 4 pages d’explications. Un an après, celui-ci me condamne en affirmant que les faits sont « bien établis »... Si vous prenez des taxis, interrogez les chauffeurs, ils vous raconteront cent anecdotes du même genre. Ce n’est pas que nos policiers soient devenus vicieux ou pervers. Simplement, maintenant ils sont notés à l’infraction, doivent faire du chiffre, et donc font condamner des faux contrevenants à tort et à travers. Ils n’en sont pas encore (comme en Amérique latine) à demander de l’argent pour éviter la contravention, mais cette logique (où leur salaire dépend du nombre d’infractions non pas évitées, ce qui est quand même leur fonction, mais constatées, ce qui est le monde à l’envers) y conduit tout droit. Photo Nocturnales, sous licence CC.
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