Le Forum social européen d’Athènes. Le procès de Papa.
Lundi 8 mai 2006
Jeudi, vendredi et samedi, Forum social européen à Athènes. C’était une gageure que d’organiser ce Forum dans la capitale la plus excentrée de l’Union européenne. Pari réussi ! Le Forum est plus important que celui de Londres. Selon un Grec du comité d’organisation, environ 30 000 participants dont 10 000 étrangers. Beaucoup de Grecs évidemment, et les habituels Français et Italiens. Fort peu d’Europe du Nord, et surtout, bonne participation de l’Europe balkanique : 1 500 Turcs, des Roumains, des Bulgares, des Croates, des Serbes, des Albanais, des Macédoniens… Bref, tous ces pays qui ont eu parfois maille à partir avec la Grèce et entre eux dans les siècles écoulés. La présence militante turque et kurde est la plus impressionnante. Visiblement, les choses avancent très vite entre la Turquie et la Grèce, malgré des siècles d’oppression de l’une par l’autre. Cela dit, d’un point de vue politique, les tendances régressives, déjà évidentes à Caracas, se confirment. C’est partiellement la contrepartie de l’extension géographique vers des zones où les mouvements sociaux alternatifs n’ont pas été très forts ces dernières années. Le Forum apparaît trop souvent comme un forum des partis, et particulièrement des partis léninistes (trotskistes ou staliniens). Mais du coup, c’est aussi un Forum dominé par les nonistes. Comme il leur faut expliquer le rejet de la Charte des droits fondamentaux et des pouvoirs accrus du Parlement, cela aboutit à des prises de position comiques, violemment anti-institutionnelles et presque anarchistes, de la part de partis aux traditions plutôt, voire extrêmement, étatistes-autoritaires. J’ai participé au forum de solidarité avec l’Amérique latine, où j’ai eu l’occasion d’expliquer les problèmes de l’unification sud-américaine (remontée du nationalisme, retour à l’étatisme productiviste). La salle est comble, les gens prennent des notes, le FSE est pour eux le lieu où s’informer sur ce qui se passe ailleurs et qu’on ne trouve pas dans les journaux. L’association de traducteurs bénévoles, Babels, a fourni des petites radios chinoises (ô globalisation) avec écouteurs pour suivre l’interprétation en FM. Autre excellent débat, avec José Bové, sur les OGM où là, l’articulation entre mouvements sociaux (paysans, faucheurs volontaires), les campagnes dénonciatrices de Greenpeace et des Amis de la Terre, et luttes institutionnelles (débat parlementaires et actions de désobéissance civile des députés eux-mêmes) a été très bien mise en lumière… y compris par la composition de la tribune. Mais j’ai été très déçu par la série de débats sur la directive Bolkestein et sur la bataille du Livre blanc pour les services publics. Comme s’en étonne Sandrine, collaboratrice de Sinople, qui suit la question et a assisté à tous les séminaires, on est frappé par le très bas niveau de connaissance sur les enjeux et la réalité de la bataille, beaucoup d’intervenants ignorant purement et simplement ce qui se passe et la nature exacte - et les limites - des amendements sur la Bolkestein en première lecture au Parlement européen, ou confondant le débat sur le Livre blanc sur les services publics avec une directive, voire avec la directive Services… On a un peu l’impression d’un discours psittaciste en boucle ( « la Bolkestein, c’est le triomphe du libéralisme »), avec un énorme mépris pour la démocratie parlementaire et même pour les institutions en général. Ce qui est un peu fort de café… pour des gens qui défendent les services publics ! Car qu’est ce qu’un service public si ce n’est une institution ? Ce sont même (comme l’expliquaient Marx et Engels dans L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat), les services publics qui sont à l’origine de l’Etat ! Car (disaient-ils), même les Etats les plus autoritaires, comme ceux de la Mésopotamie ou de la Chine anciennes, n’auraient pu subsister quelques jours s’ils n’avaient pas d’abord rendu un service à la société (en l’occurrence, l’organisation de l’irrigation). Un jeune militant nous explique benoîtement : « Nous sommes contre le Parlement parce que nous sommes pour la révolution ». Mais hélas, aucun débat ne traite de « démocratie directe, mode d’emploi… », ni de « quel projet pour après la révolution »… Ce tranquille mépris pour la politique concrète, c’est-à-dire la conduite de politiques publiques, généralisé à un mépris pour toutes les personnes qui ont été ou sont en charge de voter, appliquer, contrôler ces politiques, y compris lorsqu’elles sont élues par le peuple à la suite de dures batailles, est, depuis le premier forum de Porto Alegre, le talon d’Achille de l’altermondialisme. Il est seulement rendu ridicule à Athènes parce que presque tous ceux qui s’y expriment sont eux-mêmes des « politiques » de tous âges, et que le gros des débats tournent sur des politiques publiques. D’ailleurs, dès que les leaders de la tribune sentent que ce blocage provoque des remous, hop ! un coup de « Mais nous sommes tous contre une guerre en Iran »… Bien entendu, c’est sur la question de l’Union européenne après le Non que le problème apparaît le plus crument. Le FSE d’Athènes devait justement être – on nous l’avait promis – la réponse des mouvements sociaux au Non de la France et de la Hollande. On allait voir ce qu’on allait voir : le plan B du Peuple ! On a vu. Le séminaire majeur sur le sujet : « Repensant l’Europe : quel type de refondation démocratique de l’Europe ? » a été l’occasion d’une parade des leaders du Non de gauche français. A la tribune : deux élus socialistes français, Jean-Luc Mélenchon et Françoise Castex, un représentant du PC remplaçant Marie-Georges Buffet, Bernard Cassen, un trotskyste, et… la conseillère régionale Verte (anti-autonomiste par rapport au PS), Francine Bavay, s’exprimant au nom de « Alter-Ekolo », apparemment une scission interne-externe du Parti Vert Européen… Plus deux Grecs et un syndicaliste belge. J’en oublie. José Bové, présent dans la salle, se gardera d’intervenir. Aucun, je dis bien aucun des orateurs ne sera capable, même pas en son nom propre, d’esquisser le moindre plan B. Bernard Cassen sera mollement applaudi pour une déclaration fortement souverainiste. Communistes, socialistes et trotskistes se lanceront dans des discours manifestement plus orientés vers la préparation des échéances électorales françaises de dans un an, avec pour seul programme européen : ne pas laisser remettre en cause le Non français, « même en enlevant la troisième partie » (bref : Maastricht-Nice, rien que Maastricht et Nice). Francine Bavay relancera avec force la vieille proposition de Cohn-Bendit : un référendum organisé le même jour dans tous les pays d’Europe… mais sans dire comment serait élaborée la nouvelle proposition de traité, ni ce qu’il adviendrait des pays qui voteraient Non. Personne évidemment n’évoque le seul plan B actuellement sur la table : la proposition Voggenhubber-Duff du Parlement européen Seule voix discordante, le syndicaliste belge osera rappeler qu’il était pour le Oui, à cause des avancées que représentait le contenu de la charte des droits fondamentaux, et à cause de l’extension du pouvoir du Parlement élu. Il se fera siffler, huer. Une telle honte (un syndicaliste hué, pour de telles revendications, pour une salle majoritairement peuplée de « politiques »), sans que le président de séance n’intervienne (contrairement à ce qu’avait fait Bernard Langlois, en ma faveur, à Guéret), aurait été inimaginable il y a encore un an. Il fallait venir à un FSE pour voir ça, hélas… Juste après cette intervention, je vais serrer la main de mon ex co-débatteur noniste, Lecourieux. « Surréaliste ! me dit-il. – Quoi ? – Ce Belge qui parle encore de fédéralisme. Mais enfin, les Français et les Hollandais ont voté contre le fédéralisme ! » Heureusement, même dans la série des séminaires sur les services publics, j’assiste à un atelier remarquable, sur le financement des services publics locaux. La recette du succès était toute simple, il y avait à la tribune : des syndicalistes de la fonction publique territoriale, un représentant du Celsig (l’association citoyenne pour les services publics en Europe), des syndicalistes des grands réseaux de services publics et du Syndicat national unifié des impôts, un élu local, maire de Nanterre. Bref, des gens qui s’y connaissaient et savaient poser devant les auditeurs les vrais problèmes. Le lendemain, énorme manifestation (entre 50 et 100 000 personnes) le long des grandes avenues d’Athènes. Hélas, dès le début, un vingtaine de membres du « Black-block », encagoulés, opérant sur les marges de la manifestation, commencent (sous les huées de la manif) à incendier des banques, voitures, poubelles. Immédiatement, la police charge à la grenade lacrymogène. Tous les 500 mètres, la manifestation va donc se disloquer puis se reformer héroïquement pour marcher à travers la fumée noire des incendies et la fumée blanche des lacrymos. Cette vingtaine d’imbéciles a failli, à elle toute seule, casser une manif pacifique et festive de dizaine de milliers de personnes ! Post-Scriptum Dès le retour à Paris, nouvelle du procès de Papa. Ma mère vient de recevoir, à lui adressée (il est mort il y a plus de trois ans !), une « décision » en bonne et dûe forme, du 24 avril 2006, rejetant toute demande d’indemnisation de la part de l’Etat français pour sa déportation… Selon une loi de 1831, en effet, les dettes de l’Etat sont prescrites au bout de 4 ans. Un raflé du Vel d’Hiv avait donc jusqu’au 16 juillet 1946 pour se plaindre… et basta ! Au diable la déclaration de Chirac (« La France a commis l’irréparable… Nous conservons une dette imprescriptible… »). Tel qu’en lui-même enfin cette fin de règne le change, le prince-des-beaux-discours laisse ses fonctionnaires pousser jusqu’au plus indécentes limites leur défense minable. Ils invoquaient la « prescription » depuis leur mémoire en défense initial, et comme nous avions relevé qu’ils n’avaient même pas argué de cette (illégitime) prescription dans les formes légales, pour « rattraper le coup », ils envoient sciemment une lettre recommandée à un mort ! Du coup, nous demandons un euro symbolique supplémentaire pour manque de respect dû aux morts. Voir également le site de ma soeur Hélène avec photos et liens intéressants sur Drancy et un témoignage de sa fille Louise-Michel.
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