mardi 19 mars 2024

















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Vos questions concernant le procès Georges Lipietz c/ Etat et SNCF
Je ne peux malheureusement répondre à toutes les personnes qui, sur le forum de mon blog, directement par lettre ou par mail, ou lors d’interviews dans les médias, m’ont prodigué leurs encouragements, leurs félicitations et leurs remerciements, ou au contraire leurs critiques. Je dois malheureusement me contenter de cette réponse collective.
Je remercie vivement les premières. Je reçois leurs messages comme un hommage aux mânes de mon père, à ma mère, ancienne résistante qui l’a accompagné toute sa vie, à mes sœurs et à mon beau-frère Rémi Rouquette qui a été l’organisateur juridique de la bataille. Mais c’est vrai que mon père en fut l’âme politique.
Je ne répondrai pas au tombereau de mails antisémites plus ou moins doucereux (« je ne suis pas antisémite, mais votre procès m’oblige à le devenir »). Juste un mot pour les juifs qui m’en avaient averti (« ça va réveiller l’antisémitisme ») : je ne pense pas que laisser dormir la bête immonde soit la meilleure façon de la faire reculer.
Je répondrai toutefois aux récurrentes interrogations qui me semblent légitimes, et je renvoie également à la réponse de Rémi.

Les questions
Les réponses
  • Qui était plaignant ? Qui sera indemnisé ?

    C’est mon père, Georges Lipietz qui a déposé la plainte, en 2001. Et il avait convaincu mon oncle.

    C’est à eux que le jugement fait droit, c’est à eux, vivants au début du procès, qu’il attribue une indemnisation.

    Malheureusement, mon père est mort pendant le procès (en 2003), et donc, il ne jouira pas lui-même ni de la victoire symbolique ni de l’indemnisation.

    Concrètement, ma mère, ancienne résistante, en aura la jouissance jusqu’à son propre décès, que je souhaite le plus tard possible. Puis s’appliqueront les règles de tout héritage...

    Ma mère et ses trois enfants avons choisi en 2003 de reprendre cette instance. Si mon père n’avait pas engagé ce procès, l’idée ne nous en serait peut-être pas venue toute seule. Mais comment ose-t-on nous reprocher, à nous sa famille, d’avoir suivi les dernières volontés de mon père ?

    Aurait-il été digne d’abandonner son dernier combat et d’abandonner notre oncle qui, lui, reste bien vivant ?

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  • Pourquoi des indemnités réelles et non pas symboliques ?

    Mon père en avait discuté avec son avocat : demander un franc symbolique aurait signifié qu’il jugeait le dommage symbolique (comme l’est par exemple une atteinte au droit à l’image). Or, le dommage fut plus que réel pour lui, pour ma mère (ils étaient déjà amoureux quand mon père fut arrêté), et très marginalement pour nous, ses enfants.

    A titre de comparaison : la Sncf, qui fait appel pour 5000 euros d’indemnisation par déporté, debout dans un wagon à bestiaux surchauffé, sans leur donner à boire ni manger pendant 30 heures, a demandé 150 000 euros de dommage (30 fois plus) pour chaque photo de wagon tagué publiée dans la presse, "atteinte à son image de propreté" !

    Le tribunal accorde aux 4 membres déportés de notre famille une indemnité de 15 000 euros chacun. Il m’en reviendrait par héritage environ 7 500 euros (dont 2 500 de la SNCF) si ma mère était décédée (ce qu’à Dieu ne plaise). Et Rémi Rouquette, l’avocat, est rémunéré, par le même jugement, à hauteur de 2 000 euros.

    Cette indemnité des victimes du préfet de Toulouse a sans doute été calquée sur ce que Maître Arno Klarsfeld a obtenu pour ses clients, victimes du préfet de Bordeaux, au procès Papon. Il serait intéressant de connaître le montant usuel des honoraires de Maître Klarsfeld, si, comme il l’affirme (Le Monde daté du 3 juin 2006 et contrairement à ce qu’indique Paul Mingasson, secrétaire général de la SNCF), il défend la SNCF à New-York contre d’autres juifs rescapés.

    Certains exigent que ma mère et nous, ses enfants, reversions cette indemnité à telle ou telle bonne œuvre. C’est pour le moment à ma mère (ancienne résisitante et actuelle militante du CCFD) d’en décider, mais, sur le fond, il doit être bien clair que mon père et mon oncle sont indemnisés pour une souffrance réelle et des dommages réels. Si le jugement avait eu lieu plus tôt, mon père aurait utilisé cette indemnité pour lutter comme il le pouvait contre les horribles cauchemars qui ont hanté sa vieillesse. Ces cauchemars, il les traitait en consacrant ses dernières années à témoigner dans les lycées de l’Île de France et à Drancy même, devant diverses commissions d’enquête (de la gendarmerie, des historiens, de Spielberg).

    Je considèrerais comme scandaleux que l’on pose de telles conditions aux déportés indemnisés de Bordeaux (ceux du procès Papon) ou à d’autres déportés qui s’engouffrent dans la brèche élargie par le jugement de Toulouse. Que ces survivants utilisent leur indemnité pour s’offrir une thérapie calmant leurs terribles souvenirs ou une meilleure maison de retraite, cela me semblerait tout à fait légitime.

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  • Des indemnités seulement pour les juifs ?

    Comme il a été plaidé par le commissaire du gouvernement, et comme il est dit dans le jugement final (à télécharger, pdf), l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité n’est pas retenue.

    Juifs, tziganes, homosexuels, politiques : le jugement du tribunal ne fait aucune distinction, et tous peuvent donc se retourner contre l’Etat et la SNCF pour des traitements inhumains lors de leur internement.

    Même si la « singularité » de la Shoah a été reconnue par l’État et la Justice française (arrêt Pelletier), ce qui justifie un traitement particulier pour les déportés raciaux, l’argumentation de mon père et de mon beau-frère avait évité toute distinction de cet ordre.

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  • Qu’en est-il alors des résistants ?

    La logique n’en est pas tout à fait la même. Les résistants, comme les combattants de la France libre, avaient choisi de maintenir la France dans la guerre, et leur héroïsme ne peut exiger une réparation d’un État républicain qu’ils ont eux-mêmes voulu réinstaurer.

    Contrairement à la SNCF, ma mère n’a pas demandé à être payée pour avoir transporté des parachutistes alliés entre Paris et le maquis Verneuil, dans le Morvan. À la Libération, et selon le souhait des résistants, ce sont les collabos qui ont été jugés et punis.

    C’est la victoire même qui récompense les héros, les troupes régulières de la France Libre comme les clandestins de l’Armée de l’Ombre. À moins que la demande d’indemnisation ne concerne que les conditions de leur déportation par l’administration française, et dans ce cas, on revient au cas précédent.

    Ce qui est condamné par le jugement de Toulouse, c’est la participation, malgré un degré de liberté reconnu par le tribunal, non à un fait de guerre mais à un crime contre l’humanité, et la négligence à utiliser de réelles marges de manœuvre face à l’occupant.

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  • Pourquoi la SNCF ?

    C’est la question unanime de toutes les critiques, et même de certaines lettres de félicitation.

    Remarquons d’abord que le jugement commence par établir que la SNCF a agi dans le cadre de l’exercice d’une mission de service public, ensuite qu’elle jouissait d’une marge d’autonomie à l’intérieur des appareils d’État, et par ailleurs d’un statut différent (société commerciale : le délai de prescription n’est pas le même). Enfin, après avoir fixé l’indemnité à 15 000 euros par déporté, et tenant compte de cette autonomie, le jugement opère un partage : 2/3 à l’État, 1/3 à la SNCF.

    Cette démarche est parfaitement justifiée et elle est fondamentale. J’ai été étonné de ne recevoir aucune lettre nous reprochant d’avoir fait condamner l’État. Quelques lettres disent « mais pourquoi la SNCF, pourquoi pas d’autres administrations ? ». La réponse est simple : toutes les autres administrations, y compris la poste, la gendarmerie ou la milice, sont condamnées en bloc en tant que branches de l’État. Elles ne forment qu’une seule personne juridique. Si la SNCF avait joui alors du statut de la poste, le jugement n’aurait pas fait la différence entre le service public des chemins de fer et l’État.

    C’est la SNCF elle-même qui, au nom de son statut d’entreprise fraîchement nationalisée en 1937, mais néanmoins de droit commercial, a cherché à échapper à la justice par une stratégie de la chauve-souris (« je suis oiseau, voyez mes ailes, je suis souris, voyez mes poils »). Rappelons qu’à New-York, la SNCF plaide qu’en tant que morceau d’un appareil d’État, elle jouit de l’immunité des puissances publiques étrangères, reconnue par la loi américaine, malgré la compétence universelle de la justice vis-à-vis des crimes contre l’humanité. En France au contraire, la SNCF plaidait qu’étant une société commerciale, elle ne relève pas du droit administratif.

    Pour moi qui, chaque jour, au Parlement européen, me bats contre la directive Bolkestein, contre les « paquets ferroviaires » de libéralisation du service public des transports, et pour une loi-cadre sur les services publics dans la bataille du Livre blanc, cette ligne de défense de la SNCF fut une véritable gifle.

    Subsidiairement, l’avocat de la SNCF a plaidé que, tout en étant de droit commercial, la SNCF était réquisitionnée par les Allemands et n’avait aucune marge de manœuvre. Les archives déterrées par Monsieur Kurt Schaechter (à télécharger, image), puis par le rapport Bachelier prouvent au contraire que la SNCF s’est fait payer et a su négocier une marge de liberté, sous le prétexte de ne pas laisser « nos trains et nos rails » à la disposition des Allemands. Ce qui a amené ses chefs à une collaboration de fait, et pour les plus grands d’entre eux, les polytechniciens ingénieurs des Mines qui la dirigeaient (et qui souvent la dirigeaient déjà avant la nationalisation de 1937) à une franche collaboration, par admiration pour l’Allemagne, ou par antisémitisme, ou par technocratisme, ou par orgueil professionnel mal placé.

    La SNCF, qui adressait des factures de 3è classe à la République enfin rétablie, pour les wagons à bestiaux de la déportation, n’hésitant pas à gruger la France en guerre et à la menacer d’intérêts moratoires (à télécharger, image), en cas de retard de paiement, a négocié avec l’administration de Vichy le choix du matériel (les trains tchèques ont expédié des déportés vers Treblinka dans des wagons de première classe). En 5 ans de procès, elle n’a pu exhiber aucune consigne de Vichy lui ordonnant de priver les futurs déportés d’eau, d’air, de nourriture et de latrines pendant les interminables voyages à travers la zone sous administration française, comme s’il s’agissait de conquérir sur les Allemands le droit de les martyriser un peu, avant de les livrer à la ReichBahn pour le trajet Drancy-Auschwitz. Elle a réussi, saluons l’exploit, à faire partir encore des trains de déportation alors que la France était aux trois quarts libérée.

    C’est la raison pour laquelle, dans mon adresse au tribunal, je faisais référence à ce qu’Hannah Arendt, lors du procès Eichman, a dénoncé comme « banalité du mal, crimes de papier », et à ce que le philosophe Adorno appelle la « rationalité instrumentale » : on va montrer qu’on sait organiser des trains de déportation mieux que les Allemands ne l’auraient fait eux-mêmes.

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  • Et les cheminots résistants ?

    Comme je l’explique sur mon blog, l’ennemi de mon père, celui qu’il m’a appris à haïr, était le plus pur représentant de ce type de technocrates : le ministre de l’industrie, puis des transports de Vichy, Jean Bichelonne. Les dirigeants de la SNCF, eux aussi X-Mines et collabos, parfois anciens barons du rail fraîchement nationalisés (en 1937), étaient du même bois dont on fait les grands criminels de bureau.

    Certes, ces chefs (près de 500) ont été épurés, ce qui reconnaît leur responsabilité (mais ils le furent, comme tous les autres, uniquement pour « intelligence avec l’ennemi »). Certes, beaucoup de cheminots ont résisté. Certes cela fait mal aux cheminots actuels et à leurs proches de voir ainsi condamnée leur entreprise. Mais je suis moi-même fonctionnaire. Des fonctionnaires ont résisté dans toutes les branches de l’administration (enseignants, postiers, et même policiers et gendarmes). J’ai eu honte en tant que Français et en tant que fonctionnaire lorsque, le 16 mai 2006, à l’audience, le commissaire du gouvernement a détaillé la complaisance de la justice administrative sous Vichy. Et je ne pense pas qu’à aucun moment les combattants de la Résistance aient eu pour but de laver à l’avance la responsabilité de leurs institutions ! Au contraire, ils aspiraient à une profonde épuration et une rénovation morale de l’entreprise ou administration qui les employait, et qui réprimait leurs actes de résistance.

    Aucun fonctionnaire ne m’a écrit pour me reprocher d’avoir « sali » son employeur. Les fonctionnaires aiment-ils moins leur employeur que les cheminots ? Non, ils assimilent même leur employeur à la Patrie, à la Démocratie, à 1789. Mais, depuis les années 1970 et surtout 1990, les fonctionnaires et la société française ont appris à regarder en face le degré de compromission de leur propre administration avec les nazis. Cet effort de mémoire a-t-il été accompli dans le secteur nationalisé ? Ou la SNCF en est-elle restée aux mythes des années 1950 ?

    Un seul conducteur de locomotive, Léon Bronchart, constatant ce qu’il avait à transporter, s’est élevé pour dire : « Je ne conduirai pas ce train-là ». Tous ses collègues l’ont chaleureusement félicité. Il a été renvoyé de la SNCF, réintégré à la Libération, fait Juste parmi les Nations (ce qui ne fut pas le cas de la SNCF, encore heureux !). Si tous s’étaient ainsi dressés, la déportation aurait dû mobiliser des cheminots allemands qui auraient ainsi été détournés de l’effort de guerre. Comme le dit le commissaire Truilhé : « Nul ne sait ce qu’il aurait fait à l’époque. » Chacun avait ses raisons, depuis le souci de gagner le pain de sa famille, jusqu’à la peur de la répression, en passant par l’antisémitisme ou l’orgueil professionnel. Mais les cheminots ont le droit de savoir. Pour mieux apprécier l’héroïsme même de la Résistance cheminote, trop souvent persécutée et dénoncée à la Gestapo par les dirigeants de la SNCF.

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  • Pourquoi le tribunal administratif ?

    Mon père et mon oncle ont préféré ne pas porter plainte au pénal contre un collabo en particulier (le cas Papon était différent, il s’agissait d’une figure dont toute la carrière était maculée de crimes soigneusement camouflés).

    Ils ont voulu faire condamner non des hommes mais des systèmes qui broyaient victimes et complices involontaires ou consentants, sous la direction des bourreaux : l’administration française et celle de la SNCF. Ils ont eu gain de cause, et cette victoire judiciaire est historique.

    Il est absurde de dire qu’ils ont ainsi ouvert la boîte de Pandore et provoqué une cascade de procès contre toutes les administrations, une par une. Toutes les administrations internes de l’État, je l’ai dit, sont condamnées en bloc. La SNCF se voit calculer sa propre part. Mon père, après discussion, n’a pas porté plainte contre l’ancêtre de la RATP, parce qu’il estime avoir été correctement traité par elle entre la gare SNCF et Drancy.

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  • Pourquoi si tard ?

    Ce seul point occupa la moitié des conclusions du Commissaire du gouvernement, Jean-Christophe Truilhé, à l’audience du 16 mai 2006.

    Il a rappelé que la jurisprudence de 1946, arrêt Ganascia du Conseil d’État, avait semblé clore la possibilité même d’obtenir de l’État français réparation pour les crimes du régime de Vichy, réputé non-existant. Il a fallu attendre l’arrêt Pelletier (2001) et plus clairement encore l’arrêt Papon (2003) pour que soit renversée la jurisprudence et que la justice française reconnaisse enfin aux victimes le droit de demander réparation d’un État qui n’avait jamais cessé d’exister.

    Mon père a déposé sa requête 3 mois après l’arrêt Pelletier. Ce n’est pas beaucoup.
    Il aura attendu 55 ans pour pouvoir le faire. C’est beaucoup.

    Le jugement sera rendu 5 ans plus tard encore. Et la SNCF fait appel (l’État, lui, reconnaît les faits). C’est trop. Mon père n’a pu survivre jusque là.

    Faudrait-il considérer qu’il était légitime de demander une réparation à la France encore combattante ou se relevant de ses ruines (comme l’a fait la SNCF, qui a fait payer et surfacturé à la République les convois livrés à Vichy), et illégitime de la demander une fois la France redevenue prospère ?

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  • N’est-il pas temps de faire place aux historiens ?

    Quelques historiens, et notamment Henry Rousso, plaident en gros qu’il est trop tard pour les victimes, et que le temps des historiens est venu.

    Autant je suis d’accord pour laisser une totale liberté à la recherche historique (étant toutefois acquis que les crimes qui ont été fermement établis ne peuvent plus être niés, sauf à insulter les victimes), autant une telle prétention me semble ahurissante. Les victimes ne sont pas simplement des vestiges archéologiques pour les travaux des historiens. Ce sont des personnes, comme eux-mêmes, qui, ayant subi un terrible dommage, ont droit à la vérité, à la justice et à la réparation. Le fait qu’une chape de plomb juridique et psychologique se soit abattue sur les victimes entre la fin de l’épuration et le milieu des années 1990, loin d’interdire de réclamer aujourd’hui justice, devrait valoir circonstance aggravante pour les institutions et les personnes qui ont contribué à ce délai interminable de la justice.

    Pendant ce temps, toutefois, le travail de mémoire a repris. Pas seulement et pas d’abord du côté des historiens, mais aussi du côté des politiques, des artistes (1969 : Le chagin et la pitié, de Marcel Ophüls, 1985 : Shoah, de Claude Lanzmann). Pas seulement et pas d’abord du côté des historiens officiels de l’Institut d’Histoire du Temps Présent : mais aussi du côté « d’amateurs », souvent d’anciennes victimes, comme Maurice Rajsfus, Serge Klarsfeld ou ici Kurt Schaechter, « découvreur » des maintenant fameuses factures de la SNCF. Pas d’abord du côté des historiens français, mais du côté des historiens américains, comme Raul Hillberg ou Robert Paxton. Pas d’abord à la SNCF, mais dans certains corps de l’État, comme la gendarmerie, dont une commission invita mon père à venir témoigner, pour « se fixer une déontologie, pour le cas où Monsieur Le Pen arriverait au pouvoir ». Elle, elle avait compris le but du travail de mémoire.

    Ce travail de mémoire diffus a induit la SNCF à ouvrir ses propres archives, et a permis l’enquête systématique des historiens de métier. Ce fut le rapport Bachelier et le Colloque de 2000, où Serge Klarsfeld (qui n’avait pas encore lu le rapport Bachelier : c’est dire si la publicité en avait été faite auprès des victimes !) a pu déclarer (à télécharger, rtf, 80 ko) : « Certes, la SNCF n’a pas démarché les Allemands pour qu’ils déportent les Juifs et pour qu’elle en tire un profit, mais elle aurait dû et pu manifester son opposition au rôle qu’on lui faisait jouer, en refusant au minimum d’être payée pour des transports par lesquels elle apportait un réel soutien matériel au crime nazi. Pas seulement en ce qui concerne la population juive, mais également à l’encontre de milliers de déportés résistants partis de Compiègne. Or nous constatons l’absolue indifférence d’une administration, d’une gestion qui ne tolère pas le manque à gagner et qui ne se rend pas compte qu’en réclamant le paiement de ses factures elle se rend moralement encore davantage complice des crimes qui viennent d’être commis.... La SNCF a été régulièrement payée pour avoir mal agi. »

    Et c’est sur le travail de ces « enquêteurs du temps qui s’enfuit » que s’appuient les conclusions du Commissaire du Gouvernement, Jean-Christophe Truilhé, et l’arrêt du Tribunal, pour reconnaître la responsabilité de l’État et la responsabilité propre de la SNCF, et fixer avec précision le moment où les victimes pouvaient enfin agir en justice...

    Ce jugement de Toulouse règle de façon, me semble-t-il, correcte le rapport entre devoir de mémoire, histoire et justice. C’est sur le rapport de l’historien Bachelier que s’appuie le jugement pour évaluer la marge de manœuvre et donc la culpabilité de la SNCF. C’est sur la base de cette information - elle-même fondée sur les archives et sur la mémoire des victimes - que la justice juge. L’historien, comme le détective, est là pour établir la vérité. Le législateur est là pour fixer le droit. La justice est là pour faire droit à la victime. Ne mélangeons pas tout. La justice n’a pas plus à faire l’histoire que l’historien n’a à faire la morale. Elle a à faire justice.

    Reste que le travail de mémoire n’a visiblement pas été fait vis à vis des cheminots. Ceux qui, comme Henri Rousso, disent qu’il serait « immoral » d’utiliser contre la SNCF les archives mises par celle-ci à la disposition des historiens (ou plutôt ce qu’il en reste, la direction ayant cherché à « effacer les traces » en 1944), voudraient-ils dire que la SNCF n’a ouvert ses archives (fermées de quel droit ?) que pour se dédouaner de ses agissements passés ? Je veux croire qu’elle l’a fait pour faire connaître la vérité et permettre à la justice de réparer, autant qu’il est possible. Elle le doit aux victimes, aux résistants, aux résistants qui furent ses victimes.

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  • Les autres victimes peuvent-elles bénéficier de ce jugement ?

    Oui. Et c’est dans ce but-même que mon père avait engagé ce procès.

    Cela dit, il faut rappeler que le jugement ne nous donne pas entièrement raison (à télécharger, pdf), puisqu’il maintient la prescription des dettes de l’État et de la SNCF, en la faisant simplement courir du moment où cette dette a été reconnue. Les conditions fixées par le jugement indiquent que cela laisse jusqu’à septembre 2006 pour porter plainte contre la SNCF et jusqu’à la fin 2007 pour porter plainte contre l’État !

    L’appel de la SNCF pourra donner l’occasion d’une modification de ce résultat, mais il est important que les victimes de tous les crimes de Vichy, commis avec la complicité de l’administration et de la SNCF, prennent les devants (si elles le souhaitent) en déposant une requête dans ces délais. Notre avocat, Rémi Rouquette, a rédigé une note technique à l’usage des victimes (juifs, résistants, homosexuels, tziganes...), leurs parents et leurs avocats qui nous écrivent et nous téléphonent actuellement.

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  • Procès Georges Lipietz c/ l’Etat et la SNCF
    Pour entamer un procès similaire

    Si vous pensez être dans le même cas que Georges Lipietz et désirez entamer un procès sur les mêmes bases.

    Nous vous invitons aussi (ainsi que votre avocat) à consulter la rubrique consacrée à ce procès sur le site de l’avocat Rémi Rouquette.

    Pour avoir une liste d’avocats, vous pouvez vous mettre en contact avec le cabinet de Rémi Rouquette qui, s’il ne prend pas d’autre dossier, assure les conseils juridiques pour toute une série d’avocats qui ont accepté de prendre le relais.


    À cliquer :Avant d’envisager une procédure similaire, par Rémi Rouquette, avocat.
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  • Pour conclure : une petite fable afin de me faire mieux comprendre

    Supposons une usine chimique (par exemple à Bhopal ou à Cubatão) dont la direction ne respecte pas les règles de sécurité, pour faire des économies, et parce qu’elle méprise autant la vie de ses salariés que celle des habitants des alentours.

    Le syndicat multiplie les grèves pour exiger des mesures de sécurité plus strictes. Les syndicalistes sont réprimés, licenciés, mais la résistance continue. L’usine explose, l’accident tue des centaines d’ouvriers et des milliers de personnes dans le voisinage.

    20 ou 30 ans après, malgré une montagne d’arguties juridiques de la part des avocats de l’entreprise, le jugement est enfin rendu au civil et condamne "l’entreprise" à indemniser les victimes.

    Va-t-on dire que ce jugement "insulte" la mémoire des syndicalistes qui ont résisté ? Va-t-on considérer que les victimes n’ont droit qu’à un euro symbolique ? Va-t-on considérer que les enfants des victimes n’ont droit à rien si leurs parents sont morts au milieu de la procédure intentée par leur parent ? Va-t-on leur dire que c’est trop tard ? Que ce sont les salariés d’aujourd’hui qui paient alors qu’ils n’y sont pour rien ?...

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