Equateur : les partis en guerre contre la société civile
Mercredi 23 novembre 2005
Dernière mission officielle, pour cette année, de la délégation du Parlement européen pour la Communauté andine (CAN) : l’Equateur. C’est la troisième fois que j’y vais. La première fois, j’avais pu assister à la montée en puissance du mouvement indigéniste et de son parti, le Pachakutik . Il venait de renverser le président corrompu, Mahuad, et de conquérir un quart des régions et des municipalités. La seconde fois, en 2002, c’était pour le forum social de l’Amérique latine, entre les deux tours des élections législatives et présidentielles. Le Pachakutik s’était associé pour ces élections au colonel Lucio Gutiérrez. On ne pensait pas du tout que celui-ci pouvait gagner, mais au premier tour, il était arrivé en tête ! Et nous avions discuté longuement, avec les leaders du Pachakutik, sur comment rompre au plus vite cette embarrassante alliance, car Gutiérrez était vraiment peu sûr. Gutiérrez une fois élu s’est en effet révélé beaucoup plus proche d’Uribe et de Bush que de Chavez et de Lula. Progressivement, tous les mouvements sociaux ont rompu avec lui et le Pachakutik a été débarqué du gouvernement après s’y être accroché trop longtemps. Lui-même est devenu un dictateur, nommant une nouvelle Cour suprême à sa botte, et effaçant la distinction des pouvoirs. En avril 2005, une insurrection de la ville de Quito quasi unanime l’a chassé du pouvoir et fait remplacer par son vice-président, Palacio. Au nom du Parlement européen, convaincu de la légitimité de ce mouvement, j’avais reconnu le président Palacio. Notre délégation de ce mois de novembre est assez réduite : le PPE est représenté par Malgorzata Handzlik, députée polonaise, les socialistes par Giovanni Claudio Fava et… nous sommes accompagnés par Jean-Claude Martinez, du Front National. Malgorzata Handzlik ne connaît pas bien l’Amérique hispanophone. Elle est flanquée de son assistante et de deux traductrices polonaises : cela m’émeut un peu d’entendre l’Union européenne débattre avec cet « Extreme-occcident » dans la langue de ma lointaine patrie. Avec les 4 Polonaises, nous échangeons des souvenirs de nos parents, des années 20 à l’après-guerre. Quant à Jean-Claude Martinez, c’est un mystère politique et humain. Je l’ai connu indirectement, il y a longtemps, par des étudiants maghrébins que nous avions en commun et qui l’adoraient. J’ai pu constater depuis que c’était un excellent professeur, et un authentique et imaginatif altermondialiste. Dans le privé, c’est un homme à l’humour ravageur que je n’ai jamais entendu proférer une parole raciste. Que fait-il au Front national ? « Droite révolutionnnaire » au sens des années 30 ? Peut-être une fidélité de pied-noir à Tixier-Vignancourt ? En tout cas, il sait que son allégeance au FN ne peut que gêner et ses idées, et notre délégation, et, tout en manifestant son indignation face à l’exploitation des travailleurs et des indigènes équatoriens, il se montre politiquement le plus discret possible. L’Equateur ressemble un peu à la Bolivie : la Sierra est de gauche ou indigéniste et les Terres chaudes de droite. Géographiquement la différence est que l’Amazonie (où sont aussi les réserves d’hydrocarbures) est presque vide (et contrôlée par les indigènes) ; par contre la plaine côtière est vaste et active : le port de Guayaquil y joue le rôle économique et politique (droite sécessionniste) de Santa Cruz. Bien entendu, nous sommes reçus par les autorités : président, vice-président, ministre des affaires étrangères, présidents du Congrès et du tribunal suprême électoral… Mais nous avons aussi cherché à rencontrer la société civile, et notamment les leaders du mouvement d’avril et les écologistes. C’est la première grande caractéristique de l’Equateur : une guerre ouverte entre les partis et la société civile. Les partis politiques qui, un peu comme en Bolivie, se sont assuré le monopole de la représentation populaire, présentent en Equateur cette particularité de ne pas chercher à représenter les intérêts « hégémoniques » des classes dominantes en tant que classe dirigeante, mais plutôt les intérêts « corporatistes » de secteurs étroits des classes possédante. Résultat : ils sont complètement discrédités dans les masses (y compris la petite bourgeoisie). Les masses populaires n’en sont pas plus politisées pour autant, et donc sous la coupe des partis populistes de droite, eux-mêmes dirigés par des richards. La plupart de ces partis ont appuyé les manœuvres de Gutiérrez pour établir son pouvoir absolu. Après le mouvement d’avril, ils sont toujours là. Ils n’ont toujours pas été capables de nommer une nouvelle Cour suprême. Ils multiplient les piques contre les mouvements sociaux et par exemple accusent le mot d’ordre « Que se vayan todos » (Qu’ils s’en aillent tous) d’être un mot d’ordre anarchiste, ce qui est vrai. Le problème, c’est qu’on n’a jamais vu les partis politiques ignorer à ce point ce que demande la société. On a l’impression que la société civile est pour eux un concurrent, non un électorat à séduire !! Par exemple, le président du Tribunal suprême électoral (TSE), qui nous reçoit en disant « mon parti » à propos du parti social chrétien (le grand parti de la droite de Guayaquil), agite sous nos nez ses mains couvertes de chaînes d’or et de bagues serties de diamants, avec des propos extrêmement durs : « Après tout le mal qu’a fait la société civile à la société équatorienne… ». Sa position, comme celle des partis, est simple : « Faites vous élire. Il est inutile de changer la Constitution et le cadre politique. Les inégalités dans ce pays sont tellement fortes qu’il est superflu de réformer la politique . » Nous apprendrons que cette position pseudo-marxiste de droite, qui feint d’ignorer totalement l’utilité des institutions politiques, est partagée par une partie de l’extrême-gauche équatorienne. Pourtant, il est clair que les partis utilisent le pouvoir politique pour accroître de mois en mois le pillage de la société équatorienne par les possédants : la semaine avant notre arrivée, sur proposition du maire de Guayaquil, Jaime Nebot, le congrès a voté une dispense d’impôts sur les bénéfices et sur les revenus pour diverses branches de l’économie équatorienne. En face, la « société civile », c’est-à-dire une nuée de clubs, d’associations, d’assemblées populaires, qui cherchent à prolonger le mouvement d’avril, représente en effet une force de contestation politique, mais certainement pas une force d’exercice du pouvoir politique. Elle ne peut donc chercher à exister à court ou moyen terme qu’en se trouvant un candidat à la présidentielle à opposer aux vieux partis et aux populistes. Les hommes pouvant incarner cette alternative sont pléthore : du député au Parlement andin Freddy Ehlers, journaliste très connu de tendance écologiste, au centre-gauche Roldos, en passant par Rafael Correa qui a brièvement occupé le ministère de l’économie sous Palacio, a pris des mesures de redistribution de la manne pétrolière, … et s’est fait débarquer comme « bolivariste », c’est-à-dire pro-Chavez. Les mouvements sociaux, et notamment les écologistes que nous rencontrons, ont pour adversaires déclarés : – le traité de libre-échange (TLC) que Bush essaie de négocier depuis deux ans avec la Colombie, l’Equateur, et le Pérou (l’accord de libre-échange des Amériques, ALCA, ayant échoué), – les partis qui s’opposent à la réforme du régime politique. C’est ce qu’il faut entendre par leur demande d’une « nouvelle Constitution », alors que l’actuelle est théoriquement en vigueur depuis à peine 7 ans mais jamais appliquée, – les activités des entreprises pétrolières dans l’Amazonie équatorienne. Les militants écologistes demandent même un moratoire sur l’exploitation pétrolière. Quand je pense qu’en Europe certains écologistes considèrent la raréfaction du pétrole comme une « apocalypse » !! Nous écoutons par exemple un exposé d’Alex Rivas du CDES à propos des prospections de pétrole dans le parc de Yasunî. Le Yasunî protège la densité de biodiversité la plus haute du monde. Malgré cela, les compagnies étrangères ont le droit d’y prospecter et exploiter le pétrole. Elles ont leurs routes, leurs hélicoptères, elles en savent plus sur ce qui se passe en Amazonie que tous les naturalistes, anthropologues et fonctionnaires réunis. Dans le secteur sud de ce parc, pourtant, une zone est proclamée « intangible », c’est-à-dire que personne ne doit y aller. En effet, dans cette région vivent des indigènes du groupe linguistique Huaorani. Deux clans de cette famille, les Tagaeri et les Taromenane, refusent tout contact avec la civilisation. Il est d’ailleurs probable que ce contact serait pour eux un désastre biologique. Naturellement, ils nomadisent sans connaître exactement les limites de la zone intouchable, et peuvent se faire massacrer par d’autres Huaorani inféodés aux compagnies pétrolières. Certes les pétroliers n’entrent pas dans la zone intangible… mais, le long des rivières, l’exploitation illégale de bois y va bon train ! Nous promettons d’associer le cas Yasuni à la campagne qui se développe au Parlement européen contre le commerce des bois illégaux.
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