Lepeltier. Crise de la presse.

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Dimanche 8 octobre 2006

Vendredi, aller-retour à Bourges dont le maire, l’ex-ministre de l’environnement (et sincère altermondialiste), Serge Lepeltier, m’a invité à remplacer au pied levé… José Bové, pour un débat inscrit dans la seconde édition du Festival du film écologique.

J’aime bien Serge Lepeltier, UMP tendance Parti radical, que j’avais rencontré il y a déjà pas mal de temps à Porto Alegre. Il y a comme ça des écolos de droite, dont j’ai appris à reconnaître la véritable fibre environnementaliste, et aussi démocratique, comme Roselyne Bachelot ou Corinne Lepage. « Alors, nous demande évidemment l’animateur du débat, Pierre Bouchenot, de France 3, l’écologie a-t-elle besoin de se situer entre la droite et la gauche ? Tout le monde n’est-il pas aujourd’hui écologiste ? »

Je réponds, comme toujours, que « droite-gauche » est relatif au paradigme, au « bouquet d’options » dominant. En 1789, étaient de gauche ceux qui voulaient la démocratie. Un siècle plus tard, tout le monde était devenu démocrate, mais on l’était plus ou moins, on était « plus ou moins à gauche ». Puis la question sociale est devenue dominante et les socialistes étaient la gauche. Mais après 1945, tout le monde prenait en compte la question sociale : on était plus ou moins de gauche, plus ou moins social… Aujourd’hui, un nouveau paradigme cherche à émerger, l’écologie politique. Quand il sera dominant, on sera plus ou moins de gauche selon qu’on sera plus ou moins écologiste… Reste qu’aujourd’hui, si on veut que les politiques fassent de l’écologie, il faut que les électeurs le disent, en votant Vert.

Quid alors de la vieille droite, de la vieille gauche ? Ils parlent de temps en temps de l’écologie, mais au moment de l’action, ils se croient très écolos quand ils lâchent une réformette pour faire plaisir à l’électorat vert. De plus (et Serge Lepeltier ne cache pas sa divergence), il y a plus d’atomes crochus entre les Verts et les vieilles gauches, à cause de la question du marché. Les Verts, qui ne sont pas pour autant des étatistes, savent qu’il faut énormément de régulation politique, imposée au marché et aux groupes d’intérêt dominants, pour faire valoir les exigences écologistes et les besoins des plus démunis. Ce qui ne veut pas dire qu’on ait souvent la gauche avec soi dès qu’il s’agit de s’opposer au productivisme, aux sortilèges des mirages technologiques. Je donne l’exemple des nano-technologies, où il s’est trouvé peu d’eurodéputés (mais aucun de droite) pour voter avec nous le principe de précaution en ce qui concerne la diffusion de ces molécules artificielles dans la nature.

À part ça, Lepeltier a vraiment la fibre écolo. Il reconnaît que les risques du nucléaire sont trop grands (l’exemple de l’Iran m’est ici fort utile) pour y voir une solution au défi énergétique et à l’effet de serre, du moins à l’échelle mondiale.

Le débat se porte alors sur les biocarburants et le bois, que Serge Lepeltier lui-même évoque avec précaution. De la salle, une intervenante souligne qu’on ferait mieux de parler d’ « agro-carburants », l’étiquette « bio » étant par trop valorisante. Comme mercredi dernier, j’insiste sur le fait que certes la biomasse est une façon simple de convertir l’énergie solaire, mais que le bilan énergétique est à examiner de près, comme la consommation en eau, engrais, etc. Dans cette région qu’illustrent la Sologne et la chênaie de Tronçais, il faut en outre réfléchir à la multifonctionnalité de la biodiversité forestière : pas question de remplacer des forêts de chêne ou d’hêtres par des plantations d’eucalyptus ou de mimosa, arbres au rendement énergétique pourtant bien meilleur ! Et on ne peut demander aux mêmes arbres d’être en même temps de bons puits fixant le gaz carbonique et de bonnes sources d’énergie.

Bref, avant de penser « énergie nouvelles », penser « économies d’énergie ». Même économiquement, ce sera plus rentable.

Samedi, je rentre enfin chez moi à Villejuif, où je trouve avec plaisir le numéro 23 de TOC Magazine, dans lequel les deux compères François Olislaeger et Pierre Cattan, qui avaient raconté en bande dessinée désopilante le Forum social mondial de Caracas, ont ensuite interviewé différents personnages de leur bouquin : Michelle Dessenne et Christophe Ventura, d’ATTAC, Stéphanie Chevrier (la compagne d’Olivier Besancenot), et moi-même ! Je reproduis en échantillon deux petits dessins me concernant. Le premier, à propos d’un des sketch de la BD où notre amie Martine, épouse de l’Ambassadeur de France à Caracas, a bien du mal à trouver des convives osant partager la table de Danièle Mitterrand. Pour le deuxième, j’ai dû leur parler de mon insistance, de blog en blog, sur un certain nombre de points récurrents (la biodiversité, le TCE, le procès SNCF, la crise de l’OMC…). Je ne me souviens pas si je leur avais parlé de ma réponse-testament sur « le député de la planète Zorg », mais ce dessin m’en semble une délicieuse illustration !!

Dans le même numéro, intéressant dossier sur la fabrication de Wikipedia, abondamment utilisé sur mon blog.

À part ça, mauvaises nouvelles du coté de Politis : après leur rupture avec les dirigeants fraudeurs d’ATTAC, ils se retrouvent sur la paille et ont un besoin urgent de capitaux. Cliquez ici sur leur appel, et répondez-y d’urgence !!

Cette affaire renvoie aux ravages de la « dynamique du Non », qui (outre l’Europe) a déjà coulé ATTAC et maintenant menace Politis. L’un et l’autre, au lieu d’organiser le débat à gauche (à une exception près, me concernant, dans Politis), s’étaient imprudemment positionnés unilatéralement pour un Non qui masquait de profondes divergences de fond.

Mais elle renvoie aussi aux difficultés plus générales de la presse écrite. Libération, qui fut alors beaucoup plus équilibré, connaît la même crise financière, pris en étau entre les « gratuits », pour lire dans le métro, et l’internet, pour approfondir tranquillement chez soi.

Exemple : mon site. 1000 visites par jour depuis avril, 33248 en septembre, 1500 par jour depuis le début octobre. Ce qui veut dire que le présent texte a presque plus de chance d’être lu ici qu’en « tribune libre » dans Politis, qu’en tout cas ceux qui lisaient autrefois Politis pour mes chroniques hebdomadaires seront moins motivés.

Cette évolution est dangereuse. Je suis content qu’on lise mon site, et je remercie mes fidèles lectrices-teurs, mais ça veut dire qu’une partie des lecteurs-trices ne tombera plus que sur mon point de vue, une autre sur celui d’ATTAC, etc. Seule une presse engagée mais pluraliste peut encore assurer une « offre de dialogue ». Et Politis avait, peut retrouver cette vocation. Politis a su résister à la sarkozysation des esprits lors de l’affaire du voile par exemple. Politis est un vecteur de paix sur la question Israel-Palestine. Politis et Libé doivent vivre !!

Et tant que j’en suis à la pub : le président de Sinople, Sébastien Leplaideur, vient d’éditer chez Belin le premier livre en papier recyclé : L’état des inégalités en France. Lecture indispensable !

Enfin, le numéro spécial Amérique Latine de Mouvements est sorti. Non seulement sa lecture est indispensable, mais vous avez interro écrite vendredi prochain à la Maison de l’Amérique Latine à Paris.

Adresse de cette page : http://lipietz.net/?breve176

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Il y a 5 contributions à ce blog.
  • Lepeltier. Crise de la presse.

    Le problème avec internet, c’est que si à titre individuel ça peut ouvrir des perspectives jusque là impensables, en revanche à l’échelle collective, un véritable effet de masse - seul susceptible d’intéresser les marketeux politiques - ne peut intervenir que s’il y a diffusion virale.

    Condition nécessaire à ce phénomène : il faut qu’une fois qu’il ait reçu le message, le français moyen éprouve dans la minute le besoin de le rediffuser à quelques personnes de plus.

    Mais qu’est-ce qui est susceptible de se diffuser de manière virale ? Voir ici - ici - ou

    On voit bien le danger, n’est-ce pas ? Alors que notre monde est compliqué et que les solutions à ses maux le sont encore plus, il y a une priorité absolue aux messages négatifs, aux messages simplistes, frappants, anxiogènes. D’où le succès sur Internet des Meyssan et de ses clônes (ce que vous avez appelez la "défaite de la pensée"). D’où le succès phénomènal de ce pauvre Étienne Chouard pourtant complètement à côté de la plaque - mais dont le brulôt était d’une simplicité cristalline à comprendre contrairement au TCE. D’où les rumeurs internetiennes qu’ont balancé les opposants Ségolène Royal sur les difficultés supposés de son couple, l’exhumation un brin douteuse d’une vidéo de Bourdieu, j’en passe et des meilleures.

    Enfin, l’effondrement de la presse fait que la télé est plus puissante que jamais et ça c’est mauvais !

    Pour toutes ces raisons plus celles que vous citez, pour pouvoir bénéficier du meilleur des deux mondes, il faut soutenir la presse libre !

    PS : à propos de Ségolène Royal, je m’excuse d’abuser de votre serviabilité, mais vous êtes mon expert européen préféré ;-) aussi j’aimerais bien savoir ce que vous pensez de ses récentes propositions sur l’Europe, un sujet jusque là soigneusement passé sous silence par elle et ses camarades socialos.


    Mercredi 11 octobre 2006 à 20h25mn29s, par jmfayard
    lien direct : http://lipietz.net/?breve176#forum1102
    • Ségolène européenne ?

      Vous êtes un peu dur pour Internet mais il y a du vrai dans votre assertion paradoxale : la victoire de l’internet sur la presse écrite, c’est la victoire de la télévision. D’habitude on oppose le « de haut vers le bas » de la presse et de la télé au caractère acentré, interactif , de l’internet. On s’aperçoit maintenant que c’est plus complexe : internet remplace un espace centré par plein de petits espaces centrés. Le « zapping » se généralise et élimine le débat, et l’internet y participe. Pour parler comme Hirshman, c’est la victoire de « exit » sur « voice », de la défection sur la l’ouverture du débat.

      Moi je dirais plutôt que l’outil n’est jamais à lui seul déterminant. L’internet est un formidable outil de démocratie , à condition de la vouloir… par ailleurs.

      Pour Ségolène, visiblement elle hésite. Elle commence par reprendre d’un côté le discours officiel du PSE : « Oui, il faut relancer l’Europe à travers la politique, mais la politique ne se réduit pas aux institutions. Il faut redonner aux citoyens une envie d’Europe, et ils ne retrouveront cette envie que s’ils savent pourquoi nous sommes ensemble et pour quoi faire » Bref, faisons d’abord une meilleur politique, ça donnera envie de changer les institutions. Idée sympa mais absurde : l’Europe de Maastricht (qu’elle a défendue en bonne baby-Mitterrand) interdit justement les propositions de politiques et de moyens qu’elle propose, et que j’approuve comme tout le monde ou presque. C’est pourquoi elles ne sont pas appliquées, c’est pourquoi il faut de nouvelles institutions !

      D’où sa réaffirmation mezzo-voce d’une vérité de bon sens : pour une meilleure Europe , faut une Europe capable de faire de la politique, donc avec des institutions différentes. En fait il fallait faire les deux en même temps et ne pas rater le train : d’où, lors de la Convention, l’insertion de la Charte des droits fondamentaux et de l’article 122 pour faire passer le « plus de pouvoir aux élus, et règle de la majorité » qui était le fond du TCE.

      Là , elle reprend la proposition Voggenhuber-Duff (que notre groupe a été le seul à soutenir vraiment), mais sans entrer dans autant de détails que le PE et décalé dans le temps : fin de l’élaboration du projet à la fin de 2008. D’où le vote « partout en même temps » en 2009, et pourquoi pas le jour de l’élection du PE.

      Nous ne croyons plus guère à ce scénario B (d’autant qu’elle ne dit rien de la question à cent balles : quid, si la majorité est pour, des pays qui seront contre) et, tout en défendant toujours, bien seuls (mais bienvenue, Ségolène) la méthode Voggenhubber, nous sommes prêts à nous replier vers un plan B2 : confier au PE élu en 2009 un pouvoir constituant, en disant clairement qu’une fois la constitution adoptée par la majorité, les pays qui seront contre devront dire s’ils y restent ou sortent.

      Nous savons déjà que les communistes, qui sont contre B, seront aussi contre B2. Mais bon. On fera son petit possible.


      Samedi 14 octobre 2006 à 01h13mn14s, par Alain Lipietz
      lien direct : http://lipietz.net/?breve176#forum1105
      • Ségolène européenne ?

        Jmfayard, je soutiens Ségolène (*) mais il est vrai que sur la question de l’Europe politique et fédérale c’est plutôt merdique ; aussi je vous propose d’intervenir (en tant que spécialiste averti du dossier Europe) sur son site, dans l’espoir de voir les lignes bouger dans le bon sens !

        (*) Alain, au 1er tour je voterai D. Voynet ! Promis juré ! :-)

         PS : Jmfayard, je ne sais pas si c’est vous qui jouez du piano mais si c’est le cas : chapeau et Bravo !

        Ecoutez ! :

        http://www.dailymotion.com/jmfayard


        Samedi 14 octobre 2006 à 18h19mn35s, par scoubidou
        lien direct : http://lipietz.net/?breve176#forum1107
  • écologie vs écologie politique

    Je suis amusé de voir combien la question « l’écologie a-t-elle besoin de se situer entre la droite et la gauche ? Tout le monde n’est-il pas aujourd’hui écologiste ? » qui vous a « évidemment » été posée, et à laquelle vous avez du répondre « comme toujours », illustre parfaitement ce que j’ai écrit sur votre forum il y a quelques jours. Car cette énergie que vous (les Verts) passez à répondre à ces questions, et le quiproquo qui perdure avec les citoyens vient probablement principalement de l’utilisation du mot « écologie ». Quel sens avez-vous imaginé que l’animateur du débat (et le public) donnait à ce mot ? En pratique, ce mot veut dire « protection de l’environnement ». En pratique, un « écologiste » est quelqu’un qui est sensible à ces questions, et un « écologiste politique » est un homme (femme) politique qui veut prendre des mesures de protection de l’environnement. En pratique, donc, ce mot ne signifie que très partiellement ce que les Verts entendent par « écologie (politique) ». Vouloir « imposer » notre définition de l’écologie (politique), contre la définition « courante » des citoyens, me semble une perte de temps et d’énergie considérable. J’ai lu avec intérêt les 2 articles de 2000 que vous citez en lien hypertexte et dans lesquels vous parlez de la 3ème gauche : vous y admettez qu’il s’agit d’un débat théorique (mais intéressant), et dites qu’il suffit aux Verts de se nommer « écologistes ». Et bien moi je pense que le terme « écologistes » est pire que le terme « 3ème gauche » parce qu’au moins, cette dernière dénomination n’a pas de définition pré-établie. Pour autant ce n’est pas l’idéal non plus… A mon avis, il faudrait donc trouver une AUTRE FACON DE DEFINIR LES VERTS qui les place d’emblée dans le champ politique général, et affirme la particularité de leurs convictions et de leurs propositions. Je lance donc un concours d’idée !! Je me permets de préciser qu’il ne s’agit pas d’une question théorique ou de simple vocabulaire : il s’agit pour les Verts d’être identifiés à ce qu’ils sont vraiment aujourd’hui.


    Lundi 9 octobre 2006 à 18h06mn46s, par jseb
    lien direct : http://lipietz.net/?breve176#forum1099
    • écologie vs écologie politique

      Eh bien , s’il faut éviter que les Verts soient réduits à l’environnement, ils pourraient s’appeler les Verts ou les Alternatifs...

      D’ailleurs certains partis verts européens continuent à s’appeler alternatifs.

      Mais pour moi c’est tout aussi ambigue. Au moins , parler d’écologie implique d’introduire, entre l’individu et la société, la mediation du territoire et de se poser la question de la soutenabilité dans le temps et l’espace....

      C’etait pareil d’ailleurs pour "socialisme" . Ce mot désignait en 1848 "ceux qui avaient le souci des pauvres" (l’Eglise) et ceux qui voulaient changer les rapports de production (cf Marx et Engels, "Le Manifeste du parti communiste", sur les socialisme réactionnaires et bourgeois).

      Par ailleurs ce n’est pas tout à fait le sujet de la question du journaliste. Supposons meme que tout le monde admette "ma" definition de l’écologie politique (celle du livre "Qu’est-ce que l’écologie politique"). Si ce paradigme devient dominant et au fur et à mesure qu’il le deviendra , tout le monde se mettra à en faire ou du moins à en parler. Donc pourquoi faudra-t-il encore un parti spécifique pour en parler ? parce qu’il sera "le plus résolu et le plus conscient du mouvement d’ensemble"...


      Mardi 10 octobre 2006 à 20h49mn38s, par Alain Lipietz
      lien direct : http://lipietz.net/?breve176#forum1101
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