Cette fois, Dominique, c’est trop !
Jeudi 22 septembre 2011
Retour du Japon, je lis ton interview à TF1. Je suis écœuré. J’ai essayé pendant toute cette affaire, et dès l’origine, de tenir la balance égale entre la présomption de ton innocence et la présomption de sincérité de Natifassou Diallo, jusqu’à imaginer un scénario fondé sur le malentendu mutuel. Quand les preuves ont été révélées d’un rapport sexuel avec tentative de pénétration brutale et éjaculation dans la bouche, il ne restait plus qu’à savoir si ce rapport était « consenti » ou non, et là c’était encore « parole contre parole ». Et là-dessus le procureur Vance a apporté des doutes sur la parole de Natifassou sans questionner la tienne. J’ai montré alors que même si tout ce que disait le procureur était vrai, cela restait compatible avec le témoignage d’une immigrée sans-papière qui raconte un « récit d’amertume » stéréotypé pour obtenir l’asile (récit qui peut être faux mais n’exclut nullement un besoin brûlant de quitter son pays en proie à l’anarchie et aux bandes armées). Les imprécisions sur l’endroit où s’est réfugiée la plaignante après les faits me semblaient parfaitement naturelles en cas de traumatisme, peu plausibles s’il y a eu « complot » ou « piège ». Mais j’indiquais que, bien sûr, si son « protecteur » (je ne connais pas la sociologie des Guinéens de New-York) était un petit « parrain » qui l’utilisait comme mule pour blanchir son argent, il était douteux que, soumis à réélection, le proc poursuive l’inculpation. Ce qui s’est confirmé cet été. Tu avais le droit de te taire, de prendre du champ, de reconstruire ta relation avec ta femme. Tu avais aussi le droit d’ouvrir ton cœur. Ta prestation de TF1 ne m’apparait qu’une minable manœuvre pour influencer le « jury de l’opinion ». À ton crédit : tu avoues la relation (bien obligé) et tu disculpes Mme Diallo de « relation tarifée ». Ce point est important, car cet été a rodé une version sur le net, inspirée visiblement par tes avocats : Mme Diallo serait une prostituée que tu n’aurais pas voulu payer, d’où les traces et de rapport et de violences. Version un peu trop « ad hoc », en miroir des évidences factuelles, mais qui rendait justement compte de tous ces éléments. Je suppose que l’abandon de cette version (après bien d’autres…) vient de l’impossibilité pour tes avocats d’établir que l’intéressée soit une prostituée. Tu avoues ensuite une faute morale et là, mystère : laquelle ? L’infidélité ? On ne convoque pas TF1 pour ça. Moi je vois surtout une faute morale : nous prendre pour des imbéciles en brandissant le rapport du proc censé te disculper. « Le rapport du procurer dit quoi ? prétends-tu. Il dit que Natifassou Dialo a menti sur tout. Toute cette histoire qu’elle a raconté est un mensonge. » C’est toi qui mens sur le texte que tu brandis. Tu m’as fait pensé à Colin Powell brandissant en plein conseil de sécurité de l’ONU une fiole d’anthrax bidon pour justifier l’invasion de l’Irak. Aujourd’hui, tout est sur le net, la version anglaise comme la traduction française du rapport de non-lieu du procureur. Je le cite : « Les preuves physiques, scientifiques et autres établissent que l’accusé a eu un rapport sexuel hâtif, précipité, rapide, avec la plaignante, mais elles ne démontrent pas de manière indépendante qu’il s’agissait d’un rapport forcé et non-consenti. En-dehors de la plaignante et de l’accusé, il n’y a pas d’autre témoin oculaire de l’incident. Par conséquent, indéniablement, un jury de procès ne peut déclarer l’accusé coupable que s’il est persuadé au-delà de tout doute raisonnable que la plaignante est crédible. En effet, l’affaire repose entièrement sur son témoignage. Au moment de l’inculpation, toutes les preuves disponibles nous ont convaincus que la plaignante était digne de confiance. Mais des preuves recueillies pendant notre enquête post-inculpation ont gravement ébranlé sa fiabilité en tant que témoin. Le fait qu’un individu ait menti dans le passé ou commis des actes criminels ne le rend pas nécessairement indigne de foi vis-à-vis de nous en tant que procureurs, ni ne nous empêche d’amener un tel individu à la barre des témoins lors du procès. Mais la nature et le nombre des mensonges de la plaignante nous rendent incapables d’accorder crédit à sa version des faits au-delà du doute raisonnable, quelle que soit la vérité sur la rencontre entre la plaignante et l’accusé. Si nous ne la croyons pas au-delà du doute raisonnable, nous ne pouvons pas demander à un jury de la croire (1) » Et dans cette note (1) le proc t’interdisait à l’avance de lui faire dire ce qu’il n’a pas dit : « 1. Cette motion explique la base de notre demande que l’accusation renvoyée par le grand jury soit abandonnée. Son propos n’est pas de faire des conclusions factuelles. Mais nous ne pouvons tout simplement plus avoir confiance au-delà du doute raisonnable en l’affirmation que l’accusé est coupable. » Un point, c’est tout, et le proc enchaîne par tout un cours de droit sur les devoirs de sa charge. Mais nous nous avons la preuve depuis cette prestation sur TF1 (que rien ne t’obligeait à faire) que tu mens, que tu te fous de nous, en spéculant sur la fracture numérique, qui fait que 98% des téléspectateurs ne liront jamais le contenu du rapport que tu brandissais. La « crébilité » de ta parole ne vaut pas plus que celle de Mme Diallo. Bien sûr tu peux penser que ça te regarde (20 minutes de télé suivies par 46 % des téléspectateurs, quand même…). Bien sûr je te garde mon estime pour la façon dont tu as géré le début de la crise et je suis persuadé que tu étais le meilleur économiste possiblement désignable à ce poste décisif du FMI (et là aussi peut être il y a faute morale : à ce niveau de responsabilité, on doit pendant un temps se conduire comme un moine). Bien sûr tu avais de bons sondages pour battre Sarkozy. Mais l’affaire n’est pas un « fait divers » apolitique, hors-politique. C’est une destruction des avancées de 40 ans de lutte des féministes sur le viol. Non seulement par la façon dont Mme Diallo a été traitée par tes amis de Paris (ce dont tu n’es pas responsable), mais par ta propre façon de te justifier. À supposer même que tu ou elle ou que vous vous soyez séduits l’un l’autre puis ayez « conclu » en 7 minutes, sortie de douche comprise. Il se trouve qu’une femme peut avoir accepté la possibilité d’un rapport sexuel « normal » et se trouve agressée, humiliée, traumatisée par une relation aussi brutale que celle qu’elle a décrite et qu’a confirmée l’enquête scientifique, et considérer que c’était un viol. Et alors c’en est un, même entre époux. Alors reste la possibilité d’un « doute raisonnable » que tu évoques : piège, complot, « nous verrons ». Mais il faudra alors, pour vaincre SA présomption d’innocence, au moins avoir l’ébauche de la preuve d’un complot, avec commanditaire (Sarko ? Lagarde ? les monétaristes allemands ?) et surtout montage du piège. Or c’est justement un élément que ne dément pas le proc, dans l’enquête de la police : « L’enquête [ de la Manhattan Special Victims Squad] n’a pas fait apparaître de signaux d’alerte dans les antécédents de la plaignantes. Elle avait travaillé pendant trois ans à l’Hôtel Sofite, son dossier d’employée ne contenait pas de mention d’incident ou de problèmes disciplinaires, et ses chefs la décrivaient comme une employée modèle. Confrontée au fait qu’elle était entrée aux Etats-Unis en se servant d’un visa et d’un passeport au nom d’une autre personne, elle a aisément admis le fait. Enfin, les preuves disponibles indiquaient que la plaignante ignorait que l’accusé séjournait à l’hôtel et ne pouvait donc pas avoir organisé une rencontre, et qu’elle était entrée dans la suite en croyant que celle-ci était vide. D’autres preuves s’accordaient avec l’hypothèse d’une rencontre non consentie entre la plaignante et l’accusé. » Il ne reste donc qu’une possibilité (s’il ne s’agissait pas d’un viol, si la plaignante n’était pas mécontente de ce rapport) : non un piège, mais une exploitation mensongère des faits, après coup. Bien contente d’une relation si émoustillante avec un French Lover comme toi (j’ai oublié de te féliciter pour ta verdeur, ta capacité de séduction), elle aurait pu prendre peur pour sa place, ou réaliser en découvrant qui tu étais qu’elle pouvait en tirer de l’argent. SI effectivement elle ne s’est pas sentie agressée, alors on peut à la rigueur parler de « piège a posteriori ». Je ne suis pas un féministe béat, j’ai écrit un livre sur une femme (Phèdre) qui a menti en accusant faussement de viol. Mais j’aurais aimé t’entendre dire que bien sûr, si elle a perçu comme un viol cette relation qui a bel et bien eu lieu dans la forme où elle s’en est plainte , elle a parfaitement le droit, elle aussi, à tes excuses, et à demander réparation (symbolique et monétaire) à la justice. C’est le B.A. BA de la notion de justice, ce qui a permis à la civilisation, depuis la Thora et avant, d’échapper à la vendetta. Mais je suis au regret de constater, sur le seul élément factuel que je puisse vérifier moi-même (ton « témoignage » sur le contenu du rapport du procureur, qu’encore une fois rien ne t’obligeait à brandir à la télévision), qu’il n’y a rien à attendre de ta parole en cette affaire.
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