Une journée climatique.
Jeudi 28 juin 2007
Je suis totalement épuisé, je dors entre les réunions (et même j’en rate une), mais cette semaine ne me laisse aucun repos, entre les initiatives contre le changement climatique, la communauté andine et autres suites de la crise de l’OMC, et les suites du sommet européen. Prenons la seule journée de mercredi. OMCMercredi matin, levé "aux horreurs" pour la réunion des coordinateurs de la Commission du Commerce international du Parlement (INTA). Puis, Monsieur O’Sullivan, de la DG Trade (direction générale du commerce international de la Commission européenne), vient rendre compte à la Commission INTA de l’échec à Berlin de la réunion du « G4 », entre l’Union européenne, les USA, l’Inde et le Brésil. Il s’agissait d’obtenir un accord Nord-Sud pour débloquer le cycle de Doha de l’OMC, en discutant avec les deux puissances émergentes les plus représentatives. Celso Amorin, le Brésilien, est parti en claquant la porte : pas assez d’ouverture des marchés agricoles européens. Or, justement, l’Union européenne va accueillir Lula mercredi prochain, à Lisbonne (le Portugal occupe à partir du 1er juillet la présidence de l’Union). J’interviens pour faire observer qu’on ne peut plus considérer que ces deux puissances émergentes soient représentatives des « pays du Sud ». Ce sont deux très grandes puissances de plus en plus perçues par les pays moins avancés et intermédiaires comme des pays rivaux, voire dominants. Par ailleurs, discuter directement avec le Brésil, par-dessus la tête du Mercosur, m’inquiète un peu. Je comprends que l’Union européenne, qui brûle ses dernières cartouches pour essayer de sauver le multilatéralisme et l’OMC, se soit résignée en septembre dernier, avec la communication « Competitive Europe » de la DG Trade et de son Commissaire Mandelson, à négocier de bloc à bloc ou au moins avec de grandes puissances émergentes. C’est ainsi que nous avons compris l’ouverture des négociations avec la Corée, l’Inde, la CAN, l’ACEAN et les cinq morceaux de l’accord de Cotonou (les « APE »). Mais je me demande si le Commissaire Mandelson n’est pas en train de passer une étape supplémentaire : discuter en bilatéral, c’est-à-dire de l’Union européenne vers les pays individuels du Tiers-monde, comme le font les États-Unis. Or, discuter en birégional (de bloc à bloc) plutôt qu’en bilatéral, c’est justement tout ce qui reste de progressiste dans la diplomatie commerciale européenne ! O’Sullivan rassure : la discussion avec le Brésil est strictement politique, l’Union ne cherche pas à détruire le Mercosur. Je reste quand même inquiet, car quand on aborde la question des rapports birégionaux, O’Sullivan nous informe que, bien que les pays de la Communauté Andine se soient mis d’accord, le 14 juin, à la conférence de Tarija, pour ouvrir les négociations avec l’Union européenne (la Bolivie abandonnant ses préalables), la DG Trade s’y oppose… parce que l’Équateur a maintenu sa plainte devant l’OMC contre les tarifs extérieurs européens vis-à-vis de ses bananes ! Manifestement il y a, à tout le moins, des pulsions dans la DG Trade pour en finir avec la tentative d’organisation mondiale du commerce, et même avec les tentatives de négociation avec de regroupements régionaux, et foncer, comme les Américains, vers des traités les plus léonins possibles avec tous les pays du monde pris un à un. Je sais que cette position n’est celle ni du Conseil, ni de la Direction générale des Relations extérieures (la DG Relex) de la Commission, ni du Parlement. Enfin, pour le moment… Encore faudrait-il qu’en face, c’est-à-dire dans l’ex Tiers-monde, la volonté de « faire bloc » soit un peu plus nettement affirmée. Ce n’est pas toujours le cas : le souverainisme ravage encore plus le Tiers-monde que l’Union européenne. ClimatMercredi, je suis invité par le socialiste néerlandais Thijs Berman à une audition qu’il organise avec Dorette Corbey sur les ravages des agrocarburants dans le Tiers-monde. Pas très différente de celle que j’avais organisée le 9 mai (à ce propos, vous pouvez maintenant trouver la plupart des documents de ce colloque sur ce site et en particulier une petite vidéo qui résume très bien les enjeux en quelques minutes). Je souligne dans mon intervention que cette nouvelle initiative témoigne d’une véritable prise de conscience des élus et de l’opinion publique européenne sur les dangers des agrocarburants, en particulier leur monoculture de rente dans les pays du sud. Si une telle prise de conscience avait eu lieu 6 mois plus tôt, le rapport Langen, adopté en décembre dernier, aurait été fortement amendé dans le sens proposé par les Verts. L’idée d’un moratoire sur les objectifs de substitution du pétrole par les agrocarburants est parfaitement justifiée si l’on souhaite que les élus soient informés au préalable de ce à quoi ils consentent (prior informed consent, comme on dit à propos des peuples indigènes chez qui on ouvre des mines !). Les objectifs quantitatifs sont peut-être bons, car il est important de substituer les énergies fossiles par les renouvelables. Mais avant tout, il faut en préciser les critères techniques, sociaux et environnementaux… Pendant que se déroule cette audition, Angela Merkel présente les résultats du sommet du week-end en séance plénière extraordinaire, et les principaux groupes politiques lui répondent. J’y reviendrai plus tard, car il me faut courir à l’audition que j’organise en Commission du commerce international pour préparer mon rapport sur « Commerce international et changement climatique ». D’abord, Bert Metz présente les conclusions-clés du rapport de cette année du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC-IPCC). Bert Metz est le coprésident du groupe de travail n°3, celui qui porte sur les mesures à mettre en œuvre. Je n’avais pas encore lu les conclusions de ce groupe de travail, et mes cheveux se dressent sur la tête. Il apparaît très clairement, dans le rapport de Bert Metz, que non seulement l’objectif d’une stabilisation du climat à son niveau « pré-industriel » est abandonné, mais que même l’objectif d’une augmentation de « seulement » 2 degrés (et en fait il s’agit de 2,4 degrés !) est fortement compromis. Il faudrait pour y arriver que le total des émissions planétaires de gaz à effet de serre commence à baisser dès 2015, et cela impliquerait par exemple que les pays de l’annexe B (les pays développés) aient tous baissé leurs émissions de 30% par rapport à 1990. Ce qui est bien l’objectif de l’Union européenne … si les États-Unis signent pour l’après Kyoto. Ça fait beaucoup de si, et en fait, je sens bien que Metz réfléchit déjà au scénario d’après (le troisième best), celui qui tolèrerait une hausse entre 2,8 et 3,2 degrés ! Comme dit Bert Metz, « l’humanité n’a plus que dix ans pour agir »… Or je ne suis pas sûr qu’elle en soit bien convaincue… Interviennent ensuite les experts, auteurs de l’étude que j’avais commandée sur les effets du commerce sur le changement climatique. Deux points extrêmement intéressants en ressortent. * Le commerce international influe doublement sur le changement climatique. D’abord parce qu’il croît deux à deux fois et demi plus vite que le produit mondial brut. Ensuite parce que cette division géographique du travail implique forcément une explosion des transports. Or ceux-ci peuvent être en « just in time », c’est-à-dire avec la délivrance la plus rapide possible des produits intermédiaires vers les usines d’assemblage, et ensuite de celles-ci vers les clients finaux (et dans ce cas, on achemine les marchandises en avion plutôt qu’en bateau, en camion plutôt qu’en train). Ou alors, ces marchandises sont livrées « just in case », c’est-à-dire qu’elles peuvent être stockées et que leur transport peut être plus lent. Or les camions produisent, par tonne transportée au km, environ cinq fois plus de gaz à effet de serre que le train. Quant au fret aérien, qui représente 1/40e du fret maritime, il produit moitié autant de gaz à effet de serre ! Interdire le fret aérien serait déjà un énorme progrès… Les avantages de compétitivité qu’accordent à leurs entreprises les pays qui ne prennent pas de mesures contre l’effet de serre sont actuellement de l’ordre de quelques pourcents, pour la plupart des produits, même « lourds ». Sauf dans le cas du ciment, où le quota de gaz carbonique nécessaire pour produire une tonne coûte à peu près le prix de la tonne de ciment elle-même ! Mais au-delà de la période Kyoto (2012), ces écarts de compétitivité ne seront plus tolérables. D’ores et déjà, il y a nettement « intérêt » à produire le ciment hors de la zone Kyoto… ce qui aboutit à devoir le transporter et donc à augmenter l’effet de serre… Il devient donc urgent d’établir une taxe d’ajustement à la frontière pour compenser la subvention implicite accordée à leurs exportateurs par les pays hors-Kyoto. Sur ce dernier point clé, qui risque de nous amener à un nouvel affrontement avec les États-Unis et peut-être la Chine, l’OMC n’est pas claire du tout. Une anecdote : sur le site de l’OMC était apparue la précision que l’OMC interdit les taxes aux frontières pour motif énergétique. Cette précision a disparu du site il y a 6 mois... En conclusion des débats, l’un des experts rappelle qu’après tout, les sanctions que recevrait l’Europe de la part de l’OMC seraient au pire des limites à ses propres exportations, et que, dans le cas du veau aux hormones, l’Union européenne a déjà accepté de telles sanctions plutôt que de modifier sa propre réglementation. Mais, alors que je conclus, on vient m’extraire de cette audition pour que j’aille présenter, en Commission économique et monétaire, mon rapport sur l’introduction de l’aviation dans le système d’échange des quotas de CO2. À cette heure tardive de l’après midi, il n’y a plus grand monde en séance, et je constate avec satisfaction que le PPE n’entend apporter que des modifications minimes à mon rapport. Pourvu que ça dure ! Et la journée n’est pas finie. La fondation Heinrich Böll, pour profiter de la présence des experts sur le changement climatique, a organisé un dîner-débat Renate Nikolay, du Cabinet de Peter Mandelson, se montre d’abord très libre-échangiste et défend quasiment la position des États-Unis. Comme je le lui fais remarquer, elle bat en retraite et affirme que, de toutes façons, après 2012, plus rien n’empêchera l’Union européenne d’aller de l’avant dans sa propre politique contre l’effet de serre, que les États-Unis et l’OMC soient d’accord ou pas. Pùrvù que ça dùre…
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