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par Alain Lipietz | 25 juin 2007

Le traité : mini ou maxi ?
Premier bilan du Sommet de Bruxelles des 21-23 juin 2006
Le sommet européen qui vient de s’achever donne mandat à une Conférence Intergouvernementale d’écrire un « Traité de réforme » amendant les traités actuels selon des instructions très précises, reprenant la plupart des dispositions qui avaient été adoptées à la CIG de juin 2004 et présentées aux peuples européens sous le nom de « Traité établissant une constitution pour l’Europe ».

Le TCE avait été largement adopté par le parlement européen en janvier 2005 (mais rejeté par les députés britanniques, tchèques et polonais), ratifié par 18 pays (dont 2 par referendum) et rejeté , par referendum, par la France et les Pays Bas. Le nouveau traité doit être rédigé puis signé en Conseil européen d’ici la fin de l’année 2007, sous présidence portugaise.

Au regard des instructions très précises données par le Sommet, qui gagne et qui perd par rapport au TCE ?

Rappelons d’abord que les articles « inchangés » entre Maastricht–Nice et le TCE (essentiellement : la troisième partie) restent par définition inchangés. Les « nonistes » qui ont porté la plupart de leurs attaques contre cette troisième partie n’ont rien gagné , ni par leur Non, ni par le traité de réforme, et rien perdu non plus par rapport à l’existant (Maastricht-Nice). Toutefois, la troisième partie du TCE contenait de multiples petites améliorations par rapport à l’existant, et il faudra se battre pour que la CIG les conserve... ou en apporte d’autres !

1 Ce que les pays nonistes ont gagné.

Des trois pays qui, sans avoir voté au niveau national, affichaient dès le vote au Parlement européen en janvier 2005 leur hostilité au TCE , l’un a très bien négocié (la Grande Bretagne), et l’autre très mal (la Pologne). La République Tchèque, où les Verts actuellement au gouvernement ont tempéré le souverainisme de Vaclav Klaus, n’a pas joué de rôle significatif.

La Grande Bretagne, par la bouche de Tony Blair reniant sa propre signature de 2004, a obtenu de ne pas être concernée par la Charte des droits fondamentaux de 2001, mais tous les autres lui ont donné la valeur d’un traité (équivalente à la deuxième partie du TCE). De même, elle échappe à une partie (celle concernant la justice et la police) du champs d’extension de la majorité qualifiée et de la codécision avec le Parlement.

En revanche, la Pologne, malgré un barouf qui a failli l’isoler totalement, voire la faire éjecter de la CIG à venir, obtient seulement deux choses. D’une part, la référence à l’héritage spirituel de l’Union européenne devient « héritage religieux ». D’autre part, si la pondération finale des votes en Conseil reste bien celle qui était prévue par le TCE (elle diminue notablement le poids de la Pologne, mais rend à la France son poids démographique, la faisant passer de 9 à 12 %), cette mesure ne s’appliquera pleinement qu’en 2017 (rappelons que, selon le TCE, la nouvelle pondération devait entrer en vigueur dès 2009).

2 Ce que les souverainistes ont gagné.

Le vote clairement souverainiste de la Pologne, de la Grande Bretagne, de la Tchéquie, de la Hollande et d’une partie des citoyens français se voit accorder de nombreuses concessions. Elles sont de pure forme, mais hautement symboliques. Disparaissent ainsi : le mot Constitution, le mot « loi » (la chose continuera à s’appeler "directive"), la référence au drapeau et à l’hymne européen, et surtout la clarté (relative) de la Constitution. Ce qui est proposé est un nouveau traité « international » strictement incompréhensible pour un non-diplomate.

Par ailleurs, le fameux article 6 dont les nonistes de gauche nous ont bassiné les oreilles (« dans le domaine de compétence de l’Union, les lois européennes l’emportent sur les lois nationales »), est supprimé.

Tout ceci est parfaitement cosmétique. Les traités réformés fixeront comment se votent les lois (« directives ») et orienteront par un préambule leurs intentions : ces « méta-règles » forment bien une constitution, comme Maastricht et Nice. Les Non français et hollandais ne m’ont jamais empêché d’arriver dans les villages andins les plus reculés à bord d’une auto frappée du drapeau de l’Europe et d’y être accueilli par les enfants des écoles ou un petit violoniste local sur les notes de L’Hymne à la joie. Et je suis sûr que ça ne changera pas.

Quant à l’article 6, il ne faisait qu’exprimer une jurisprudence admise aussi bien par la Cour de Luxembourg que par notre propre Conseil d’Etat et notre propre Conseil constitutionnel.

3 Ce que les fédéralistes et les démocrates ont sauvé.

Potentiellement, la totalité des acquis positifs du TCE : doublement du champ du vote en codécision entre le Parlement et le Conseil et à la majorité qualifiée en Conseil, extension de la compétence du Parlement à l’ensemble des dépenses budgétaires (y compris l’agriculture), droit d’initiative législative citoyenne (un million de signatures). Mais il faudra être extrêmement vigilant pour conserver les assouplissements apportés par le TCE aux règles de changement des traités (règle des 4/5e, droit d’initiative constitutionnelle pour le Parlement), ainsi que sur la sortie de l’armée européenne de l’OTAN, et sur les droits des femmes, car le mandat est assez peu clair sur ces points. Il semble que, par exemple, l’amorce de droit pénal européen qui criminalisait le proxénétisme (art 271) soit dorénavant soumis au droit de veto d’un seul pays.

À la première lecture, c’est justement les féministes qui perdent le plus dans le nouveau compromis. Les innombrables références à l’objectif d’égalité Hommes-Femmes qui émaillaient le TCE, et qui ne sont pas dans Maastricht-Nice, ont de fortes chances de sauter.

4 Ce que la gauche et les écologistes ont conservé.

On l’a dit : essentiellement le maintien du caractère constitutionnel (traité) de la Charte des droits fondamentaux, sauf pour la Grande Bretagne. Mais apparemment, les écologistes n’ont pas obtenu d’avancée quant aux responsabilités de l’Europe en matière de défense de l’environnement, sauf une référence à la lutte contre le changement climatique : autre thème de mobilisation pour le prochain semestre.

5 Ce que la gauche a perdu.

Fondamentalement, les services publics. Certes les actuels articles 16 (sur la valeur que l’Europe attache à ces services), et l’article 86, qui affirme qu’ils sont soumis aux lois de la concurrence « dans la mesure où ces disposition ne les empêchent ni en droit ni en fait d’accomplir leur mission », sont conservés. Un protocole additionnel demandé par les Pays-Bas avec le soutien des Français mentionne « la grande marge de manœuvre des autorités nationales, régionales et locales ». Mais il supprime l’acquis de l’article 122, obtenu de haute lutte par la Confédération européenne des syndicats lors de la Convention de 2002-2004 : que les services publics marchands (SIEG) doivent se voir garantis les conditions « notamment financières » d’accomplir leur mission, qu’une loi-cadre fixera ces mission set conditions, que les Etats ont la responsabilité « de les fournir et de les financer ». Cette phrase est reprise mais ne concerne plus que les SIG, les services publics non-marchands (police, etc). Encore heureux !

Autrement dit, ce qui était dans le TCE une responsabilité de fournir et financer les services publics est rétrogradé au rang de marge de manœuvre pour les fournir… ou refuser de les fournir.

Il est hautement significatif que ce protocole soit introduit par les gouvernements libéraux français et surtout hollandais. J’ai raconté sur mon blog comment, pendant toute l’année 2006, les libéraux hollandais ont été à la pointe de la bataille contre l’article 122, en se masquant hypocritement derrière l’argument de la liberté locale. Nous venons de voir cette semaine comment la droite a rejeté les paragraphes de mon rapport qui précisément rappelaient cette liberté au nom de la jurisprudence de la Cour de justice. Et naturellement, la droite va continuer à faire passer des directives de libéralisation obligatoire, violant outrageusement cette liberté, en interdisant progressivement aux Etats et collectivités locales de financer les services publics… au nom de la directive « Services » (ex-Bolkestein). C’est ce qui en train de se passer sur la directive postale.

6 Un cas douteux ou drôle, le sort réservé à la concurrence « libre et non faussée ».

L’article 3 du TCE énonçant les objectifs de l’Union sera semble-t-il introduit dans le traité de réforme sous la forme proposée par Angela Merkel. Sur le sujet de la concurrence, qui reste encore aujourd’hui l’ultime argument des nonistes de gauche non repentis, voici le compromis . Dans le traité actuel (Maastricht-Nice), il est écrit « L’Union européenne offre un espace de marché intérieur où la concurrence est libre et ouverte ». Dans le TCE, le mot ouverte était remplacé par non faussée (c’est à dire non faussée par les monopoles ou par le dumping environnemental, social et fiscal). Dans le compromis Merkel, nous avons : « L’Union européenne offre un espace de marché intérieur. » Point !

Voici donc la grande victoire des nonistes de gauche : ils ont obtenu le doit à la concurrence faussée ! C’est exactement ce que demandent les libéraux et les conservateurs au Parlement européen : faire reconnaître que la non-harmonisation fiscale d’un pays à l’autre (qui, aux yeux des économistes et de la gauche, « fausse » la concurrence) soit reconnue comme une forme légitime de « concurrence fiscale ». En attendant que les différences de salaires soient considérées comme une forme légitime de concurrence sociale, et de même pour les différents niveaux nationaux de protection de l’environnement…

7 Sarkozy est-il le père de ce traité ?

C’est ce qu’il semble avoir réussi à faire croire à la presse française (mais pas à la presse des autres pays d’Europe). Il était reconnu, depuis le Non français, qu’on attendrait le départ de Chirac pour essayer d’avancer quelque « plan B », mais c’est bien Madame Merkel, présidente en exercice, qui fut chargée de proposer ce plan. Comme je l’ai raconté sur mon blog, entre le moment de son élection et ce sommet, Sarkozy, qui partait d’une vision très « mini » du traité (juste la partie 1, sans son champ d’application en terme de codécision), a du fortement composer avec les 18 + 2 pays du groupe des « Amis de la Constitution ».

Il semble que Nicolas Sarkozy se soit effectivement beaucoup investi (vieille tradition de la diplomatie française !) pour réduire les résistances nationalistes des Polonais (qui étaient allés jusqu’à l’argument grotesque de vouloir faire payer aux Allemands la diminution de leur population pendant la deuxième guerre mondiale), à propos de la pondération des votes en Conseil.

En réalité, cette affaire de pondération est effectivement mathématiquement compliquée (voir à ce sujet l’article de plusieurs mathématiciens dans un numéro récent de La Recherche, qui concluent que, dans certains cas, il vaut mieux pondérer par la racine carrée de la population, mais que dans le cas de l’Union européenne, il vaut mieux pondérer selon la population elle-même).

En fait, mises à part les qualités déjà connues de Merkel, la vraie révélation de cette nuit de négociations avec la Pologne fût le président lituanien Valdas Adamkus. Ce qui confirme une intuition qui m’avait déjà effleurée (voir « Les Lituaniennes->br138] ») : le rôle de la Lituanie comme élite intellectuelle pro-européenne parmi les nouveaux pays adhérents. Certainement encore plus menacée que la Pologne par le réveil de l’Ours russe, certainement qualifiée par son histoire pour jouer un rôle majeur dans la gestion des frontières orientales de l’Europe (c’est elle qui a refoulé la Horde d’Or, jetant ainsi les bases de la Biélorussie et de l’Ukraine), certainement à l’avant garde des relations avec l’extrême-orient de l’Europe (la Moldavie et l’Ukraine), elle a su rappeler à la Pologne que son ennemi héréditaire n’était pas seulement l’Allemagne !

8 L’inexistence des « Nonistes de gauche » français.

Quant aux nonistes de gauche français, ils ont été totalement inexistants depuis leur « victoire » de 2005 jusqu’à aujourd’hui. Mon hypothèse est que les responsables de cette erreur tragique ne sont finalement pas si mécontents d’un résultat qui, pour l’essentiel, rétablit une bonne part du TCE sans qu’ils aient à le voter (puisqu’il n’y aura pas de référendum). Ils n’auront pas ainsi à se justifier des pertes démocratiques, féministes, écologistes ou sociales qu’impliquerait le maintien des traités de Maastricht-Nice, et peuvent espérer une amnistie rapide devant l’Histoire.

Mais s’ils veulent revenir comme force de proposition dans le débat européen, il faudra qu’ils renoncent définitivement à se disputer dans leur coin sur une Europe idéale, et rentrent, avec des objectifs précis de reconquêtes sociales, démocratiques ou écologistes, dans le débat de la CIG du prochain semestre. Il leur faudra aussi sortir de leur provincialisme, comprendre que la Mer Baltique est la seule mer intérieure de l’Europe (à part Koenigsberg et Sankt-Petersburg) et que, en Europe orientale, le fédéralisme est très clairement progressiste et le souverainisme très clairement réactionnaire.

9. Sur la forme

Le futur traité (de Porto ?) apparaîtra, on l’a dit, comme un sac informe, même s’il permet de recommencer à lutter politiquement au niveau européen. Illisible, dépourvu de souffle et de symboles, adopté par les gouvernements, leurs « sherpas » et leurs diplomates, il marque dans sa fabrication un recul démocratique épouvantable par rapport à la Convention qui rédigea le TCE en interaction avec les partenaires sociaux. L’Europe qui en sortira sera moins inter-gouvernementaliste, plus démocratique, mais elle aura été « octroyée » par des gouvernements à des peuples jugés immatures.

Pas très rassurant.



À noter :

Pour le détail des étapes de la négociation et les objectifs des uns et des autres, voir mon blog sur :
 Le débat de basse intensité pendant la campagne présidentielle française
 La réouverture du débat constitutionnel comme besoin d’"Europe-puissance"
 La prise de position du PE et les reculs de Sarkozy
 Le jeu des pays d’Europe orientale
 Le Sommet de Bruxelles lui-même

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