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par Alain Lipietz | 9 juillet 2015

, Politis
Le Non grec, victoire pour l’Europe
Le Non des Grecs est une immense victoire pour l’Europe. On va enfin sortir du « gouvernement par les règles », on va enfin refaire de la politique, et même de l’économie politique.

Le Non des Grecs est une immense victoire pour l’Europe. On va enfin sortir du « gouvernement par les règles », on va enfin refaire de la politique, et même de l’économie politique. On aurait aussi refait de la politique avec le Oui, d’ailleurs. La pire : démission des Syriza, nouvelles élections, victoire probable de « ce qu’on n’a pas encore essayé » : Aube Dorée. Mais pour bien comprendre, commençons par l’économie politique.

Tous les vrais économistes, qui n’ont pas oublié Keynes, les prix Nobel Stiglitz et Krugman, les vrais praticiens Draghi ou Strauss-Kahn, le savent et le disent (parfois) : la Grèce ne peut pas payer sa dette, pas plus que l’Allemagne ses dettes de guerre. La pressurer pour la faire payer, c’est l’enfoncer dans la récession, donc diminuer ses recettes fiscales, augmenter son déficit au numérateur, diminuer son PNB au dénominateur, donc augmenter son taux d’endettement. Évident ? La Troïka l’a nié, elle est entièrement responsable de l’endettement supplémentaire, depuis 2010, d’un pays dont elle a pris les rênes. La solution est tout aussi évidente : effacer une partie de la dette ou reporter son paiement aux calendes… grecques.

J’étais à Athènes la semaine de le « rupture » des négociations. Maria Karamessini, la plus brillante de mes thésarde, aujourd’hui présidente du Pole emploi, me disait : « Les pays européens pauvres se plaignent : Encore de l’argent pour la Grèce, plus riche que nous ? Mais nous ne demandons pas d’argent ! Nous demandons qu’on nous laisse tranquille un moment, et tu sais bien qu’à cette condition nous pourrons, au final, rembourser plus et plus vite. ». DSK, dans son autocritique Apprendre de ses erreurs (1) ne dit pas autre chose (et Lagarde le sait aussi bien).

« Mais, poursuivait Maria, « ils » veulent nous punir, ou plutôt éviter la contagion. Contagion financière : tous les autres demanderaient la même chose que nous. Et contagion politique, c’est pourquoi Sigmar Gabriel, le chef du SPD allemand, est le plus intraitable. »

Si je peux encore me permettre une correction à la thèse de Maria : diminuer la dette de tous les autres est non seulement probable, mais obligatoire. C’est la leçon Chypriote : l’effacement d’une partie de la dette grecque a mis en faillite certains de ses créanciers. Il faut donc un rééchelonnement des dettes coordonné, au moins à l’échelle européenne. Ce qu’avait compris Hoover avec son « moratoire de 1932 » : pour « raboter » l’insoutenable dette de guerre allemande, il fallait raboter aussi l’insoutenable dette de reconstruction française et belge à l’égard des États-Unis. Et, techniquement, la meilleur solution est en large rééchelonnement : ainsi la dette ne disparait pas de l’actif des créanciers, et peut donc être « monétisée » en tant que de besoin par la Banque centrale. (Pour plus d’explications, voir mon livre Green Deal).

Et là on revient à la politique. Hoover a échoué face au blocage des Français, ce qui a provoqué sa propre défaite et la victoire de Hitler. Mais le monde est bien plus interconnecté que dans les années 1930. Rééchelonner la dette du monde entier (ou du moins les dettes réciproques entre Européens) demande plus qu’un moratoire entre 4 pays. Il s’agit de solder la faillite du régime libéral-productiviste en vigueur depuis les années 80. Il s’agit bien de « reconstruction » , comme après une guerre mondiale. Il faut un nouveau Bretton-Woods. Et il n’est plus de gouvernance ni même de leadership mondial à même de le proposer, de l’organiser.

Sauf justement au sein de l’Europe, ce qui est largement suffisant pour l’Europe du Sud et de l’Est ou les Iles Britanniques. Faire de la politique aujourd’hui (et éviter le retour des fascismes sous le masque des souverainismes nationaux, comme en Hongrie), s’est effacer tous ensembles la crise du modèle ancien, et financer un modèle nouveau, à la mesure de l’autre défi : écologique (et là, la Grèce a des atouts, y compris compétitifs).
Il nous faut plus d’Europe, plus d’intégration, plus de « mécanisme européen de solidarité bancaire et budgétaire », mais avec en outre un traité de rééchelonnement général, et surtout pas un traité de désendettement accéléré de chaque pays isolément (comme le stupide TSCG, traité « de la règle d’or »).

Le NON grec n’est pas un vote souverainiste nationaliste. Appelé par un gouvernement pro-Europe et pro-euro, c’est une vote par procuration pour tous les peuples d’Europe, un cri contre les potions mortifères et incompétentes de la Troïka. Car aucun pays, même la Grèce, n’est une ile. Donc n’envoie jamais s’enquérir pour qui sonne le glas : il sonne pour toi.

1) http://fr.slideshare.net/DominiqueStraussKahn/150627-tweet-greece



À noter :

Rédigé le soir meme du Non grec et publié par Politis le 9 juillet, cet article est déjà dépassé par les évènements.
Ma réaction au soir de l’accord européen du 13 juillet au matin est ici : Le Brest-Litovsk d’Alexis Tsipras

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