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par Alain Lipietz | 3 avril 2019 « Il n’y a aucun intérêt à élire des députés européens qui ne défendront ni l’Europe ni l’écologie » Tribune publiée dans Le Monde.fr, le 2 avril 2019
Je voudrais comprendre. Depuis plusieurs semaines, la presse répète aux écologistes : « Pourquoi refuser une liste unique aux élections européennes avec le PCF, le PS, Génération.s, voire La France insoumise ? Isolés, vous allez dans le mur. » En trente ans dans le « groupe de tête » des listes vertes, je n’avais jamais entendu pareille question. Les élections européennes, seules à la proportionnelle intégrale, semblaient aux commentateurs l’expression naturelle des différentes sensibilités, sans les calculs tactiques où l’on choisit « le moins pire » pour être chaque fois encore plus déçu. Qu’est-ce qui a changé ? Pour la planète : les deux ans que nous accorde le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) pour inverser les émissions de gaz à effet de serre, si l’on veut éviter les + 2° C. Tandis qu’explose la crise alimentation-santé (malbouffe au Nord et faim au Sud) et que menace la sixième extinction des espèces sous le poids de l’agriculture et de la pêche industrielle. A cette situation, il faut des réponses locales et globales, et l’Europe pèsera – ou pas – d’un poids décisif dans la mobilisation mondiale et dans l’efficacité des politiques locales. Cela suppose d’abord que l’on fasse de la crise écologique l’objectif prioritaire, et que l’on exige plus d’Europe et mieux d’Europe. Or, il n’y a là-dessus, hélas, aucune unanimité entre les forces politiques que l’on appelle ainsi à former une liste unique ! Elles peuvent certes gouverner ensemble une municipalité. Mais dans une élection européenne, chaque voix compte pour élire une députée ou un député (par la proportionnelle), et chaque élu compte sur chaque directive (car à Bruxelles sur chaque vote il faut une « majorité d’idée »). Verra-t-on le PCF voter le renforcement de l’Europe ?Sous le titre « Plus d’excuse pour ne pas mener les combats ensemble ! », Place publique – le mouvement lancé par Raphaël Glucksmann –, a énuméré les « dix points » qui, à l’en croire, feraient consensus à gauche, parmi lesquels « faire passer l’écologie avant l’austérité », « bâtir une société respectueuse du vivant » et instaurer « une fiscalité européenne juste ». C’est triste à dire, mais si au Parlement européen le groupe des Verts a soutenu en effet ces orientations, c’est très loin d’être le cas des autres forces politiques ! Verr -t-on le PCF voter la sortie du nucléaire et le renforcement de l’Europe ? Le PS voter demain contre les aberrations économiques qu’il a toutes votées et appliquées et qui ont fait le lit des populismes ? Il n’y a « plus d’excuse », en effet, pour l’électorat écologiste et proeuropéen, et aucun intérêt à élire des députés européens qui ne défendront ni l’Europe ni l’écologie. Voyons l’objection du « mur » vers lequel la division enverrait la gauche et les écologistes. Les sondages montrent actuellement une course en tête des listes de l’alliance macroniste (« Pour une renaissance européenne ») et du Rassemblement national, chacune autour de 20 %, puis trois listes entre 8 % et 11 % : le parti Les Républicains (LR), La France insoumise (LFI), et Europe Ecologie-Les Verts (EELV). Les autres sont loin de la barre des 5 %, le PS la chevauche. Les prochains eurodéputés français socialement progressistes seront donc LFI et EELV et peut-être PS. Si La France insoumise s’est investie de manière probablement sincère mais encore inexpérimentée vers la prise en compte de l’écologie, le débat entre ces listes sera bel et bien sur l’Europe elle-même : entre une option eurosceptique (« On la change ou on la quitte ») ou euro-exigeante (« On y reste et on la change »). Recoudre une société déchiréeTel est le vrai enjeu pour la gauche du XXIe siècle : sauver et changer l’Europe, pour sauver la paix, le climat et la planète, et recoudre en France une société déchirée par les inégalités et la disparition de services publics. Il ne s’agit pas seulement de « la fin du monde et de la fin du mois », mais de la suite et fin de notre vie à nous, de celle de nos proches. Seule une Europe forte et réorientée aura les moyens et la volonté de peser diplomatiquement, légalement, fiscalement, budgétairement… Le problème du « mur » se réduit à la survie d’un parti social-libéral, le PS, à la lisière des 5 %. L’électorat et les militants de Génération·s (le parti fondé par Benoît Hamon) ont le choix entre le retour au bercail social-libéral et le renforcement de l’écologie politique. Est-il vraiment utile de maintenir des options intermédiaires qui font perdre des eurodéputés aux uns comme aux autres ? Un exemple : à la tête de la liste EELV, Yannick Jadot, ex-secrétaire national de Greenpeace, est entouré de personnalités telles Karima Delli, issue des quartiers populaires de Tourcoing (Nord) et actuelle présidente de la commission des transports du Parlement européen, ou Damien Carême, maire de Grande-Synthe (Nord), banlieue ouvrière de Dunkerque, où il pratique une politique exceptionnelle d’accueil des migrants, de gratuité des transports et toutes sortes d’initiatives écologiquement exemplaires. Or il fut élu comme… socialiste ! Sans barguigner, il a rejoint le parti le plus proche de ce qu’il pense désormais… Alors pourquoi l’obsession d’une liste fusionnée ? Parce que peut-être EELV se trouve être désormais la seule force importante, en France, entre le centre droit macronien et La France insoumise. Aux yeux de certains, cela lui impose la responsabilité de rassembler au-delà de l’écologie. J’entends l’argument. Mais il relève de la politique nationale, locale, pas de la politique européenne. Alain Lipietz (Membre du parti Europe Europe Écologie - Les Verts, ancien député européen (Vert) de 1999 à 2009) |
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