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par Alain Lipietz | 3 mai 2023

Camarade président Lula, laisseras-tu dans l’histoire le souvenir d’un dirigeant qui dit stop à Vladimir Poutine ?
Lettre ouverte publiée dans Le Monde, 2 mai 2023
LANGUE ET TRADUCTIONS DE L’ARTICLE :
Langue de cet article : français
  • Português do Brasil  :

    Estou surpreso de ouvir você desaprovar o presidente Joe Biden por “encorajar a continuidade da guerra na Ucrânia”, ao ajudar a magnífica resistência do povo ucraniano contra a invasão russa, decidida pelo ditador V. Putin. Um invasor que diz e que reitera conceber apenas uma paz: a concretização da conquista das cinco regiões da Ucrânia e a “desnazificação” do resto. Todas essas regiões, a Criméia inclusa, votaram pela independência da Ucrânia e, nas eleições presidenciais de 2019, nas zonas não ocupadas, votaram pelo presidente Zelensky.


Une version réduite de cete lettre est publiée dans Le Monde du 2 mai

« Camarade président Lula, laisseras-tu dans l’histoire le souvenir d’un dirigeant qui dit stop à Vladimir Poutine ? »

Monsieur le Président, Cher camarade

Nous nous sommes rencontrés en 1984 au siège du syndicat des Métallos de San Bernardo, cette énorme pyramide inversée. Tu m’as entrainé dans une gargote et m’a raconté ta vie de fils d’un immigré du Pernambouc à Sao Paulo, « là où, me disais-tu, les enfants pleurent mais le père ne les voit pas. » J’ai tout de suite eu confiance qu’un jour tu serais Président de ton grand pays. Et j’ai soutenu cette perspective dans la gauche et chez les écologistes français. Vingt ans plus tard, le 7 décembre 2004 à Cuzco, sur ton invitation, je fus le seul invité étranger à parrainer, en ma qualité de président de la délégation du Parlement européen pour la Communauté andine, la naissance de la Communauté Sud-Américaine des Nations que tu avais créée avec le président Chavez.

Tu commences aujourd’hui un troisième mandat après une victoire sur le terrible Jair Bolsonaro, ennemi de la Planète et des droits humains. Nous, gens de gauche et écologistes français et européens, avons salué cette victoire à l’égal de celle de Joe Biden sur Donald Trump, et pour les mêmes raisons.

C’est pourquoi je suis stupéfait de t’entendre reprocher à ce même président Joe Biden d’« encourager la poursuite de la guerre en Ukraine » en aidant la magnifique résistance du Peuple ukrainien face à l’invasion russe décidée par le dictateur V. Poutine. Un envahisseur qui dit et répète ne concevoir qu’une seule paix : sur la base de la conquête définitive de 5 régions de l’Ukraine et de la « dénazification » du reste. Toutes ces régions, y compris la Crimée, avaient voté pour l’indépendance de l’Ukraine et, lors de l’élections présidentielle de 2019, voté pour le président Zelensky dans les zones non occupées...

Entendons-nous bien. Je sais parfaitement que le Brésil a voté toutes les résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies contre cette agression, et en faveur du rétablissement de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de la République d’Ukraine. Je salue cette claire déclaration de principe. Mais la question que je te pose, c’est : « Quelle contribution apporte le Brésil, sous ta direction, pour pousser la Russie à respecter cette prise de position de la majorité écrasante des pays du monde, c’est à dire à évacuer sans délais les cinq régions qu’elle prétend annexer, et reconnaitre au Peuple ukrainien la liberté de choisir souverainement son modèle économique, ses amitiés et ses alliances ? »

Jusqu’ici, le Brésil refuse de fournir des armes à ce petit pays, l’Ukraine, qui ne dispose pas d’industrie d’armement. Il refuse même d’appliquer de simples sanctions économiques au pays qui viole outrageusement le droit international, comme le Brésil l’a reconnu, et dont les troupes d’occupation pillent, violent, exécutent, torturent, volent des milliers d’enfant pour les faire adopter par des couples russes, et dont les bombardements ont volontairement privé de chauffage et d’électricité tout un peuple pendant le terrible hiver ukrainien (une saison que certes le Brésil, pays tropical, ne connaît pas).

Tu pourrais dire « C’est une affaire européenne, c’est loin, ça ne nous regarde pas. » Mais ce n’est pas ton discours : tu prends la parole, tu critiques non pas l’envahisseur mais le pays qui aide le plus le pays envahi, lui reprochant en somme de retarder la capitulation de l’Ukraine ! Tu pourrais dire encore « Je veux pouvoir servir comme médiateur pour les futures négociations de paix » ? Ne t’inquiète pas : par l’intermédiaire de la Turquie (qui empêche la flotte russe de franchir les Détroits pour attaquer Odessa, et livre des drônes à l’armée ukrainienne), par l’intermédiaire du Secrétaire général des Nations-Unies, le dialogue n’a jamais cessé entre Ukraine et Russie pour échanger des prisonniers, assurer les livraisons alimentaires à travers la Mer Noire...

Je comprends qu’il peut être difficile d’approuver les USA, quand le peuple brésilien fut soumis de 1964 à 1985 à la dictature des généraux Castelo Branco, Couto e Silva et Medici, comme le furent ses voisins chiliens, argentins et les autres, dans le cadre du Plan Condor dirigé en sous-main par la CIA. Il peut sembler difficile, quarante ans plus tard, de se retrouver dans le même « camp » que les USA. Mais en tant que fondateur et leader du Partido dos Trabalhadores, tu sais bien que ce ne sont pas les pays qui composent les « camps », mais les travailleurs, les démocrates, les féministes, les écologistes, contre ceux qui exploitent, oppriment, saccagent. Un pays n’appartint à un « camp » que par la couleur de sa direction politique. Et tu sais bien que la Russie sous Poutine est dans le « camp » des Bolsonaro, Medici, Videla, Galtieri, Pinochet...

Dans les années 1960, ma génération manifestait contre la guerre que notre gouvernement menait contre le Peuple algérien. Dans les années 70, en Europe comme aux USA, contre la guerre menée par Nixon contre le Peuple viet-namien. Dans les années 65-85 nous manifestions contre les coups d’État au Brésil, en Argentine, au Chili, nous accueillions chez nous les réfugié.es, les enfants des militantes exilées naissaient chez nous, nous leur cherchions du travail, et pour ceux qui restaient là-bas : des armes, de l’argent. Et maintenant tu critiques ceux qui aident la résistance d’un peuples agressé, martyrisé ? Que nous diras-tu alors, si des émules de Bolsonaro organisent un nouveau golpe au Brésil ? Que nous devons « condamner le golpe », mais ne pas « aider » la résistance et le gouvernement légal renversé, car ce serait ralentir la marche vers la paix des cimetières ?

Tes anciens camarades de la direction du Syndicat des métallurgistes du Donbass sont en première ligne, depuis 2014, face à l’agression russe. Près de la moitié ont déjà donné leur vie pour leur patrie. Crois-tu qu’ils refusent les armes que les États voisins, les États européens et les USA leur fournissent ?

Ou alors diras-tu que le Président Biden aide le peuple ukrainien pour de mauvaises raisons ? Qu’il veut encore redorer le blason des USA en jouant, comme jadis G.W. Bush en Asie de l’Ouest, les policiers du monde au nom de la démocratie ? N’as-tu pas remarqué que, juste avant d’aider le peuple ukrainien, Joe Biden a retiré l’armée US d’Afghanistan, parce qu’il avait compris que l’on peut « aider » un peuple en lutte face aux Talibans, mais on ne peut pas les combattre à sa place ?

En réalité, les USA, comme la Grande Bretagne et la France, soutiennent la résistance ukrainienne (en lui livrant des armes, des blocs hospitaliers, des générateurs électriques, etc.) pour une raison bien simple : ces pays s’y savent obligés par les engagements internationaux qu’ils ont pris et qui garantissent une relative paix mondiale. Ils savent qu’à terme il serait plus coûteux de « n’avoir rien fait ».

En 1994, par le Memorandum de Budapest, l’Ukraine a renoncé à toutes ses armes nucléaires en échange de la « garantie de son intégrité territoriale et de sa souveraineté » par 3 pays : la Fédération de Russie, les USA et la Grande-Bretagne, bientôt rejoints par la Chine et la France. Cette garantie a été confirmée le 4 décembre 2009 par la Russie et les Etats-Unis. Et par une hallucinante félonie, c’est un de ces signataires, la Russie, celle qui avait récupéré l’armement nucléaire ukrainien en échange de sa « garantie d’intégrité et de souveraineté », qui envahit aujourd’hui l’Ukraine, l’un des rares pays à avoir renoncé à l’arsenal nucléaire qui lui aurait certainement épargné cette invasion !

On peut trouver la mise en œuvre de leur garantie par les USA, la Grande Bretagne et la France ou prudente, ou pusillanime : « On vous livre des armes, débrouillez-vous avec, vous n’obtiendrez rien de plus de nous qu’un boycott du commerce avec la Russie. » Mais que dire de la semi-félonie de la Chine, autre « garante », qui profite de la situation pour financer la guerre russe en achetant à bas prix son pétrole et son gaz, transformant la Russie en semi-colonie « comprador » de la Chine ?

Qui désormais pourra croire que la « garantie internationale » est une protection suffisante et supérieure à l’armement nucléaire ? Si le monde entier ne se dresse pas contre l’agresseur, par de rigoureuses sanctions économiques mondiales jusqu’à ce qu’il retire ces troupes (car « la paix » n’a pas d’autre signification), au nom de quoi pourra-t-on désormais empêcher tous les pays qui en ont les moyens de se doter de l’arme nucléaire, avec cette conséquence : la prolifération nucléaire et les risques effroyables qu’elle comporte ? Le Brésil est-il indifférent à cette question ?

Aujourd’hui, l’agression russe – que le Brésil, encore une fois, a condamnée, je le sais ! – met tous les gouvernements, tous les partis, tous les peuples du monde au pied du mur. De même qu’en 1936-39 la « non-intervention » face au pronunciamento de Franco en Espagne, à l’agression de l’Éthiopie par Mussolini, au démantèlement de la Tchécoslovaquie par Hitler, a mené tout droit à la guerre mondiale en encourageant la démesure nazie, de même la non-intervention de ceux qui « condamnent » mais ne font rien, voire aident commercialement l’agresseur, nous conduit tout droit vers une nouvelle guerre mondiale. Car, vue d’Europe la suite est connue d’avance. Vladimir Poutine ne s’en cache pas : il veut reconstituer le Grand empire russe de Catherine II et de Staline. Après l’Ukraine, ce sera la Géorgie, la Moldavie, les Pays Baltes, la Pologne, la Finlande... Et alors il sera trop tard. Et tous ces pays l’ont bien compris, qui aident eux aussi la résistance ukrainienne à la mesure de leurs moyens.

Camarade Président Lula, laisseras-tu dans l’Histoire le souvenir du dirigeant d’un pays majeur sur la scène mondiale, qui aura su, à temps, dire à V. Poutine : « Stop ! Recule ! » et qui aura pris des mesures pour aider à l’y contraindre ? Ou au contraire celui qui aura dit : « Cessons d’aider la résistance ukrainienne, laissons Poutine annexer ce qu’il a déjà conquis, et encore autant qu’il veut et peut... » ?

De l’homme, du camarade que j’ai connu, je n’attends que la première réponse. Et qu’elle vienne le plus tôt possible, Monsieur le Président.

Alain Lipietz

Ancien vice-président du Parlement Euro-latino-américain




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