Europe : la nouvelle bataille constitutionnelle
Samedi 26 mai 2007
Ma semaine strasbourgeoise est entrelacée de campagnes locales (les législatives françaises) et de débats européens. Au Parlement européen, les votes révèlent des évolutions assez compliquées, tandis que le débat sur la Constitution redémarre sur les chapeaux de roues. Les week-ends : distributions de tracts aux marchés de Villejuif et Cachan, tournage de petites vidéos pour mon site de campagne. Lundi soir, à Villejuif nord, mardi soir à Strasbourg, mercredi soir à Haguenau : réunions-débats pour les législatives. Vendredi soir, 6mn d’interview sur FR3 Ile-de-France. Je fais de mon mieux pour soulever les espérances. Mais je suis assez consterné, au Parlement européen à Strasbourg, par le bas moral du reste de la gauche, et du centre (lequel a été déserté par 22 députés, contre un eurodéputé et trois conseillers municipaux verts passé au Modem !). Le PS, ravagé par une guerre de succession interne, a non seulement poussé les Verts à la rupture par une proposition d’une faiblesse provocatrice, mais se montre totalement incapable de tendre la main de l’autre côté, vers le Modem. En face, Sarkozy joue l’ouverture, tout en arrosant le plus vite possible sa véritable base sociale (la France d’en haut) de multiples promesses fiscales… VotesUn premier vote très intéressant a lieu sur le rapport Lulling à propos des accises (les taxes) sur les alcools. On se souvient que la députée luxembourgeoise PPE, Madame Lulling, avait entraîné la Commission économique et monétaire sur une proposition radicale : supprimer l’harmonisation sur les accises. Cette position, typique du détricotage libéral de l’Europe politique, avait de très multiples inconvénients, y compris pour la droite : elle encourageait soit à la contrebande d’alcool, soit à la concurrence fiscale vers le bas de la taxation de l’alcool. Or, tout de même, si tous les États ne sont pas aussi prohibitionnistes que la Suède, tous cherchent à limiter les excès de la consommation d’alcool par une écotaxe, tous rechigneraient à perdre des recettes fiscales. Résultat, en plénière, plusieurs amendements au rapport Lulling présentés par la gauche et nous sont adoptés, et en inversent complètement le sens. Madame Lulling appelle donc à voter contre son propre rapport, qui est rejeté à une très large majorité ! Autre bizarrerie, le rapport Caspary qui réagit à la nouvelle politique commerciale du Commissaire Mandelson. Le rapport est très libéral, mais, de façon assez inattendue, tous les socialistes adoptent des amendements visant à brider ce libéralisme, y compris ceux d’entre eux qui sont notoirement partisans du libre-échange le plus poussé, comme la sociale-démocrate allemande Erika Mann. Le rapport ainsi amendé n’est pas bien bon, mais, visiblement, il est en train de se passer quelque chose : une véritable demande d’Europe comme protection contre les effets pervers de la globalisation. En revanche, la tentative des Verts d’opposer une version plus équilibrée à l’offensive de la droite contre Chavez à propos de la radio RCTV se heurte à l’attitude des libéraux. À la réunion de conciliation, le PS se rallie à ma motion légèrement amendée par les communistes, et le libéral (maltais) nous déclare qu’il est plutôt d’accord avec les Verts, mais que son groupe soutiendra la position du PPE qui, dans ces conditions, est adoptée. Dernière bataille un peu bizarre, la nomination de la partie européenne du bureau d’Eurolat (le parlement euro-latino-américain). Le candidat de la droite, Ignacio Salafranca, était sur le papier élu d’avance président. C’est effectivement le cas, mais il ne l’emporte que de quelques voix face au socialiste Emilio Fava. On passe à l’élection des vice-présidents. Là, le PPE demande encore une vice-présidence. Au premier tour, c’est le socialiste puis la libérale qui obtiennent les deux premières vice-présidences. Au second tour, j’obtiens la troisième, devant une non inscrite slovaque fort sympathique, Irina Belohorska, et enfin seulement le PPE puis le communiste. Là encore, se manifestent certainement des instabilités inattendues du côté des libéraux et des petits groupes de droite. ConstitutionMais la grande affaire de la semaine, c’est évidemment la relance du débat sur la Constitution. L’élection de Sarkozy, comme prévu, a brutalement accéléré le débat constitutionnel qui n’avait jamais cessé dans les autres pays. Mais l’élection française était décisive : si Ségolène l’emportait , le Non français aurait clairement été identifié comme de gauche, fédéraliste, pour une Europe sociale et écologiste, à adopter par referendum, et le « plan B » aurait dû être recherché dans ce sens, c’est-à-dire un poil à gauche du TCE. Forcément pas très loin quand même, car la grande majorité des pays a déjà voté Oui, que ce soit par la voie parlementaire ou référendaire ! L’élection de Sarkozy, poursuivant la séquence ouverte en 2002 (le duel Chirac-Le Pen), clarifie rétroactivement, aux yeux des diplomates, le Non français : une France de droite, un Non pas si loin du Non néerlandais, préférant un traité plutôt intergouvernementaliste et donc pro-libéral, adoptable par une majorité parlementaire de droite. D’ailleurs le soi-disant « non de gauche » a été balayé, pas seulement en voix, mais inexistant sur le fond dans la campagne présidentielle. Le « plan B » qui tient donc la corde à l’issue de la (ré)élection de Sarkozy sera donc un traité aussi près de Maastricht-Nice que possible… mais quand même différent. C’est ce qu’on appelle le « mini-traité ». J’ai déjà abordé sur mon blog, sur mon site, et dans la presse le nouveau dispositif de la bataille. Voir par exemple mon article de Politis et ma réponse à F. Supiot. La première question que l’on se pose, c’est : pourquoi, après tout, même la droite a-t-elle besoin d’un pan B, alors qu’avec Maastricht-Nice elle dispose de la constitution la plus libérale de l’Histoire du capitalisme ? En fait la question revient à : pourquoi une partie de la droite européenne était-elle pour le Oui ? En deux mots : le TCE fut un compromis, sous le patronage de Schroeder et Fisher, entre, d’une part, une fraction européiste du capital (la base sociale de l’UNICE, le Medef européen : les PME qui attendent une certaine protection contre le vaste monde, mais aussi une partie du grand capital industriel, contre le capital financier « globaliste » qui a fait campagne pour le Non) et, d’autre part, la gauche sociale-démocrate ou écologiste. La droite y gagnait ce que nous les Verts appelons péjorativement « Europe puissance », c’est-à-dire assez forte pour peser face aux États-Unis (surtout après la guerre du Golfe et la résistance organisée par Chirac et Shroeder) et aux puissances asiatiques (Japon, Chine, Corée, Inde). Les Verts ont peur d’y voir une nouvelle puissance impériale, mais depuis l’affaire de l’inscription de l’aviation dans le quota d’effet de serre, je commence à mieux en mesurer l’intérêt ! La gauche et les écolos y gagnaient la Charte des droits fondamentaux (IIè partie du TCE], l’article III-122 en défense des services publics, le passage de la grande majorité des décisions en codécision avec le parlement, y compris la PAC et les fonds régionaux, et pas mal d’autres avancées dans les domaines écologique, social, démocratique ou féministe. Globalement, la vraie droite ultra-libérale (Financial Times) ou populiste était pour le Non, et le centre et la gauche pour le Oui (y compris une partie des communistes européens). Le vote en Parlement européen montrait à la fois la géographie nationale et politique des deux camps. Personne ne doutait que la Grande Bretagne, la Tchéquie et la Pologne seraient pour le Non et on se préparait à négocier un arrangement avec ces trois pays. Le Non français et hollandais fut donc une claque historique pour la gauche mais aussi pour cette partie de la droite qui souhaitaient « l’Europe puissance ». De la gauche française, divisée, rien n’est vraiment venu pour s’en sortir. Les Verts ont multiplié en vain les initiatives (rapport Voggenhuber, Plan A+ de Gérard Onesta). Mais à droite un plan B n’attendait que la victoire de Sarko pour s’ébranler, sous la houlette de l’Allemande Merkel et sous la surveillance sourcilleuse de Gordon Brown, encore plus anti-européen que Tony Blair, et des 3 pays au Non clairement de droite (Pologne, Tchéquie et Pays Bas) : le « mini-traité ». Il semble simple : acter les quelques éléments d’Europe-puissance contenus dans le TCE (un peu plus de majorité en intergouvernemental, un ministre des affaires étrangères pouvant sans ridicule s’exprimer sur l’Iran, etc), enterrer tout ce qui avait été concédé à la gauche et aux Verts en 2004. En face, il y a d’abord les 18 pays qui ont voté Oui et qui considèrent que le compromis tient toujours. Ils sont rejoints par deux pays qui n’ont pas voté mais étaient présents à la réunion des « amis de la constitution », l’un parce qu’il est un peu plus à gauche (la Suède), l’autre (l’Irlande) parce qu’il est un peu plus à droite, mais plus proche dans ses intérêts du TCE que de ce dont rêvent les libéraux : en rester à Maastricht-Nice. Mais ce front ne tiendra pas longtemps face à une proposition Merkel-Sarko-Gordon Brown appuyée par les Pays Bas, la Tchéquie, la Pologne. En fait Merkel est ambiguë. Elle veut clairement l’Europe puissance et, de par son alliance avec le SPD, mais aussi par conviction, doit concéder quelque chose à la gauche. En même temps, l’Allemagne profite au plan international de la disparition de l’Europe politique : elle représente à elle seule toute l’Europe. Mais ce n’est qu’un gain à court terme, et elle le sait. Donc la stratégie verte serait de bloquer le plan B de la droite et de s’appuyer sur les pays ayant déjà voté Oui pour sauver le plus possible du TCE. On comptera sans doute les points en fin d’année, les « anti-libéraux en fait pro-Niçois » français, type Chevènement ou Jennar étant a priori comptés dans le camp du mini-traité (vont quand même pas défendre le TCE !!) Alors, le PE ? Eh bien, sa Commission des affaires constitutionnelles se réunissait lundi, les Premiers ministres italien (Prodi) et néerlandais (Belkanende) comparaissaient devant la plénière, pendant que Sarkozy allait s’expliquer à Bruxelles. Le plan Sarkozy semble reprendre la quasi totalité de la première partie et même de la 4e (les procédures de révision), ignorant bien entendu la IIè (les droits fondamentaux) et laissant en l’état le morceau des traités actuels qui avait été intégré, modifié, dans la troisième partie. Or c’est là, dans cette troisième partie, qu’étaient inscrits, paragraphe par paragraphe, les domaines qui passaient de la règle de l’unanimité à la règle de la codécision et de la majorité ! On voit la ruse : en adoptant la première partie, le plan Sarkozy feint de donner des gages aux partisans (sociaux démocrates ou écologistes) d’une concurrence mieux régulée, tout en laissant dans les faits la plupart des domaines dans l’état actuel, hors de portée d’une régulation politique et abandonnés aux lois de la « concurrence libre et ouverte ». Quant à l’oubli de la seconde partie et des articles nouveaux de la IIIè partie, nous avons appris en France à en mesurer la portée. Par exemple, le gros de l’année 2006 a été consacré à une bataille (perdue) pour rétablir l’article 122 sur les services publics. La charte des droits fondamentaux (IIe partie du TCE) rendait d’office inconstitutionnels le CPE et le CNE. Idem pour les féministes qui luttent contre le proxénétisme (et perdent le III-271), pour les faucheurs d’OGM (le PE aurait eu la main sur les autorisation de mise en culture de la Commission), etc. Face à ce plan, la Commission des affaires constitutionnelles adopte dès le lundi soir le rapport Brock-Crespo rejetant tout retour en arrière sur les avancées du TCE et en particulier la constitutionnalisation des droits fondamentaux. Le vote en plénière aura lieu le 6 juin ! Mardi midi, Romano Prodi défend la même position, acclamé par le Parlement. Dans leur réponse, les socialistes (par la bouche de Martin Schultz), les libéraux démocrates (Graham Watson) et les Verts (Monica Frassoni) apportent leur chaleureux soutien. Mais le nouveau président du PPE, l’UMP Joseph Daul, ainsi que la présidente de l’UEN (droite souverainiste), Christiana Muscardini, défendent le plan Sarkozy (auquel ils assimilent la position de Merkel). Pour l’extrême droite (ITS de Le Pen et Indépendance et Démocratie de De Villiers), le plan Sarkozy est encore trop européen : le Non français et hollandais signifie qu’on doit en rester là (c’est-à-dire à Maastricht-Nice). Quant au communiste Francis Wurtz, il se contente d’un discours un peu décalé sur la nécessité d’une harmonisation fiscale (problème important, on vient de le voir sur les accises, mais qui n’est ni dans le traité actuel, ni dans le TCE ni dans le plan Sarkozy). Francis est-il vraiment sûr que ce qui lui reste de base souhaiterait que les Anglais et les Polonais déterminent par leur vote le système d’imposition en France ? Mercredi, douche froide de Jan Peter Belkanende. Le Premier ministre des Pays Bas, qui était personnellement pour le Oui, interprète le véritable rejet des électeurs comme un trop plein d’Europe (euro, élargissement, immigration, harmonisation des lois…) Il a raison : selon les sondages, ses concitoyens ne veulent ni du mot Constitution, ni du drapeau aux 12 étoiles, ni même de l’Hymne à la Joie ! Selon lui, une seule solution : en arrière toute, à petit pas. Lutte incertaine donc. Le prochain traité sera entre "un peu mieux que Maastricht-Nice " et "moins bien que le TCE". Mais où sera le curseur ? Encore faudra-t-il, cette fois, en France, bien en comprendre les enjeux.
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