Début de campagne européenne
Dimanche 8 février 2009
Depuis que Dany Cohn-Bendit m’a désigné porte-parole pour sa campagne des élections européennes, ma vie devient difficile. Je dois en effet combiner le début de la campagne avec... l’achèvement de mon mandat. Or, le travail au Parlement européen s’accélère, car il faut terminer ce qui a été entrepris. Je n’ai plus de rapport à rédiger en propre, mais j’organise une ultime initiative, le 2 avril à Paris, sur la question de l’alimentation carnée, car je me suis aperçu, à l’occasion du débat sur les agrocarburants, que la croissance de celle-ci pèse au moins autant, par son empreinte écologique, sur les déséquilibres alimentaires mondiaux. Retenez cette date, je vous en dirai plus. Au retour de Belém, j’ai dû en outre consacrer beaucoup de temps à rédiger d’une part mon billet sur le FSM (avec les photos !) ainsi que mes interventions là-bas sur la paix, l’immigration et les biens communs, d’autre part mon billet racontant l’audience du Conseil d’État sur la responsabilité de l’État français dans la Shoah, et sur l’imprescritibilité de ce crime. Du coup je n’ai pu rendre compte de mon activité, ce que vais faire ici le plus brièvement possible. TrainsLundi 2 février. Je prends le train pour la plénière de Strasbourg. Quoique habitant à quelques minutes d’Orly et à 45 minutes de la gare de l’Est, je m’astreins désormais à prendre le train pour limiter mon empreinte écologique. Je dois juste arriver pour un vote important en commission INTA sur le commerce des phoques. Le lobby de protection des phoques nous a inondés de mails. Hélas ! Notre TGV s’arrête en rase campagne, on nous annonce que le TGV précédent a été caillassé. Ca m’énerve un peu, ces attaques contre les TGV. Même si je pense qu’Yldune Lévy et Julien Coupat ne sont pas coupables (car ils sont écologistes), il faut bien que d’autres s’amusent à saboter les caténaires et à caillasser les trains. Leur mobile m’échappe totalement. Des partisans radicaux de l’avion, ou de la décroissance des déplacements ? Bref, j’arrive en retard, et en trois tramways je parviens au Parlement européen, où les votes sont commencés. Malheureusement, ma voix ne permet pas aux défenseurs des phoques de renverser la tendance, les votes se stabilisent à 14-12 sur tous les amendements qui renforcent le droit de chasser les phoques et d’en faire commerce. Ô miracle, au moment du vote final, une voix change de camp, une autre s’abstient : l’ensemble du rapport est rejeté. Un point pour la défense des phoques, malgré les ennemis des trains électriques. NucléaireMardi 3 février. Vote sur la politique énergétique de l’Europe. Comme on pouvait s’y attendre, hélas, depuis quelque temps, les partisans du nucléaire sont redevenus majoritaires. Ils n’hésitent plus maintenant à en prôner ouvertement la défense (ils se cachaient jusqu’ici sous l’expression « production d’énergie non carbonnée »). Le productivisme est comme un hamster dans la roue du "triangle des risques énergétiques" : affolé par l’effet de serre qu’il a lui-même créé en brulant des hydrocarbures fossiles, il a d’abord cherché le salut dans le développement irrationnel des agrocarburants, puis, voyant la crise alimentaire qu’il avait ainsi déclenchée l’an dernier, il revient vers le nucléaire ! Faut-il attendre un nouvel accident pour qu’enfin on mette toutes les force, et notamment tous les budgets de « relance », dans la course aux économies d’énergie et aux énergies renouvelables ? NationalismeMardi 3, bis. Débat le soir en groupe Verts/ALE sur les évènements de Lindsay (Angleterre). Là, les ouvriers manifestent contre une raffinerie Total... parce que celle-ci sous-traite certaines tâches à une entreprise italienne qui emploie des Italiens et des Portugais. Et cela aux cris de « Le travail britannique pour les Britanniques ! ». Triste souvenir du « Travaillons français » dans la période xénophobe du PCF de Georges Marchais. Cette montée d’un protectionnisme ouvrier à l’intérieur même de l’Union européenne est évidemment catastrophique. Pourtant, il ne s’agit même pas de ces migrations en Mode 4 jouant des acquis sociaux plus faibles du pays d’origine du sous-traitant, problème qui a fait l’objet du fameux arrêt Laval et de ses suites. Comme nous l’expliquent, passablement agacés, les Italiens du groupe, reflétant la colère des syndicalistes italiens, il s’agit de travailleurs italiens et portugais qualifiés, en moyenne plus qualifiés et mieux syndiqués que les travailleurs britanniques (90% du site) embauchés directement par Total. De toute façon, en cas de « migration en mode 4 » (c’est-à-dire quand une entreprise européenne envoie ses salariés travailler dans un autre pays d’Europe), la législation sociale du « pays d’activité » s’impose, à quelques nuances près, en vertu de la Directive « Détachements ». N’empêche que le discours nationaliste, porté y compris par le premier ministre Gordon Brown, semble marcher. N’empêche que ce discours imbécile (va-t-on manifester contre les usines Toyota et Bombardier de Valenciennes aux cris de "Exploitons français" ?) peut s’appuyer sur une certaine interprétation de l’arrêt Laval. Celui-ci précise pourtant que les ouvriers ont le droit de recourir à la grève, y compris avec blocus, contre le dumping social à l’intérieur de l’Europe, mais il appelle en même temps les pays où les acquis sociaux ne sont cristallisés qu’en conventions collectives à fixer une base légale à ces acquis, par exemple en « étendant » obligatoirement les conventions collectives même aux entreprises qui ne les ont pas signées. Un thème de bataille pour les prochaines élections européennes ! Cette question du protectionnisme intra-européen (à ne pas confondre avec une protection des avancées sociales et écologistes de l’Union européenne contre les pays tiers qui ne joueraient pas le jeu) va rebondir dans la semaine avec le Plan automobile de Sarkozy. Ce plan est déjà en soi une absurdité (il vaudrait bien mieux faire un Plan autobus et tramway...), mais lui aussi introduit une clause protectionniste intra-européenne puisqu’il interdit à PSA et Renault de délocaliser à l’intérieur même de l’Europe. Un peu comme si, dans les années 60-70, on avait interdit à des entreprises françaises de se délocaliser de la région parisienne vers l’Ouest français. Le développement de l’ensemble de l’Europe ne se fait absolument pas au détriment de l’emploi en France, même s’il implique des modifications de la composition de l’activité en France. Si Sarkozy veut développer l’emploi dans la branche automobile, sur le territoire français, les articles 86 et 87 du traité de la Communauté européenne lui en donne tout à fait le droit : il lui suffit d’avoir une politique d’aides à toutes les entreprises basées en France, pour la recherche de l’amélioration des moteurs et la conversion de leurs usines vers la production de véhicules de transports collectifs. E-E 94Vendredi 6. Cette journée, je l’ai déjà racontée ici. Le matin, débat de l’AFCCRE sur le Parlement européen et les collectivités locales dans la mise en place de la stratégie de Lisbonne. L’après-midi, l’audience du Conseil d’État sur la culpabilité et la responsabilité de l’État français dans la Shoah. Un tournant peut-être aussi historique que le discours de Chirac au Vel d’Hiv. Samedi 7. Lancement de la campagne Europe Écologie dans le Val de Marne. Ont été invités à la réunion d’Ivry, l’après-midi, les seuls militants des Verts et des réseaux. Au déjeuner, je fais connaissance avec la numéro 2 de la liste, la juge Eva Joly. Elle m’explique qu’elle participe à tout un réseau, de par le monde, de procureurs en lutte contre la corruption et contre les paradis fiscaux. Elle sera une formidable recrue pour la commission Économique et monétaire ! À Ivry, je découvre avec étonnement une salle remplie. Pas mal de Verts, mais une majorité de non-Verts, que je connais pour la plupart. Il y a là de vieilles amies de la gauche chrétienne de l’après-guerre, d’anciens Verts ayant suivi Antoine Waechter au MEI, des militants de la Gauche citoyenne (réseau de groupes locaux indépendants du PS, du PC et des Verts), lesquels sont tantôt en alliance avec les Verts aux municipales, tantôt en concurrence. Au moins, dans le Val-de-Marne, le regroupement « de Hulot à Bové » semble marcher très bien et attirer bien au-delà de l’écologie environnementale proprement dite. Formidable gage de succès... Assez curieusement, la presse n’en parle pas beaucoup, alors que la naissance du NPA, l’affirmation d’Aubry à la tête du PS, les vitupérations pas très crédibles de Bayrou et la formation du Parti de Gauche de Mélenchon occupent le devant de la scène. Cette formation du Parti de Gauche est probablement d’ailleurs un facteur de notre succès. La Gauche citoyenne se trouve en quelque sorte sommée de choisir : avec Bové et avec nous, ou avec Mélenchon et avec le PG et le PCF. L’ambiguïté entre « gauche de la vieille gauche » et « nouvelle gauche écologiste » éclate aujourd’hui même. D’après les nouvelles qui me parviennent, il en est de même, encore plus nettement, dans la région toulousaine. ChrétiensDimanche 8. Matinée de débat avec le mouvement de gauche chrétienne La Vie Nouvelle. Ils ont discuté la veille, par ateliers, sur les nouvelles solidarités et les questions se cristallisent aujourd’hui sur le rôle de l’Europe. L’une des animatrices faisait partie de l’Agora citoyenne organisée par Gérard Onesta, le jour du Non irlandais. Elle avait vu mon désespoir devant ce nouvel échec de l’Europe politique, et c’est après quelques hésitations qu’elle m’avait invité. C’est vrai que le vote irlandais m’avait cassé le moral. Si l’on veut en effet résumer le TCE ou son succédané, le traité de Lisbonne, en une phrase, dans ce qui l’oppose au traité actuel, on pourrait dire : « Doublement de la prise de décision à la majorité et en co-décision avec le Parlement ». C’était donc un pas en avant fédéraliste considérable par rapport au traité ultra-libéral de Maastricht-Nice. Le refus par les Français et les Néerlandais de ce pas en avant, et même par une partie de la gauche et de l’électorat écologiste, renouvelé par le Non irlandais, je l’ai vécu comme un désaveu du travail que nous faisons au Parlement pour contrer les gouvernements et le Conseil et réguler "le Marché", et cela a pesé dans ma décision de ne pas me représenter. Je sais qu’aujourd’hui, face à la crise, les opinions changent à toute allure. Par exemple, il est clair que beaucoup de salariés irlandais s’étaient laissé prendre par le discours des magnats Murdoch et Ganley, qui avaient couvert d’affiches les autobus et les murs d’Irlande : « L’Europe a été bonne pour l’Irlande, gardons-là comme elle est ». Traduction : jusqu’à Maastricht-Nice l’Irlande a pu mettre en ouvre un formidable dumping fiscal, attirant les entreprises, qui ont créé des emplois. Un nouveau traité risque d’interdire le dumping fiscal (c’est la « concurrence non faussée »), donc de faire repartir ces emplois vers le continent. Aujourd’hui, ces salariés comprennent que, dans la crise, l’appartenance au grand ensemble européen est la seule chose qui peut sauver l’Irlande du destin islandais. D’après les derniers sondages, les Irlandais sont maintenant à 60% pour le Oui, 28% pour le Non, et le nombre des indécis continue à décroître. Le même phénomène se produit actuellement en Tchéquie et en Pologne, où l’opinion est nettement plus pro-européenne que les chefs d’État ou de gouvernement élus il y a quelques années ou même quelques mois. Dans le débat, Aurélie Trouvé, coprésidente d’Attac, répond à mes avertissements sur la difficulté à mettre en oeuvre un « New deal Vert » dans le cadre de Maastricht-Nice, en répétant plusieurs fois : « Oublions la bataille du Oui et du Non. Nous sommes tous d’accord pour plus d’Europe politique, c’est-à-dire plus de votes à la majorité et plus de co-décision avec le Parlement élu. » Aurélie, qui vient du Génie rural et des Eaux et forêts, connaît très bien la politique agricole commune (entièrement décidée à l’unanimité du seul Conseil, alors que le TCE la faisait passer en co-décision et à la majorité) et elle donne elle-même des exemples où des évolutions positives de la politique agricole ont été bloquées par le veto de trois pays. A la sortie, je lui glisse en souriant : « Ce que tu proposes est un excellent compromis, auquel je souscris tout à fait ! Mais es-tu sûre de représenter ce que pense Attac ? » Elle me répond : « Ca avance doucement. J’exprime ce que j’ai effectivement le droit de dire maintenant. Mais tu dois comprendre que les souverainistes anti-européens sont loin d’être tous partis avec Nikonoff ». C’est un point que je n’avais pas bien compris, à l’époque où la direction précédente d’Attac, convaincue de fraude, était partie : pourquoi Attac, par la suite, avait à peine évolué, poursuivant contre le traité de Lisbonne sa croisade aberrante pour en rester à Maastricht-Nice ? Photo dans le domaine public.
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