Week-end à Marseille. Audaces !
Dimanche 1er octobre 2006
Ce week-end, grosse réussite de la fête des Verts des Bouches du Rhône. L’après-midi du samedi, ateliers suivis d’une plénière consacrée aux rapports Nord-Sud. J’ai le plaisir d’y retrouver Pierre Sané, que j’ai eu pour étudiant d’un cours d’été donné à l’Université d’Ottawa autour de mon livre Mirages et miracles. Pierre est aujourd’hui directeur des sciences humaines à l’Unesco. Il est accompagné de Sanou M’Baye, ancien de la Banque africaine de développement, et chroniqueur au Monde diplomatique, et d’un jeune militant du Réseau Éducation Sans Frontière. Les deux Africains rappellent qu’ils ont été les premières victimes de la mondialisation à l’époque coloniale, et soulignent les changements intervenus dans la division internationale du travail depuis cette époque. Sanou insiste qu’il n’est pas possible d’établir une bonne coopération Nord-Sud (par exemple entre l’Union européenne et l’Afrique) sans une coordination et une unification préalable de l’Afrique elle-même. Je prends alors la parole et les appuie chaleureusement. Je rappelle que la nouvelle division internationale du travail (les activités de direction technologique et financière au Nord, la production manufacturière et agricole au Sud) implique comme réponse progressiste l’abandon du nationalisme (qui reste évidemment justifié dans le cas de la récupération des ressources minières) et un combat multilatéraliste pour des règles planétaires communes, sociales et environnementales, s’imposant au-dessus des lois du libre-échange international. J’explique qu’en tant que président de la délégation pour la Communauté andine, j’ai toujours refusé aux présidents de ces pays leurs demandes d’accords directs entre leurs pays et l’Union européenne : nous n’approuverons qu’un accord d’association entre l’Union européenne et la Communauté andine elle-même (idem pour le Mercosur, pour l’Afrique etc). J’explique ensuite les nouveaux enjeux issus de la crise de la négociation post Doha. Il est fort possible que l’OMC s’écroule et, déjà, plusieurs scénarios sont en débat : * Peter Mandelson et Pascal Lamy continuent désespérément de rechercher le compromis du libre-échange généralisé : l’Europe ouvre ses marchés agricoles, le Sud ouvre ses marchés manufacturiers, mais surtout son marché des services (Accord Général sur le Commerce des Services, AGCS) et reconnaît les droits de propriété intellectuels brevetés par le Nord (ADPIC : Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce, ou TRIPS, en anglais). * Face à l’écroulement probable de ce projet, devant la résistance des nouvelles puissances émergentes du Tiers-monde, les États-Unis privilégient les accords bilatéraux de fort à faible (entre eux-mêmes et les petits pays). * L’Europe privilégie les accords « bi régionaux » (c’est-à-dire entre deux systèmes de coopération économique, par exemple entre l’Union européenne et l’Amérique latine), mais cette tendance se subdivise en deux lignes différentes : **Une première variante, défendue en particulier par une partie du capitalisme allemand, vise une sorte d’Organisation commerciale du Traité de l’Atlantique Nord, c’est-à-dire un traité libre-échange transatlantique accompagné d’un protectionnisme contre les nouveaux concurrents asiatiques. **Les Verts eux, dans ce "multilatéralisme restreint", cherchent, comme pour le multilatéralisme global, à introduire des règles de défense de l’environnement et des droits sociaux et démocratiques, au-dessus des règles du libre-échange. J’observe tout en parlant un certain étonnement dans la salle. J’ai beau expliquer ça sur mon blog depuis des mois, il est clair que de nombreux militants de la gauche française, et même des Verts, sont restés monomaniaques, obsédés par le souci de ne pas rouvrir le débat sur l’intégration politique de l’Europe, ce qui les empêche de suivre les affrontements d’une brûlante actualité au sujet de ces accords politiques transnationaux se superposant aux règles du commerce. Au cours du débat, un militant demande : « Comment se fait-il, après le combat qu’a mené le Tiers-monde pour avoir accès aux médicaments génériques des thérapies contre le Sida, que l’Afrique du Sud ait refusé de s’en servir et même contesté que le Sida soit lié à un virus ? » Très courageusement, les deux Africains répondent : « Ce n’est pas une réponse de l’Afrique du Sud, mais une réponse du président M’Beki. Ni Mandela, ni Desmond Tutu, ni les ONG sud-africaines n’étaient d’accord. C’est un exemple de la mauvaise qualité des élites africaines : elles n’hésitent pas à recourir à la pire démagogie, quitte à flatter les superstitions de leurs peuples ». Je reprends la parole : « Mais ce n’est pas uniquement le cas des dirigeants africains ! Des hommes comme Sarkozy avancent des arguments qui ne résistent pas à l’examen, par exemple L’immigration est la cause du chômage et de l’insécurité, car ils savent que les plus démunis n’ont justement pas à leur disposition ce temps de la réflexion, et il leur est alors facile de gagner des voix par la démagogie. » Le soir, magnifique concert de Sanseverino dans le parc Billoux prêté par la mairie communiste des quartiers nord de Marseille. Le lendemain, le débat reprend en plénière, cette fois ci sur la situation politique. Je lance le débat de façon très brutale, en expliquant qu’il y a deux façons d’être conservateur, c’est d’oublier l’une ou l’autre moitié du célèbre vers de Paul Eluard, Un autre monde est possible, mais il est dans celui-ci. Si nous avons perdu en 2002, c’est parce que le gouvernement Jospin a oublié qu’un autre monde était possible. Si nous avons perdu la bataille du TCE et que nous sommes pour très longtemps englués dans le traité de Maastricht, c’est que d’autres ont oublié qu’il fallait, dans une stratégie, tenir compte de « là où on est » et des rapports de force. Je rappelle notre combat commun, Dominique Voynet et moi, pour le Non à Maastricht, Amsterdam et Nice et donc pour le Oui au TCE. Dominique conclura brillement le débat. En revenant à la maison, je découvre l’état final de la motion que je vais défendre pour l’AG des Verts : « Audaces ! » C’est le résultat d’une discussion avec Noël Mamère et ses ami-e-s. Pourquoi cet accord avec Noël ? Je crois qu’il est essentiel, à la veille d’une élection extrêmement difficile pour notre candidate Dominique Voynet, d’affirmer l’unité des Verts. Or, je me suis rendu compte très vite que la brutalité de l’affrontement entre Noël et moi, il y a cinq ans, pour la candidature à la présidentielle de 2002, a laissé beaucoup de blessures et une image déplorable à l’extérieur des Verts. La convergence avec Noël, symbole d’une réconciliation entre Verts, était donc à mes yeux importante. Je suis persuadé que ce texte peut être le moyen d’une unification au « centre-gauche » des Verts… C’est-à-dire à la fois pour rêver un autre monde et pour changer celui-ci. En réalité, dès que Noël m’avait remplacé en 2001, j’étais allé le voir pour lui proposer tout mon soutien et ma collaboration. J’ai appris depuis à mieux connaître le personnage : quelles que soient nos différences de sensibilité, nous nous retrouvons dans une insatiable curiosité militante et intellectuelle pour la planète et pour ses peuples, et surtout dans une même forme d’engagement militant. L’un et l’autre, nous considérons qu’il est important d’être dans les institutions afin de mener véritablement des politiques de transformation sociale, mais nous n’oublions pas que ces institutions constituent des points d’appui pour les luttes extra institutionnelles : chez lui, par exemple, pour le mariage gay, chez moi pour les associations des droits de l’homme de la Communauté andine, ensemble pour les sans-papiers et contre les OGM. Et, bien entendu, nous nous sommes rejoints dans la lutte pour sortir l’Europe du traité de Maastricht-Nice...
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