Vienne : le contre-sommet s’amuse…
Dimanche 14 mai 2006
La semaine est essentiellement consacrée au contre-sommet altermondialiste qui accompagne la réunion des chefs d’Etats européens et latino-américains que nous avons préparée, en tant que députés, à Bregenz. Tous ces voyages commencent à me fatiguer. Lundi, 8 mai, jour férié : j’en profite pour rédiger les déclarations à mes différents procès, celui contre l’homme qui m’a menacé de mort comme traître aux juifs, et celui qu’a intenté mon père à l’Etat et à la SNCF pour leur complicité dans sa déportation Mais dès le mardi matin, j’ai une réunion à Bruxelles pour mettre au point notre texte d’orientation pour le débat sur le Livre blanc sur les services publics. L’enjeu n’est pas aussi énorme que pour la Bolkestein : il ne s’agit à l’étape actuelle que de répondre à un Livre blanc, c’est-à-dire un sondage de la Commission. Et les "Non" français et hollandais ont privé le Parlement européen du droit de légiférer sur les services publics en dehors de la directive Bolkestein, et délesté les pouvoirs publics de l’obligation de financer ces services publics. Cependant, un bon vote du Parlement européen sur ces sujets permettra peut-être de récupérer le fameux article 122. Puis, interview pour un journal du groupe La vie du rail sur la Banque européenne d’investissement. Et je rentre à Villejuif où j’ai pu décrocher un rendez-vous chez le dentiste et un autre chez le kinésithérapeute ! Car dès le mercredi, il faut repartir pour Vienne. Le contre-sommet est complètement pris en main par les communistes, et cela se ressent : l’assistance est relativement clairsemée. Les Verts autrichiens, ne souhaitant pas de conflit de préséance, ont préféré organiser leurs propres évènements le lundi et le mardi : sur la politique de l’Etat brésilien privilégiant l’utilisation des logiciels libres, et sur la mobilisation contre les « féminicides » en Amérique du Sud. L’assistance et la couverture de presse ont été, me dit-on, excellentes. Le contre-sommet principal, donc, souffre un peu de l’hégémonie trop marquée des communistes. C’est vrai qu’ils disposent de vieux réseaux, mais je suis frappé par le caractère "années 60" qu’aussi bien les Européens que les Latinos-américains impriment aux débats. Ainsi, le forum "Pour un autre lien transatlantique » est extrêmement creux, par rapport à la réunion des députés à Bregenz où, comme je l’ai dit, nous avons pu, avec les communistes européens, faire du bon travail. Ici, on enfile les dénonciations du néo-libéralisme et... de toutes les structures supra-nationales. L’Union européenne, la Communauté andine ou le Mercosur sont purement et simplement assimilés à des instruments de l’empire américain contre la souveraineté nationale. Le nationalisme serait-il en train de devenir l’idéologie de substitution des partis communistes privés de la référence soviétique ? En tout cas, personne n’évoque plus le rêve de Bolivar d’unification de l’Amérique du Sud ou de l’Amérique latine (pas même les Vénézuéliens qui sont là), ni le rêve de Marx, Jaurès et Victor Hugo d’Etats-Unis d’Europe. Le seul projet mis en avant, c’est l’Alba (Alliance bolivarienne des Amériques), regroupant Chavez, Castro et Morales : plutôt un club de chefs d’Etats qu’une démarche d’unification organique. On retrouve le problème fondamental du chavisme : sa négligence totale des problèmes de l’institutionnalisation. Pour ma part, je m’occupe surtout des questions de l’eau. Danielle Mitterand a en effet invité l’eurodéputée Verte Eva Lichtenberger et moi à rencontrer Chavez et Morales, pour discuter des suites de la "guerre de l’eau"- qui a eu une telle importance dans la radicalisation à gauche de la Bolivie. Nous passons nos soirées à attendre les deux présidents, ou plutôt Chavez et le ministre de l’eau bolivien, Mamani (leader de la guerre de l’eau sur El Alto). Naturellement, comme les officiels sont très occupés par le vrai sommet, ça ne marche jamais… J’arrive quand même, presque par hasard, à me trouver au pied de l’ascenseur de l’hôtel d’Hugo Chavez quand il en sort. Je me dirige vers lui : ses gardes du corps s’apprêtent à se jeter sur moi, mais, par chance, sa jeune (et charmante) vice-ministre des affaires étrangères, chargée des questions européennes, me reconnaît et me saute au cou. Je propose à Hugo Chavez d’aller le voir, le week-end prochain, à Caracas. Samedi matin, j’interviens parmi les derniers dans le forum final intitulé « Dialogue politique ». Les premières interventions cartonnent lourdement sur l’Union européenne, instrument impérialiste qu’il faut détruire, et d’ailleurs, merci aux Français pour leur Non etc. Vient mon tour. Cette fois, je ne me défilerai pas, contrairement à Athènes où je m’étais lâchement abstenu d’intervenir en faveur du malheureux syndicaliste belge qui avait rappelé son vote Oui. L’intitulé de mon intervention m’y invite d’ailleurs : « le point de vue parlementaire ». Je commence : « Je parle depuis ce lieu, le Parlement, qui est comme on dit la plus mauvaise représentation des peuples, à l’exception de toutes les autres » . Immédiatement, une partie de la salle commence à gronder. Je leur fait une concession polie : « Certes, les associations citoyennes dont nous sommes, vous et moi, que je relaie à Bruxelles et qui sont ici, sont extrêmement utiles. Mais elles ne peuvent prétendre représenter le milliard d’Européens et de Latino-américains ouvriers, paysans, employés, plus ou moins politisés, votant les uns à gauche, les autres à droite suivant la capacité de convaincre des forces politiques. Il y a quelques mois, mes voisins à cette tribune, de Refondazione Communista en Italie, et du MAS bolivien, étaient dans l’opposition, maintenant ils sont au pouvoir… En tous cas, tout l’effort de la démocratie depuis quelques siècles est d’imposer le contrôle des élus du peuple sur ces deux grandes puissances qui existent depuis les Pharaons : l’exécutif et son administration d’une part, le marché d’autre part. C’est pourquoi, contrairement aux intervenants qui m’ont précédé, je considère comme une lourde défaite que le TCE, qui offrait une avancée significative des pouvoirs du Parlement, ait été rejeté. » Hurlements. José Bové me lance depuis le fond de la salle : « Alain, tu n’as pas le droit ». Oui, je me rends compte qu’ici, on a le droit d’intervenir 5 fois de suite pour se féliciter du Non, mais on n’a pas le droit d’intervenir pour regretter l’échec du Oui. Non seulement le communisme devient nationaliste, mais la "gauche de la gauche" retrouve les vieux réflexes que l’on croyait ensevelis depuis une vingtaine d’années. A la fin de mon intervention, la moitié de la salle applaudit. Plusieurs personnes, soulagées, viennent me féliciter. Je discute avec Alexandra, ma voisine de tribune, que j’aime beaucoup, d’Attac Autriche. Elle me dit : « Oui, c’est vrai, le résultat du Non, c’est qu’on en reste à Maastricht et à Nice, et que c’est nettement moins bien que le TCE, mais ce qui compte quand même, c’est l’intention de ceux qui ont voté Non – Alors, dis-je, ce qui compte, c’est la bonne conscience ? – Non, dit-elle, embarrassée, ce n’est pas la bonne conscience, disons que c’est la signification politique. – Alors, sois certaine qu’en France, depuis les fascistes jusqu’à Chevènement et une bonne partie du vote communiste, il s’agissait purement et simplement d’un vote soit contre Chirac, soit contre l’Europe elle-même, mais absolument pas d’un vote pour une Europe fédérale. » Aussitôt, un collaborateur du groupe communiste de la GUE vient me le confirmer : « Alors tu remets en cause le vote populaire ? – Je te rappelle que, si on s’en tient aux seuls référendum, 55% des Européens ont voté Oui. – Mais les Espagnols ne comptent pas ! Et la règle du jeu, c’est que les Français avaient le droit de bloquer, et ils l’ont fait. » Entre une gauche nationaliste et autoritaire, et une autre gauche qui pense que soigner son propre narcissisme ("Moi Môssieur je n’ai pas revoter les articles qui disaient que...") est plus important que de faire avancer les intérêts d’un demi milliard d’Européens, nous sommes mal barrés… Heureusement, Vienne au printemps, est aussi magnifique et délicieuse qu’on le dit. Retour à Paris. La loi Ceseda est passée, qui de fait remet en question le droit au mariage (encore un truc que le TCE aurait constitutionnalisé, mais, n’est-ce pas, ce n’était pas la peine puisqu’en France "on l’avait déjà"). Pasqua instrumentalise deux meurtres d’enfants pour exiger le rétablissement de la peine de mort (pareil : le TCE constitutionnalisait son abolition, mais, n’est-ce pas, etc). Le procès de "mon assassin" a eu lieu (il a été paraît-il odieux), jugement en délibéré. Et l’affaire Clearstream. Un jour je vous raconterai mon vieux copain Gergorin, mais là, pas le temps.
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