Tragique rentrée
Samedi 3 septembre 2005
Plus je vieillis, plus j’ai du mal à rentrer de vacances... Aussitôt rentré de Grèce et après les inévitables montagnes de courrier à dépouiller (plus les inévitables bogs dans les divers appareils électroniques de la maison), je repars pour les journées d’été des Verts. D’abord, jeudi 25, les journées d’été des Verts belges français ("Ecolo"), au fond des Ardennes. Le site est toujours aussi magnifique (j’y avais débattu il y a quelques années avec Ricardo Petrella), les Verts belges toujours aussi sympas, mais c’est quand même vraiment loin. Mais cela fait des années qu’ils insistaient, ils me consacrent une plénière de toute une soirée : je fais un exposé d’une heure commenté par trois jeunes et par l’ancienne ministre d’Etat, Isabelle Durand, puis je réponds aux questions. Thème : l’avenir de l’écologie politique ! En gros, je leur résume Qu’est-ce que l’écologie politique, les valeurs ecolos, le développement soutenable, les exemples de l’effet de serre, de la lutte pour la biodiversité et pour la santé, et je rajoute deux petits chapitres de sur comment faire de la politique quand on est écologiste (rapport base-sommet, parti-mouvements) et à quelle échelle faire de la politique (promouvoir l’existence d’espaces politiques supra-nationaux, puisque la pollution et l’oppression n’ont pas de frontière). Comme la soirée a été enregistrée, vous pouvez écouter ma conférence ici et lire sa transcription, publiée dans Etopia sous le titre Avenir de l’écologie - écologie de l’avenir. Quand je dis que les Ardennes c’est loin, je voulais surtout dire : loin des journées d’été des Verts français, qui sont à Grenoble au même moment. Vendredi, donc, traversée des Ardennes en voiture jusqu’à la gare de Marloie, puis Marloie-Bruxelles, Bruxelles-Paris, Paris-Grenoble en train. J’arrive vers 18 heures aux journées d’étées Verts français sur le campus de Grenoble. J’ai juste le temps de participer à la succulente soirée du Théâtre-Forum consacrée à la santé. Le Théâtre-Forum construit avec des acteurs semi-professionnels ou amateurs (y compris des gens en grande difficulté sociale) des pièces posant, en une série de sketches, tout un problème politique. L’ensemble est joué une première fois devant le public, puis la troupe rejoue les sketches et alors le public peut intervenir : une personne peut demander à remplacer un des personnages du sketche et inventer une autre solution au problème... Participer à l’expérience du Théâtre-Forum est une trop rare expérience, j’espère que vous aurez ce plaisir un jour. Samedi, j’introduis la dernière plénière : « Que faire au niveau européen après le Non ? » J’essaie de construire une ligne la plus consensuelle possible suite à mes réflexions du mois de juillet. – Le Non français est une tragédie en ce sens que les intentions du Non de gauche (un refus profondément légitime de l’Europe telle qu’elle est aujourd’hui, l’Europe de Maastricht-Nice) se sont traduites concrètement par le rejet d’une "échappatoire" à cette Europe, et donc nous ont condamné durablement à l’Europe de Maastricht-Nice. Car il n’y avait pas de plan B.
Je conclus donc par deux propositions : – Obtenir par une convergence des luttes européennes des avancées progressistes en Europe, faisant la preuve de l’efficacité de l’espace politico-social européen.
Ce discours (lui aussi enregistré, donc peut-être bientôt sur ce site - d’ailleurs c’est fait), à la qualité d’écoute qu’il reçoit, me semble plus ou moins faire consensus chez les Verts. Me voici rassuré. Au retour de vacances, j’avais trouvé, sur une liste internet des Verts, une honteuse caricature des militants verts qui avaient vaillamment défendu le Oui de leur parti, adopté par referendum militant après un large débat, caricature qui les présente en sous-marins du PS ! Je constate pendant les journées d’été que cette posture injurieuse ne fait guère recette, y compris chez la plupart des anciens nonistes. À côté de moi, Pervenche Berès (ma présidente et vieille complice de la Commission économique et monétaire du Parlement, socialiste fabiusienne, noniste), donne également son accord. L’intervention du représentant de la Confédération paysanne est beaucoup plus réticente. En revanche, le représentant de la Confédération européenne des syndicats, le Polonais Josef Nemec (qui a bien sûr tout de suite remarqué que je m’appelais Lipiec !) est tout à fait positive. Se dessine ainsi quelque chose comme une ébauche de grain à moudre pour la suite. Dès le lundi à Bruxelles, je retrouve mes collègues Verts qui partagent en gros la même opinion. Nous envisageons des démarches en ce sens pour le trimestre, devant se conclure par une initiative en décembre. Cela dit, il ne faut se faire aucune illusion. Il n’y a pas de plan B, et le plus crédible (!) serait qu’un vaste mouvement social européen (!!) confère un caractère constituant au Parlement élu en 2009. Il faudra alors deux ans à ce Parlement pour rédiger un nouveau projet, plus deux ans de ratification, ce qui nous mène vers 2012, 2013. Et ça fait beaucoup de si : si le Parlement se voit doter d’un pouvoir constituant, s’il produit un bon traité, nous pourrions avoir en 2013 quelque chose de mieux que le TCE qui serait entré en vigueur en 2006. Et quand on se souvient que le Parlement avait voté dès janvier 2004 qu’il s’emparerait des pouvoirs constituants que lui donnait le TCE, dès novembre 2006, pour entamer un nouveau projet de révision, on voit le formidable retard pris par rapport à nos espérances du début de l’année... Mais cette rentrée, ce sont surtout les catastrophes qui s’abattent sur notre planète. Il y a bien sûr l’horreur du cyclone Katrina. L’incroyable impréparation des Etats-unis, leur incapacité à réagir à l’événement est une formidable leçon : l’hyper-puissance américaine est quasi impuissante devant une catastrophe « naturelle » majeure. Pire, il est probable que l’irresponsabilité des Etats-unis face à l’effet de serre a elle-même aggravé la violence de cette catastrophe, et peut-être contribué à la rendre plus fréquente à l’avenir... En fait cette catastrophe n’a rien de naturel : beaucoup plus clairement que le tsunami, il s’agit d’une des plus grandes catastrophes écologiques de l’histoire, d’une écologie très politique. L’abandon des services publics et de la solidarité avec les afro-américains, quart-monde au cœur de l’hyper-puissance, l’armée envoyée d’abord non pour sauver les malheureux mais pour empêcher la Croix Rouge de leur porter secours (car cela le encouragerait dans un statut d’assistés !) et mater les pillards (ceux qui cherchent désespérément à boire et à manger dans les magasins cadenassés), et plus profondément encore ces scènes bouleversantes de déréliction qui rappellent les images d’inondations au Bangladesh, au Mozambique, au Venezuela, ou ma propre expérience du tremblement de terre de Mexico, tous les éléments de tragédie écologico-politique sont là. « Les dieux sont méchants, mais les hommes y sont aussi pour quelque chose », et dans ce cas, pas qu’un peu. La tragédie de la Nouvelle-Orléans, c’est l’allégorie de Titanic devenue réalité, et qui attend son Cameron. En sortira-t-il du moins un bien : le ralliement des USA à Kyoto ? hélas ! Une amie américaine attire mon attention sur des sites néo-cons et fondamentalistes US qui clament la « punition de la Ville du péché ». Le cyclone n’a-t-il pas la forme d’un fœtus ? Dieu a puni les partisans de l’avortement ! etc. Autre catastrophe, ou série de catastrophes, beaucoup moins grave mais tout aussi significative, les incendies de taudis à Paris. Jeudi, puis à nouveau cet apres-midi samedi, nous partons en manif avec le DAL et des collectifs de sans papiers depuis le métro Quai de la gare, où a brûlé l’immeuble de l’avenue Vincent Auriol. Je rappelle à Jean-Baptiste Ayrault qu’il y a 15 ans, nous campions ensemble sous la tente dans les friches industrielles laissées libres au même endroit par le chantier de la Très Grande Bibliothèque et de la ZAC Paris-Rive gauche. Les réunions préparatoires avaient lieu dans mon bureau, rue du Chevaleret, à deux pas de là. Jean-Félix Bernard, aujourd’hui conseiller régional vert, avait averti les conjurés : « Nous avons un comité de soutien de deux personnes : l’abbé Pierre et Mgr Gaillot ». Bourdieu n’avait pas encore écrit La misère du monde, et seuls des croyants et Les Verts s’intéressaient aux exclus. A l’époque, nous cherchions à imposer l’idée que même les pauvres doivent pouvoir continuer à habiter dans Paris, surtout quand, agents du nettoyage, ils doivent être dans nos bureaux aux aurores, parfois même avant l’heure des premiers trains. Aujourd’hui, la Très grande bibliothèque est finie et autour d’elle s’élèvent les immeubles pour classes moyennes. Les immeubles dans lesquels on avait alors entassé les plus démunis (et qui n’étaient pas si mal que ça il y a 15 ans), on les a laissé pourrir et maintenant, ils brûlent. Face à la tragédie, le ministre Sarkozy, ex-maire de Neuilly où il n’y a que 3 % d’habitat social, a trouvé la solution, imitée de G.W. Bush : au lieu d’aider les pauvres, les enfoncer, expulser encore plus vite de France les immigrés sans papier, expulser des logements insalubres ceux qui les occupent à titre précaire. Il avait déjà fait de même à Sangatte : en fermant le centre qu’avait arraché aux autorités les associations qui secouraient les réfugiés cherchant à passer en Grande-Bretagne qui erraient faméliques dans Calais, il n’a fait que remettre dans la rue ces malheureux. Il tente de refaire la même chose, mais cette fois-ci à une échelle de plusieurs centaines de milliers de personnes... Les Verts manifestent en scandant : "L’argent des JO pour les logements sociaux" ! Slogan parfaitement juste : puisqu’il y avait de l’argent pour acquérir des terrains dans Paris, puisqu’il y avait de l’argent pour financer les fêtes (ce qui peut être une bonne chose !), alors il y a de l’argent et de la place, y compris à Paris, pour loger les plus démunis. Je quitte la manif de samedi à mi-chemin pour rédiger enfin ce blog. C’est alors que des holibrius de la CNT et d’AC ! attaquent violemment le cortège des Verts pour les expulser de la manif, sous prétexte que les Verts participent à la municipalité Delanoe… où les sans-logis n’ont pas de meilleurs défenseurs qu’eux ! Crétins. Les photos ci-dessus sont de mon telephone, Et puis la rentrée, c’est aussi le train-train du travail du groupe parlementaire. Nous discutons de la quatrième directive sur la santé au travail : celle qui porte sur les risque de l’exposition... à la lumière naturelle ! Eh oui, il y déjà des domaines où l’Europe légifère en matière sociale, eh oui, il y déjà des points où le Parlement codécide, c’est par exemple le cas sur le temps de travail et la santé au travail. Les collaborateurs et shadow-rapporteurs en charge de cette directive nous racontent qu’en Allemagne, la presse est déchaînée contre la directive qui invite les patrons à protéger leurs salariés des excès du soleil : "Le décolleté bientôt interdit dans l’Union européenne ?", "Va-t-on bientôt fermer les terrasses de café ?". Ils nous expliquent qu’il faut contrer cette campagne de presse inspirée par le patronat. Mais aussitôt, la coordinatrice des Verts allemands nous déclare, froidement : "Cette bataille est déjà perdue. Nous ne voterons pas cette directive. D’ailleurs, le Non français a montré que les Européens en ont marre des règlements de l’Union européenne." Le groupe est consterné. Je demande la parole : "D’abord, cela fait belle lurette qu’en France, la législation sociale et la jurisprudence veillent à ce qu’on n’oblige pas inutilement les salariés à travailler en plein soleil : avant même que la question du cancer soit soulevée, il y avait simplement la question de la chaleur, des insolations etc. Ensuite, peut-être à cause d’un récent congrès mondial à Paris sur les dangers du soleil, les Français sont très avertis sur les risques de mélanome que provoque l’exposition au soleil. Enfin, ce qui a été demandé par le Non français, c’est plus de protection sociale venant de l’Europe, et pas moins." Une Hollandaise prend alors la parole : "Eh bien chez nous c’était le contraire. Le Non était un rejet de l’Europe, et des réglementations venant de l’Europe." Daniel Cohn-Bendit sent la tension, fait voter : le groupe soutiendra largement les propositions de la Commission, contre la droite qui cherche à vider la réglementation de toute substance. Mais encore une fois, je mesure qu’après le Non franco-hollandais, nous ne sommes pas sortis de l’auberge ! Petite satisfaction par rapport à l’an dernier : plus personne n’a parlé d’incidents antisémites. Il n’y en a plus ? Ou la presse, échaudée par les bobards de l’an dernier, n’en parle plus ? Ou, après le choix de Sharon d’évacuer Gaza, n’est-il plus question de rompre le consensus mou : « Evacuer Gaza, oublier le Mur, ne plus parler de racisme » ?
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