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par Alain Lipietz | octobre 2005

Journées d’été des Verts 2005
Après le Non français, quel avenir pour l’Europe ?
27 août 2005
Ecoutez l’intervention
 [1]

Bonjour chèr-e-s ami-e-s, Jem dobre Nemec !

Je vais essayer de vous dire comment j’ai vécu, en tant que Vert, depuis une vingtaine d’années, la construction européenne, et comment nous, les Verts, avons été amenés à prendre la position qui a été la nôtre sur ce débat, et, compte tenu de ce qu’a été le résultat du référendum, comment on peut essayer de rebondir.

En gros, on peut dire que pendant les vingt premières années de la construction européenne, il n’y avait pas de problème : tous les pays, séparément, suivaient un même modèle, dans lequel l’État était responsable de la mise en harmonie de la croissance économique et du progrès social. Ca a commencé à vaciller tout au long des années 70, où, de plus en plus, qu’il n’y ait pas un pouvoir politique commun à l’Europe mettait de fait les différents pays en concurrence les uns vis à vis des autres, avec comme résultat d’éroder leur système social . Puis, quatre grands traités : le traité de l’Acte unique, le traité de Maastricht, le traité d’Amsterdam et le traité de Nice, ont brutalement unifié l’espace économique et monétaire européen, sans le doter simultanément d’un pouvoir de contrôle politique permettant aux citoyens de cet immense espace d’affirmer, contre les lois du marché, leurs exigences démocratiques, sociales et écologiques. Face à cette évolution, en général, le groupe Vert au Parlement européen a été extrêmement critique sur ces quatre derniers traités, allant jusqu’à voter à l’unanimité contre le dernier traité, celui de Nice.

Sur le traité de Maastricht, nous étions aux Journées d’été, à Saint-Nazaire. Jacques Delors était intervenu au CNIR (on savait bien que l’acceptation ou non du traité de Maastricht allait dépendre crucialement de ce qu’allaient en dire les Verts, puisque ça allait se jouer à 1 ou 2%). Il nous avait dit : « Oui, c’est une erreur de faire l’Europe économique et monétaire sans faire simultanément l’Europe politique permettant d’avoir une Europe sociale et écologique, mais je vous demande de le voter, car je vous le garantis - nous avait-il dit à Saint-Nazaire- les peuples ne supporteront pas une telle Europe, vous aurez très vite une Europe politique » Il avait convaincu exactement la moitié des Verts, on est tombés sur exactement le même nombre de voix au Cnir, 45 voix pour le Oui, 45 voix pour le Non, et depuis, évidemment, nous vivons dans le traité de Maastricht, aggravé Amsterdam, aggravé Nice, en attendant, comme Godot, l’émergence de ce traité qui allait enfin mettre un peu d’Europe politique sur cette Europe économique et monétaire.

Alors est arrivée, pour la première fois, après ce que nous avons considéré, unanimement cette fois, comme un échec, le traité de Nice (tous nos députés ont voté contre, au niveau européen comme niveau national), est arrivée la Convention. La Convention a travaillé pendant deux ans (Pervenche en dira deux mots). Nous avons assisté à une mobilisation très forte des partis de gauche, en liaison avec les organisations sociales de niveau européen, le Bureau européen de l’environnement, la Confédération européenne des syndicats, à faire quelques avancées, permettant aux citoyens de contrôler davantage les conséquences sociales, écologiques et démocratiques de cette intégration. En décembre 2003, 12 gouvernements sur 25, 12 gouvernements de droite, se sont opposés aux résultats de la Convention, et nous avons poussé des hurlements.

L’Espagne ayant changé de camp, comme vous le savez, au premier semestre de l’année suivante, on est arrivé, en érodant encore quelques uns des résultats positifs de la Convention, à un compromis, et là, il a fallu choisir. Le débat a été très difficile chez nous. Nous savions très bien que, s’il avait fallu simplement voter la “variation” par rapport au traité de Nice, il aurait été très facile de trouver un consensus pour dire Oui, parce que c’était mieux que le traité de Nice. Mais la difficulté était qu’il fallait voter non seulement la modification, mais la totalité, ce qui changeait et ce qui ne changeait pas. Il fallait donc raisonner en termes non seulement de ce qui était gagné, mais en même temps de la sacralisation offerte par le terme “Constitution”de ce qui était conservé.

Le débat a été long chez les Verts, il a été bien organisé, et les Verts ont cette fois, contrairement à ce qui s’était passé à Saint-Nazaire, nettement dit : « Et bien, nous prenons cet acquis ». Je ne vous cache pas que, si le groupe Vert au Parlement européen, qui a eu à choisir le premier, parce qu’il a eu à voter, dans le cadre du Parlement européen, "Oui ou Non" au compromis, si ce groupe Vert a presque unanimement voté Oui, nos habitudes de collaboration et de co-élaboration avec les forces sociales de niveau européen ont pese lourd. Le Bureau européen de l’environnement (c’est-à-dire la coordination des Greenpeace, Amis de la terre, etc, qui sont eux-mêmes des structures fédératives par rapport à leurs bases nationales, donc c’est une fédération de fédérations), la CES, même chose, confédération de confédérations, le lobby des femmes, même chose, confédération de confédérations, tous, unanimement, disaient : « Oui,il faut prendre ce progrès parce que ça ne va pas se renouveler avant longtemps », et nous ont largement poussés à dire : « Oui, on prend tout de suite ».

Mais nous avons mené la bataille : “Oui, on prend tout de suite, mais on prend des garanties sur l’avenir ». Comme vous le savez, un des acquis du nouveau traité était de donner un droit d’initiative constitutionnelle (non pas législative) au Parlement, et nous avons fait voter au Parlement européen qu’il s’engageait, dès le premier jour d’entrée en vigueur du nouveau traité, c’est-à-dire dès le 2 novembre de l’année 2006, à proposer immédiatement le traité d’après, le traité qui enfin élargirait substantiellement les droits démocratiques et le contenu social et écologique du traité.

Et ensuite, nous sommes partis à la bataille des référendum. Il y en a eu quatre jusqu’à présent, deux qui ont dit Oui, deux qui ont dit Non. Dans les deux qui ont dit Oui, massivement, la gauche, avec les Verts, s’est prononcée pour ce Oui. La droite, traînant des pieds, s’opposait ou appelait à un Oui du bout des lèvres (et en réalité à l’abstention comme on l’a vu en Espagne, où le parti d’Aznar était de ceux qui avaient voté contre le traité en disant “Nice ou la mort”). Deux autres pays, la France et les Pays-Bas, ont voté contre, avec une forte participation de la gauche et de l’électorat écologiste au vote Non.

Je dois dire que je perçois personnellement ce Non sur le mode du tragique, au sens antique du terme, c’est-à-dire que les intentions de la majorité qui réalise ce résultat sont contredites par le résultat lui-même. Comme l’a bien expliqué ce matin le représentant du CSA, c’était un Non « à » gauche, et pas un Non « de » gauche. La formule est tout à fait brillante, c’était un Non de gens de gauche (je ne parle pas du Non de la droite souverainiste qui existe aussi), c’était un Non qui disait Non à l’Europe actuelle. Mais malheureusement, voter Non à un projet de changement aboutissait, juridiquement, à conserver les règles de fonctionnement de cette Europe contre lesquelles, dans les intentions, on votait.

C’est ça la tragédie dans laquelle on est, et c’est la raison pour laquelle il faut absolument sortir de ce piège dans lequel l’aspiration à une autre Europe fait que le résultat est que, pour un certain temps, un temps qui sera certainement long, nous allons en rester au traité de Maastricht-Nice, contre lequel, en fait, les gens ont voulu voter.

Alors comment faire ? Ce n’est évidemment possible que si nous arrivons à réconcilier le Oui de gauche et le Non de à gauche, et donner le contenu le plus fort possible au Oui écologiste et au Non écologiste. On a bien vu dans le débat les raisons qui ont poussé à ce que cette unification ne se fasse pas en France pendant le vote lui-même, contrairement à ce qui s’est largement passé dans les deux pays qui eux ont voté Oui derrière la gauche. Ces raisons sont que, en matière de contenu, et non pas de procédure, ce qui est perçu, c’est que l’Europe détruit, actuellement et depuis des années, l’État providence, qui était un État providence national.

La difficulté de ce référendum, c’est qu’on s’est retrouvés dans une situation de trapézistes, où à un certain moment il fallait lâcher le trapèze de l’État providence national, pour attraper le trapèze d’un espace politique providence européen, supranational. Cette difficulté est énorme, et elle se reposera demain. Elle se reposera demain ! L’idée que la Nation est le lieu dans lequel on peut se mettre d’accord pour accepter de voter et respecter des lois, même si on perd des élections, parce qu’il vaut mieux voter des lois ensemble démocratiquement plutôt que vivre la loi de la jungle, c’est une idée qui s’est construite au cours des siècles, depuis les révolutions anglaise, hollandaise et française du 18e siècle. Que la Nation soit le cadre où on puisse se mettre d’accord pour continuer à vivre ensemble, cela c’est notre acquis, et nous ne pouvons pas dire du jour au lendemain aux gens : « Bon, face à la globalisation économique, nous avons besoin d’un pouvoir politique trans-national », sans leur faire en quelque sorte la démonstration que c’est possible, avant même que cet État, ou cet espace politique, trans-national soit mis en place.

C’est ça notre problème fondamental. Nous, les écologistes, nous le savons parce que nous sommes nés en disant : « Il faut penser globalement et agir localement ». Et nous avons même pensé : « Et en fait, il faut de plus en plus agir globalement ». Le traité de Kyoto, c’est un accord pour agir globalement. Nous avons besoin d’un espace trans-national qui puisse dire : « Tu n’agis pas bien, compte tenu de ton devoir vis à vis de l’avenir de la planète ». Nous avons besoin d’une Constitution européenne qui puisse dire à chaque sous-région de l’Europe, qu’elle soit Nation ou ce qu’on appelle région : « Dans ton intérêt à toi, dans l’intérêt de tes enfants et dans l’intérêt de ton écosystème, tu dois obéir aux lois collectives de l’Europe. Que ce soit en matière sociale, que ce soit en matière de lutte contre l’effet de serre, que ce soit en matière de défense de la biodiversité, comme Natura 2000, etc., etc. ».

On l’a bien vu pendant tout le débat, une des choses qui faisait horreur à pas mal de partisans du Non, c’était le fameux article 6 qui disait : « Dans son domaine de compétence, la loi européenne prévaut sur la loi nationale ». Et bien oui, en tant qu’écologistes, nous sommes prêts à dire : « L’exigence planétaire, et pour le moment la loi européenne, prévaut sur les exigences nationales ».

Alors, je proposerais (mais nous n’avons pas fini de réfléchir, j’y ai pensé pendant tout l’été), je proposerai deux choses .

Premièrement, essayer de construire tout de suite des politiques progressistes trans-nationales, sans attendre le futur plan B dont tout le monde sait maintenant qu’il n’avait jamais existé que dans les fantasmes de certains partisans du Non de gauche. Delors nous avait dit : « Ce serait très difficile à faire ». Oui, je pense que ce ne sera pas possible, disons, avant... allez, le meilleur scénario que je vois : un fort mouvement social, imposant que les élections européennes de 2009 élisent une Assemblée constituante. Et bien ça nous mène, avec deux ans de plus de négociations, plus deux ans de ratification, à 2013. Donc on reste à Maastricht-Nice jusqu’en 2013, au mieux. Et est-ce que le projet sera bon ? Je n’en sais rien. Mais au moins, avant cette date, battons-nous pour obtenir ensemble des politiques européennes qui montrent que l’Europe c’est bon, que l’Europe c’est beau, que l’Europe c’est bien, que l’Europe c’est « notre » protection face à la globalisation :

Et puis deuxièmement, (je conclus pour donner tout de suite la parole à mon éminente camarade, collègue et présidente par ailleurs, puisqu’elle est la présidente d’une des commission auxquelles je participe au Parlement européen, Pervenche Beres), mettons nous ensemble, Oui de gauche et Non de gauche. Non pas pour nous engueuler, mais pour dire aux uns : « Il y avait des choses qui vous plaisaient dans la Constitution, marquons-les noir sur blanc, nous ne reculerons pas sur ces acquis qu’apportait le TCE par rapport à Nice ». Aux autres : « Il y avait des choses qui vous paraissaient manquer absolument dans le TCE, mettons les ensemble noir sur blanc : nous voulons en plus ça, ça, ça et ça ». Et tous ensemble, battons nous pour que, quand le fameux plan B émergera de ses limbes, nous soyons tous ensemble à défendre ce qui nous a fait voter Oui pour les uns et ce qui nous a manqué et nous amenés à voter Non en ce qui concerne les autres.




Sur le Web : Journées d’été des Verts 2005 à Grenoble : Bilan

NOTES


[1Pour lire le format ouvert Ogg Vorbis, vous pouvez télécharger le logiciel libre VLC (VideoLAN).

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