Guerre rapide, guerre africaine ?


Format d'impression Texte sans onglet Texte sans onglet
Samedi 26 janvier 2013

La reprise très rapide de Gao, grâce à des forces spéciales françaises progressant par la route sud depuis Mopti (le long de la frontière du Burkina), appuyées par ce qui reste d’opérationnel parmi les forces maliennes, et rejointes par les forces tchadiennes très expérimentées venues du Niger, met brutalement sur la table l’ambiguïté de certains tics de langage parmi les écologistes et à la gauche de la gauche.

« Une intervention française oui, pour bloquer l’offensive djihadiste vers le sud, mais brève et relayée dès que possible par l’intervention africaine prévue par l’ONU : la Misma » espéraient ceux qui soutenaient, au nom de l’urgence, l’intervention française, mais voulaient rentrer dans les clous de la résolution 2085. Malheureusement, force est de constater le divorce entre la logique procédurale Onusienne et la logique militaire.

Une offensive foudroyante, dont la reprise de Gao serait la première étape majeure, est peut-être sur le point de libérer des djihadistes toutes les villes le long de la boucle héroïque du fleuve Niger à travers le Sahel, jusqu’à Tombouctou. Elle a pour fer de lance les corps expéditionnaires de deux pays étrangers à la Misma : la France et le Tchad. Elle a déjà provoqué un fait politique majeur : le ralliement des Touaregs du MIA, à l’extrême nord-est du Mali (autour de Kidal), aux exigences de l’Onu, et peut-être l’explosion du Mujao. Dès avant la prise de Gao (avec une journée d’avance sur leurs plans), les Tchadiens se faisaient fort d’aller mener la guerre du désert au delà de Kidal. Les « buts de guerre » assignés par la 2085 seront peut-être atteints très vite… mais par d’autres que prévu.

Si au contraire on avait attendu la Misma , avec son noyau central venu du Nigeria (ne connaissant donc aucune langue du coin, pas même le français), on se serait sans doute condamné à une longue présence des troupes françaises gardant le verrou de Mopti entre le Nord et le Sud du Mali, dans une atmosphère de harcèlements permanents de la part des djihadistes aux forces réorganisées, et de pogroms anti-Touaregs au sud, jusqu’à ce que la Misma, enfin prête, passe à l’offensive, sans doute après la saison des pluies… en septembre.

Bien entendu, dans les deux cas de figure, la reconquête des « villes » du Nord (en fait, des bourgades) ne règlera aucun des problèmes sociaux et ethniques du nord malien. Ni l’extrême misère, ni la progression du désert, ni la déstructuration des sociétés agro-pastorales, ni la question Touaregs : ça, c’est les « buts de paix ». En attendant, les exactions de l’armée ou de civils maliens sur les habitants à peau claire se poursuivront (sans compter que l’armée du Nigeria n’a pas très bonne réputation…), engendrant à leur tour irrédentisme et guérilla à partir du Sahara, attentats suicides en ville, etc.

Or ces exactions sont le fait, apparemment, des troupes maliennes et de milices des autres ethnies maliennes, bénéficiant d’une large sympathie. « L’épuration des collabos » n’est jamais jolie à voir. Ce qui fait voler en éclat un autre tic de langage : « Respects des droits de l’Homme et du droit humanitaire = reconquête exclusivement africaine, voire exclusivement malienne ». A la limite on peut même se demander si la présence des observateurs étrangers en position de force (contrairement à la Bosnie) n’est pas la seule garantie pour que la libération du Nord ne se passe pas trop mal…

Puisqu’on en est déjà à espérer gagner la guerre et à se demander avec angoisse comment ne pas perdre la paix, un dernier « détail ». Certains croient docte d’avertir : « Ce n’est pas une guerre classique, entre deux États, où la victoire signifie vaincre les troupes de l’autre État jusqu’à ce qu’il capitule et demande à négocier… Ces bandes ne constituent pas des États, n’ont pas de frontières, pas de territoire fixe, ni institutions, ni diplomates ». Certes, mais ce n’est pas très nouveau non plus !

Les guerres contre des « forces armées non-étatiques » émaillent notre histoire depuis la victoire de Pompée contre les pirates (tandis que Jules César gagnait la guerre des Gaules) : guerre contre les Grandes compagnies, contre les pirates barbaresques, contre les pirates des Caraïbes, contre les « milices du diamant » en Afrique de l’Ouest… Ces « forces irrégulières » sont parfois de simples et monstrueux bandits, parfois des révolutionnaires purs et durs, parfois un mélange des deux en proportions variables (comme les narco-guérillas preneuses d’otages auxquelles j’ai eu affaire en tant que président de la délégation du Parlement européen pour la Communauté Andine). Souvent elles parviennent à s’assurer une base arrière qu’elles transforment en mini-État, voire à s’emparer d’un État en ruine (comme en Somalie ou en Sierra Leone — un précédent assez proche de ce qui risquait d’arriver au Mali, les diamants en moins). Parfois elles gagnent (Tito, Mao, Castro…), en général parce qu’elles ont su représenter les aspirations populaires. Parfois elles perdent, en général parce que, comme au Mali (et en particulier le Mujao à Gao), elles instituent l’enfer pour les civils.

C’est le cas qui nous intéresse ici. Supposons que la déroute des djihadistes et des rebelles Touaregs soit effective dans les villes du Nord-Mali dans quelques mois. Que deviennent-ils ? Eh bien, en général, on négocie avec quelques chefs, déjà prisonniers ou pas, un mélange d’amnistie et de jugements pénaux, à travers un processus « Vérité, justice et réconciliation » : c’est la « justice transitionnelle » sur laquelle j’ai jadis organisé un colloque international. Attention : la justice internationale prohibe désormais l’amnistie pure et simple des crimes de guerre et crimes contre l’humanité. L’impunité n’est plus acceptable, et d’ailleurs c’est ce qui permet d’éviter la vengeance sauvage : voir le cas emblématique de la Sierra Leone. Quant à leurs troupes, on essaie de les « réintégrer dans la société » (et parfois même dans les troupes régulières). Encore faut il reconstruire la société, sinon tout recommencera un jour !

Il est probable que la question ne se posera pas pour les djihadistes : ils investiront un autre terrain. Elle sera centrale en revanche pour les rebelles Touaregs. Il n’y aura pas de paix véritable sans une solution réformiste aux maux du Nord-Mali et du Sahel en général, à commencer par la question alimentaire et sans oublier la question des ethnies nomades. C’est cela, « gagner la paix ».

Logo découpé d’une photo de Issouf Sanogo dans Jeune Afrique

Adresse de cette page : http://lipietz.net/?breve474

Haut de la page


Forum du blog

Il y a 1 contribution à ce blog.
  • Guerre rapide, guerre africaine ?

    Bonjour et merci pour votre article.
    Ce qui me frappe dans la presse (pas seulement française) c’est cette absence de réactions. Comme si ce qui se passe là-bas, et la façon dont les choses se passent, arrangeait tout le monde.
    En France, bien sûr, la libération de Florence Cassez a occulté le Mali. Il est beaucoup moins onéreux et beaucoup moins risqué d’envoyer une équipe de reportage à Roissy ou à l’Elysée pour "couvrir" Florence Cassez qu’au Mali pour rencontrer les Touaregs... Les media nous ont quand même gratifiés d’un militaire au masque de tête de mort. Qu’un militaire se montre avec ce masque, on espère que sa hiérarchie aura fait le nécessaire, mais qu’il existe des journaux, des télés assez irresponsables pour diffuser la photo...

    Il y a, bien sûr, comme toujours, ceux à "la gauche de la gauche" ou ailleurs qui auraient fait comme ceci ou comme cela... Vous savez, les alter ego des amateurs de foot qui, au bistrot, devant un match à la télé, déclarent doctement et sans gêne aucune : "Si j’avais été Zidane (ou un autre) j’aurais tiré (ou : j’aurais fait la passe à...)"


    Dimanche 27 janvier 2013 à 06h18mn55s, par Joke
    lien direct : http://lipietz.net/?breve474#forum4434
Calendrier des blogs
<< janvier 2013 >>
lumamejevesadi
1234567
891011121314
15161718192021
22232425262728
2930311234
26/01: Guerre rapide, guerre africaine ?
24/01: Appels pour la paix et scissions chez les Touaregs
22/01: De la guerre au Sahel
les derniers textes du blog du site
Les archives du blog
2014

:: juillet:
18:
:: juin:
3:
:: avril:
24:
:: mars:
22:
:: janvier:
15:
2013

:: décembre:
16: 2:
:: novembre:
17: 3:
:: octobre:
1er:
:: juillet:
27:
:: mai:
14:
:: avril:
25: 4:
:: mars:
19: 16: 11: 8: 4:
:: février:
3:
:: janvier:
26: 24: 22:
2012

:: décembre:
17:
:: novembre:
16: 1er:
:: septembre:
29: 17:
:: août:
4: 1er:
:: juin:
27: 16:
:: mai:
28: 17: 6: 5:
:: avril:
21:
:: mars:
21: 19: 17:
:: février:
23: 17: 10: 4:
:: janvier:
23: 12:
2011

:: décembre:
10:
:: novembre:
29: 21: 8: 7: 4:
:: octobre:
20: 14: 5:
:: septembre:
22: 8:
:: juillet:
15: 2: 1er:
:: juin:
27: 25: 21: 14: 6:
:: mai:
31: 23: 20: 17: 3:
:: avril:
3:
:: mars:
24: 21: 16: 8:
:: février:
23: 2:
:: janvier:
23: 12:
2010

:: décembre:
19: 12: 10:
:: novembre:
23: 22: 12:
:: octobre:
26: 5:
:: septembre:
9: 6:
:: août:
25: 17:
:: juillet:
13: 6:
:: juin:
30: 23: 16: 3:
:: mai:
31: 26: 13:
:: avril:
20:
:: mars:
29: 20: 12:
:: février:
26: 16: 8:
:: janvier:
28: 16: 1er:
2009

:: décembre:
22: 7:
:: novembre:
23: 15: 13: 7: 1er:
:: octobre:
23: 20: 12: 7: 5: 3: 1er:
:: septembre:
28: 25: 21: 13: 8:
:: août:
30: 24: 18:
:: juillet:
26: 24:
:: juin:
28: 10: 9: 6: 5:
:: mai:
30: 23: 17: 10: 2:
:: avril:
24: 20: 11: 5: 1er:
:: mars:
8: 1er:
:: février:
22: 13: 8: 6: 1er:
:: janvier:
21: 16: 10:
2008

:: décembre:
19: 14: 8: 1er:
:: novembre:
23: 19: 13: 5:
:: octobre:
26: 19: 12: 9:
:: septembre:
30: 21: 14: 7:
:: août:
31: 26: 19:
:: juillet:
14: 4:
:: juin:
29: 20: 14: 7:
:: mai:
29: 24: 18: 10: 5:
:: avril:
25: 19: 13: 5:
:: mars:
28: 21: 13: 6: 2:
:: février:
23: 9: 6: 4: 1er:
:: janvier:
24: 18: 11: 6:
2007

:: décembre:
21: 14: 9: 2:
:: novembre:
29: 25: 23: 22: 16: 9: 4:
:: octobre:
28: 26: 20: 12: 9: 7: 4:
:: septembre:
30: 29: 22: 20: 16: 12: 9:
:: août:
29: 19:
:: juillet:
31: 14: 8: 7: 1er:
:: juin:
28: 25: 18: 13: 11: 8: 3:
:: mai:
26: 19: 14: 12: 7: 5: 4:
:: avril:
27: 24: 20: 15: 13: 7: 2:
:: mars:
29: 27: 26: 24: 22: 20: 17: 11: 6:
:: février:
23: 17: 12: 9: 2:
:: janvier:
31: 29: 24: 23: 22: 21: 18: 13: 8: 6:
2006

:: décembre:
23: 17: 15: 10: 6: 3: 1er:
:: novembre:
30: 26: 22: 17: 16: 11: 10: 5:
:: octobre:
29: 27: 24: 12: 8: 6: 1er:
:: septembre:
28: 23: 21: 18: 15: 10: 3:
:: août:
27: 20:
:: juillet:
23: 15: 13: 9: 7: 1er:
:: juin:
26: 21: 12: 7: 3: 1er:
:: mai:
31: 28: 19: 16: 14: 8: 2:
:: avril:
27: 21: 18: 14: 7:
:: mars:
31: 26: 19: 10:
:: février:
25: 23: 21: 19: 17: 14: 10: 2:
:: janvier:
30: 23: 19: 15: 12:
2005

:: décembre:
22: 16: 8: 5:
:: novembre:
26: 23: 17: 13: 10: 6: 3:
:: octobre:
31: 27: 20: 16: 13: 11: 6: 5:
:: septembre:
29: 28: 25: 15: 13: 11: 8: 7: 5: 3:
:: août:
24: 5: 3:
:: juillet:
14: 13: 12: 8: 7: 6: 5: 4: 2:
:: juin:
29: 28: 25: 23: 22: 21: 20: 17: 13: 9: 6: 2: 1er:
:: mai:
28: 26: 15: 7: 5: 1er:
:: avril:
24: 15: 8: 6: 1er:
:: mars:
26: 10: 8: 5: 2:
:: février:
24: 23: 22: 17: 13: 2:
:: janvier:
31: 20: 15: 13: 12: 6:
2004

:: décembre:
15: 11: 8: 7: 6: 2:
:: novembre:
28: 21: 16: 6:
:: octobre:
29: 27: 26: 22: 17: 14: 6: 5:
:: septembre:
25: 24: 22: 21: 1er: