Avignon et Venise, Plitvice et la guerre, Némirovsky et Ségeste

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Mardi 17 août 2010

Hélas, déjà rentrés… Chouette, c’est pour les journées d’été des Verts/EE : on va causer contenus, stratégie et organisation ! Voyez ici mes contributions sur la réforme écologiste du rapport salarial et (avec Natalie) sur la "ruche coopérative".

Comme chaque année, première moitié des vacances dans le Briançonnais. Rando, pour perdre des kilos (mais je gagne des ans…) et goûter la splendeur. Cette année, l’herbe était si grasse et fleurie qu’on jalousait les vaches. Puis « tourisme », direction l’Adriatique – Nord. Et lectures : Némirovsky.

Avignon

Mais cette fois nous avons passé quatre jours au festival d’Avignon pour soutenir notre groupe slam préféré, « Emile », d’Arpropode.

C’est un superbe slam accompagné de flûte, contrebasse et human beat box. Ils ont beaucoup progressé depuis Paris. Leur public aussi : 5 les premiers jours à Avignon, la trentaine au bout d’une semaine... à 23 h 45 tous les soirs !

Faut vous dire que 5 est un chiffre pas anormal cette année dans le Off d’Avignon. 1200 spectacles en off (pour 30% de chute de la fréquentation globale :rilance, rilance...), c’est l’hyper-inflation.

C’est la première fois que j’allais jouir du Off d’Avignon. Un peu comme le Forum Social Mondial : énorme catalogue, les cafés sympa et les églises ombragées en plus. On voit 3, 4, 5 spectacles par jour !

On a vu aussi un peu du IN, pas terrible, sauf le bouleversant « Pour en finir avec Bérénice », aux Carmes. Faustin Lyniekula et sa troupe de Kisangani (Est de la République Démocratique du Congo), peaux noires et masques blancs, essaient d’achever une mise en scène de Bérénice commencée à la veille de l’indépendance. L’histoire d’une Reine de Palestine rejetée loin de l’homme qu’elle aime par le peuple et les lois de la métropole. Scène terrible de la « minute de français » où les Congolais (swahili) ânonnent « Le corbeau et le renard » et une scène de « Bérénice », en se moquant d’eux-mêmes. Scène sublime où la Reine lave leurs masques blancs en murmurant la tirade « Dans un mois , dans un an… ». On peut critiquer d’autres spectacles du IN, pompeux, chiants, prétentieux ou narcissiques, mais une telle pièce honore une sélection.

Sinon, le Off, ya ka se baisser pour trouver des pépites. Dans le même domaine racinien, par exemple : "Phèdre à peu près ", de la Cie Cyrano, si vous n’êtes pas convaincus du caractère "poissonnier" de la pièce (selon JL Barrault, cf mon bouquin). Et pour continuer dans le style "Comment est-il possible que tant d’amour..." : Catherine Méry dit doucement les déchirantes Lettres de la religieuse portugaise. Mais on tombait aussi sur une somptueuse et délicieuse Nuit des Rois, sur un Dans la solitude des champs de coton pas mal du tout du tout, de Patrick Roldez (Sarlat) etc. (Désolé pour les comédiens, j’ai perdu leurs prospectus.)

(Retour aux onglets)

Venise / Croatie

Ensuite, départ pour la Vénétie-Istrie-Dalmatie.

Est-ce l’age, le retour en ces lieux déjà connus « touristiquement », le fait d’entrer dans la deuxième grande crise économique mondiale de ma vie, et d’assister au retour bimillénaire de la Chine au centre du monde, le souvenir tout proche des guerres et de la dislocation de la Yougoslavie, les dix ans de « diplomatie parlementaire » dont je sors ? Je suis plus frappé que de coutume par la géopolitique historique de ces terres impressionnantes.

Par exemple, les 1000 ans d’histoire de la République de Venise, bien plus durable que les dynasties chinoises, terrible prédatrice mais objet de la rage des empereurs d’occident, Charlemagne et son fils Pépin, Napoléon Bonaparte… Ou encore le site et l’immense mosaïque paléochrétienne d’Aquilée, pivot méconnu du monde romain, rasée par les Huns, reconstruite par les Autres comme disait Jacques Dufilho,

Et la découverte des lacs de Plitvice ! Indicible beauté. Nous nous sommes rendus compte que le mot de Valéry sur Mallarmé, « Le beau, c’est ce qui désespère », s’applique aussi aux merveilles de la nature. Profonde injustice, pour un pays, un village, de ne pas s’être vues offertes des telles munificences, pour une goutte d’eau de n’avoir jamais bondi dans de telles cascades… Et pourtant.

Nous avons rejoint les lacs par une petite route des « confins militaires » longeant la frontière bosniaque, à un jet de pierre de l’ancienne « zone de sécurité » de Bihac. Mais du côté croate de la frontière, la campagne est encore parsemée de carcasses de maisons éventrées par la guerre précédente, serbo-croate. Les Serbes étaient là parce que les Austro-Hongrois les y avaient mis, pour contrer les Ottomans. Mille ans plus tôt, c’est Heraclius (l’empereur byzantin qui a repris l’Orient aux Perses mais pour le reperdre aussitôt aux mains des Arabes) qui y avait implanté les Croates, pour contrer les Avares…

Aujourd’hui, la Croatie est envahie de touristes, Français, Anglais, Hollandais et Espagnols, mais bien plus par les héritiers de l’Empire des Habsbourg : Autrichiens et Hongrois, Italiens et Polonais, Tchèques, Slovaques et Slovènes. On voit de très rares plaques YUG (serbes) et encore plus rares BiH (bosniaques). Trop pauvres ou trop brûlés de souvenir ? Ma fille Barbara et mon gendre Sasha (de Sarajevo) y passent pourtant leurs vacances… Mais la Croatie, jardin de l’UE même aux yeux des Italiens, a comme la Serbie raté le coche des élargissements pour avoir couvert des génocidaires… Aujourd’hui elle a toutes les raisons de se qualifier, mais il y aura obligatoirement en France referendum, et je crains fort que, comme d’hab…

Encore aujourd’hui on a du mal à comprendre les horreurs des années 90. On ne peut que lire le livre magnifique d’un jeune Bosniaque, Le soldat et le gramophone de Sasha Stanisic (livre écrit en allemand, qui est aussi le livre de la réunification allemande vue par les yeux d’un ado ex-yougo) et essayer de deviner. Car nous n’en sommes pas indemnes, et l’Immonde qui nous gouverne a déchaîné cet été les chiens de la haine, contre les « origines étrangères », contre les « gens du voyage », en pariant sur les passions les plus viles des peuples.

Je suis persuadé d’ailleurs que, outre l’Algérie, c’est à propos de la Yougoslavie et plus particulièrement de la Bosnie qu’une certaine opinion de gauche, et parfois même de la gauche de la gauche, a commencé à trouver légitime le discours islampophobe, qu’il fallait « comprendre les Serbes » et « torde le bras » à Izetbegovic, que le secours porté aux Musulmans du Kosovo était un complot communautariste de l’impérialisme anglo-saxon contre notre laïcité… Un poison qui prend aujourd’hui la dimension d’un immense, placide et criminel mépris pour la tragédie des inondations pakistanaises (10 fois moins de dons pour 10 fois plus de victimes qu’en Haïti.)

(Retour aux onglets)

Némirovsky / Ségeste

À propos de lectures, j’ai consacré mes vacances à la découverte de Irène Nemirovsky : Le vin de solitude et Suite française.

Née d’une riche famille juive ukrainienne qui émigre en 1919, elle mourra gazée à Auschwitz en 42, les gendarmes français poursuivant ses deux fillettes pendant toute la guerre, de planque en planque.

C’est Suite française, manuscrit inachevé, enfin édité en 2004, qui a relancé une célébrité (justifiée) après une longue éclipse, alors qu’elle était déjà reconnue avant-guerre, un de ses romans porté à l’écran, etc.

Ces romans font d’ailleurs très « années trente - cinquante ». Le vin de solitude fait penser à du Mauriac avec marivaudage intérieur, Suite française s’inscrit dans une technique, celle du roman fleuve unanimiste, qu’illustraient à l’époque aussi bien Malraux (dans L’espoir) que Jules Romain (dans Les hommes de bonne volonté, roman lui aussi interrompu par l’occupation, mais pas définitivement : mon père recommencera sa lecture intégralement au sortir de Drancy…) En réalité, c’est à Guerre et Paix que pensait Némirovsky, et ses notes montrent qu’elle développait, dans les derniers jours de rédaction précédant son arrestation, une stratégie « moderniste » qui l’aurait éloignée du roman psychologique. Effet déjà sensible dans la seconde partie de Suite française, qui souligne pourtant un aspect méconnu de l’occupation : les jeunes soldats allemands étaient souvent les seuls jeunes hommes offerts à la vue (et au toucher) des filles, dans un pays dont les hommes étaient massivement prisonniers…

Comment comprendre alors cette gloire nouvelle d’une écrivaine morte ? Les deux romans sont très bons, sans aucun doute au dessus de la littérature à succès actuelle, avec une façon exceptionnelle de contraster l’Eden et la noirceur humaine. Mais surtout, Suite française a surgi à son heure, quand, après l’époque des héros puis celle des victimes, on a commencé, dans la réflexion littéraire et filmographique sur la seconde guerre mondiale, à s’intéresser aux bourreaux et aux salauds. En 2004, Jonathan Littell est en train d’écrire Les Bienveillantes, Tournier vient de publier Le Roi de Aulnes et Hatzfeld Une saison de machettes sur le Rwanda (et Littell justement revient de Bosnie.)

Mais les Français furent peu « collabos actifs », pas plus que résistants. Ils furent massivement confrontés à leur propre ambiguïté dans une immense épreuve collective : la débâcle et l’occupation. Et Suite française, roman inachevé de la seconde guerre mondiale dont l’auteur n’eut pas les moyens d’imaginer la fin (qui la broya), reste d’abord LE roman de la débâcle et des premiers rapports, pas trop mauvais, avec l’occupant. J’en avais vaguement entendu parler par ma mère (qui m’a surtout raconté sa résistance, dans le style Grande Vadrouille), et je lui ai demandé dès mon retour de vacances : oui , elle a adoré Suite française.

J’ai songé mélancoliquement à une autre écrivaine, actuellement méconnue, qui a achevé presque toute son oeuvre sur son lit de mort : Francine Comte-Ségeste. Je pense que, entre deux « romans d’inspiration biographiques », son magnifique Perséphone en personne vaut bien Le vin de solitude. Aura-t-elle sa chance posthume ? Je l’espère de tout cœur, pour sa mémoire et pour la littérature.

PS. On reviendra plus tard sur les horreurs de l’été : les crises météoro-ecologiques et la reprise de la séquence « effet de serre- incendies/inondations -crises nucléaire et crises alimentaire », et la politique raciste de sarko. En attendant, préparons la manif du 4 contre cette politique, du 7 sur les retraites….

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