Une semaine de débats sur le Traité constitutionnel européen (TCE)
Mercredi 2 mars 2005
Mercredi 2, débat à Mornant, petite ville au sud de Lyon, face à Christian Piquet, de la LCR. Le lendemain matin, Pascale Bonniel-Chalier, conseillère Verte lyonnaise à la culture, m’invite à son cours à Sciences Po Lyon, devant des étudiants européens, principalement étrangers. Je retourne sur Paris et de là vers Saint Lo (dans la Manche couverte de neige) où je débats avec François Dufour, de la Confédération paysanne et d’Attac. Retour le lendemain pour aller débattre à Sciences Po Paris avec Gilbert Wasserman, animateur de la revue Mouvements. Je quitte ce dernier débat à toute allure pour prendre le train vers La Souterraine, et participer le lendemain à la manifestation de Guéret. Trois beaux débats. Les salles sont pleines à craquer. Mes trois contradicteurs sont loyaux, compétents, convaincus, fins. De plus, ce sont de vieux amis. Le débat est à chaque fois à peu près le même. Il faut une bonne heure et demie pour repousser les clichés contre la Constitution. Certes, je ne peux pas la défendre avec enthousiasme : pendant toute la durée de la Convention, et lors des deux conférences inter-gouvernementales qui ont encore réduit la portée du texte initialement proposé, j’ai tempêté avec tous les Verts européens sur l’insuffisance des progrès par rapport aux traités actuels, issus de Maastricht et de Nice. Mais beaucoup de critiques sont tout à fait injustes : les progrès sont bien réels ; les points négatifs subsisteraient si l’on votait Non, puisqu’il ne s’agit de rien d’autre que des dispositions des traités actuels, inchangés ; il sera plus facile de réviser le traité constitutionnel que les traités actuels. Par exemple, face à François Dufour qui s’indigne que le chapitre sur la politique agricole soit le même, productiviste, qu’en 1957, je réponds que, jusqu’à aujourd’hui, les Politiques Agricoles Communes (on en est à la troisième malgré le même texte des traités !) ont toujours été décidées par le Conseil des gouvernements. Or, avec le TCE, le Parlement voterait le budget de la PAC, et ce dès le budget 2007 puisque le traité entrerait en vigueur le 1er novembre 2006. « Tu me garantis qu’en 2006 je pourrai venir voir les députés et faire voter une autre structure des subventions ? » Je lui réponds qu’on discute déjà avec la Confédération paysanne et la Via Campesina, mais que nous n’avons jusqu’ici aucun pouvoir. Quant à savoir si les députés (qui ont quand même voté contre les OGM !) sont prêts à se battre pour une autre PAC, ça, ça dépend de leur couleur politique et du travail de construction d’alliances paysans-consommateurs-écologistes. Une fois ce premier point déblayé, je vois bien depuis la tribune que les hésitants sont au moins convaincus de la supériorité stratégique du TCE sur Maastricht-Nice. Le débat débouche alors plus ou moins vite sur la question tactique : celle de la dynamique politique du Oui et du Non. En réalité, il y a deux niveaux de débat. Au niveau le plus profond, celui de l’assistance, il s’agit d’abord et avant tout d’exprimer un refus de l’Europe telle qu’elle est aujourd’hui. C’est d’ailleurs par cette phrase que commence François Dufour : « Quand je vois l’Europe actuelle, je suis très inquiet. » Il peut sembler facile de répondre : « Mais alors, pourquoi, en votant Non, votez-vous pour le maintien des traités actuels ? » Ce n’est pas si simple, car la rationalité n’est pas le fin mot de l’affaire. On veut voter Non pour voter Non. Non à l’Europe actuelle, celle de Nice, Non à la politique de Raffarin (et, à droite, Non à l’entrée de la Turquie). Cette fantasmagorie selon laquelle, en votant Non à une proposition de révision du traité actuel, on rejetterait le traité actuel (!), s’exprime quelquefois par la drôle d’expression : « Mais on ne m’a jamais demandé mon avis sur Nice, c’est maintenant que je vote Non ». En réalité, on va justement demander l’avis de tous les Français : « Voulez-vous passez à un nouveau traité, le traité constitutionnel, ou préférez-vous vous en tenir à Nice ? ». Mais, comme disait Marx, l’élucidation rationnelle d’une fantasmagorie ne la fait pas disparaître, et je n’ai pas encore trouvé d’autre truc que de poser clairement les termes du choix en espérant qu’ensuite les auditeurs feront tout seuls (mais pas tout de suite) leur démarche. C’est là qu’on entend une deuxième vague d’objections, plus tactiques : « En votant Non, je provoque une telle crise qu’on remettra tout à plat. » François Dufour ira même jusqu’à dire : « Gardons encore un peu ce malheureux traité, et donnons-nous le temps de le réviser sérieusement. » Il n’est pas simple, au moins dans un premier temps, de désamorcer cet argument. Tout au plus peut-on montrer que le Oui n’entraîne pas l’adoption d’un traité définitif : encore une fois, il est plus facile de réviser le TCE que de réviser le traité actuel ! Seulement voilà, ça s’appelle « Constitution » et beaucoup ont l’impression que « constitution » c’est plus durable que « traité ». Mais assez vite, les partisans du Non tactique pataugent. Alors que les partisans du Oui ont déjà leurs plans pour après (ce que leurs députés voteront dès qu’on leur en donnera le pouvoir, le Premier amendement constitutionnel déposé, les premières pétitions à lancer à la conquête d’un million de signatures...), eux n’ont pas de scénario crédible en cas de victoire du Non. En effet, que ce passera-t-il ? Théoriquement, les traités actuels ne peuvent être révisés qu’à l’unanimité. Un seul Non suffit donc à faire tomber le projet de TCE. J’imagine déjà le discours de Chirac au soir du 30 mai si le Non l’emporte : « Mes chers compatriotes, j’ai entendu votre message. Vous souhaitez marquer une pose dans la construction européenne. Le traité de Nice, dont je suis l’un des artisans, marque donc bien le juste équilibre entre la volonté de construire l’Europe et le souci de préserver la souveraineté nationale. L’Europe continuera à progresser sur des sujets concrets : la coopération technologique, militaire, etc » Combien de temps faudra-t-il pour que les 25 gouvernements (dont dix avaient refusé le TCE ! se mettent d’accord sur un nouveau projet ? Probablement une dizaine d’années. Il y aura sans doute deux ou trois ans de chamailleries, chacun rejetant la responsabilité sur l’autre, puis les « responsables », Blair, Schröder, Chirac, ayant sans doute été chassés par leurs électeurs, une nouvelle conférence inter-gouvernementale, précédée ou non par une convention ou une assemblée constituante qui renégociera dans le noir pendant 2 ou 3 ans, proposera un nouveau projet, qui sera meilleur ou pire que le traité actuel, nous n’en avons pas la moindre idée. Toutefois, une déclaration des chefs de gouvernements, annexée au projet (sans valeur juridique, mais diplomatique) leur laisse la possibilité d’utiliser par anticipation, pour l’adoption du TCE lui-même, l’article 443-4 du projet de traité constitutionnel : si 4/5 des pays acceptent une révision, on peut discuter d’un arrangement avec les pays qui ne parviennent pas à faire ratifier le projet. Supposons donc que la France rejoigne dans un « camp du Non » les trois pays dont les députés ont majoritairement voté Non lorsque le Parlement européen a adopté le TCE : la Tchéquie et la Pologne parce qu’il n’y a pas Dieu dans la constitution, la Grande-Bretagne parce qu’elle préfère un simple traité de libre échange. Comment ces trois pays, plus la France, pourront-ils formuler un bloc de propositions aux vingt-et-un pays qui auront voté Oui ? Certes Chirac est encore plus libéral que Blair et va à la messe, il pourra trouver des points d’accord avec ses trois collègues, mais il n’y a aucune chance pour que les 21 autres pays acceptent ces exigences. Le plus probable, c’est que les vingt-et-un adopteront la Constitution pour aller de l’avant, et proposeront aux quatre autres de ne plus participer aux processus de décision ainsi révisés, de la même façon que lorsque la Grande-Bretagne l’avait refusé à Maastricht, elle avait été mise à l’écart de l’euro... Je ne vois pas ce que la France, l’écologie ou les forces progressistes auraient à y gagner. C’est pourquoi, dans ces trois débats, je me suis contenté de poser le problème, sentant bien qu’un tel raisonnement ne pouvait être entendu du premier coup... mais qu’il aura certainement fait son chemin deux jours avant le scrutin du 29 mai !
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