Contre les brevets sur les logiciels : victoire ! (et les J.O. ?)
Mercredi 6 juillet 2005
Les fissures d’hier n’ont pas tardé à se propager. Dès l’après-midi du mardi, depuis la passerelle entre les deux bâtiments du Parlement européen, nous observons, avec Michel Rocard (rapporteur sur la directive brevets logiciels), une petite bataille navale qui se livre sur le canal entre un “gros” bateau affrèté par les partisans des brevets et des petits canoés pilotés par les adversaires du projet. Le symbole est très joli. La bataille des brevets logiciels oppose en effet, aux grandes entreprises (Microsoft, bien sûr, mais aussi Nokia, Siemens etc), non seulement les partisans des logiciels libres qui constituent le gros du militantisme sur le sujet, mais aussi la nuée de petites et moyennes entreprises qui assurent l’essentiel de la production européenne de logiciels. L’enjeu est connu : sous prétexte de protéger toutes les “inventions mises en oeuvre par ordinateurs” (c’est-à-dire les freins ABS, les machines à laver à basse consommation et autres machines pilotées par des ordinateurs), il s’agit d’ouvrir la porte au brevetage des logiciels eux-mêmes. Et plus grave encore : au brevetage des éléments de logiciels. On sait à quels excès ces pratiques ont conduit les Etats-unis : même le “clic” que vous utilisez sur les liens hypertextes, la barre d’avancée du téléchargement des documents, et pourquoi pas le zéro lui-même, ont fait l’objet aux Etats-unis de demandes de brevets. Résultat, les petites entreprises américaines consacrent des sommes énormes à vérifier si elles ne vont pas utiliser par mégarde un segment de raisonnement ou d’algorithme déjà breveté. C’est un peu comme si en littérature, on brevetait les rimes ou des bouts de scénario du genre "Boy meets girl" ! Les adversaires du brevet considèrent que l’analogie est tout à fait réelle : les oeuvres de l’esprit ne peuvent être protégées que par le copyright, comme le sont les romans. On aurait donc pu penser que le front serait très large pour rejeter en Europe le brevet sur les logiciels. Pourtant, malgré le vote du Parlement lors de la précédente législature, le Conseil européen avait adopté la même position que la Commission, ouvrant la voie au brevetage des logiciels. Plusieurs Parlements (néerlandais, espagnol, allemand etc) avaient critiqué la position en Conseil de leurs propres gouvernements. Mais les exécutifs n’avaient cure de ces admonestations des parlementaires. Nous abordions donc avec appréhension la deuxième lecture, où une majorité absolue des parlementaires élus (367 voix, ce qui représente environ 55 % des présents au moment du vote) est requise pour modifier la position du Conseil. Tout allait donc dépendre de la capacité des lobbyistes et des parlementaires écologistes et de gauche à convaincre leurs collègues de droite. Je m’y étais activé depuis plusieurs jours, n’hésitant pas à mobiliser les liens de sympathie individuelle (et non politique !) que j’avais pu nouer avec des collègues de droite, et même de la droite de la droite. Eh bien il était assez clair mardi que ça marchait ! Les fissures révélées par le vote sur la Banque centrale se confirmaient à propos du brevet logiciels : les partis souverainistes allaient voter contre. Enfin, coup de tonnerre, dès l’après-midi on apprenait que le PPE (l’énorme parti de la droite démocrate-chrétienne et conservatrice) était tellement divisé qu’il envisageait d’adopter un amendement préjudiciel, revenant à rejeter purement et simplement, dès la deuxième lecture, la directive. Ce que nous avons le droit de faire "en codécision", quoi qu’en aient dit pendant toute la campagne les partisans du Non, mais que nous n’avions jusqu’ici utilisé qu’en troisième lecture. Ce matin, Roselyne Bachelot, avec qui je me rends en voiture au Parlement, me l’annonce triomphante : à la réunion du PPE de la veille au soir, les partisans du brevet ont été écrasés ! C’est donc avec une certaine jubilation que nous entrons dans la cour du Parlement. Les militants anti-brevet l’occupent déjà. Les Verts, qui depuis plus d’un an et jusque dans les derniers jours ont été le fer de lance de cette bataille, posent pour les photographes au milieu des manifestants. Nous entrons dans l’hémicycle en maillots jaunes anti-brevets. Michel Rocard, en tant que rapporteur, demande la parole. Il annonce déjà la victoire et en souligne les leçons : “Un tel résultat est l’effet de l’arrogance avec laquelle aussi bien le Conseil que la Commission nous ont traités depuis un an. Par ce vote de rejet, nous ne barrons pas seulement la route à une directive validant le principe du brevetage des logiciels, nous envoyons un ferme avertissement au Bureau européen des brevets qui, contrairement à sa charte, admet de plus en plus le brevetage des logiciels. Si le bureau européen des brevets n’entend pas le message, nous devrons légiférer.” On passe au vote électronique : 14 voix seulement sur l’ensemble du Parlement se prononcent pour la directive qu’avait proposée la Commission et qu’avait entérinée le Conseil ! La représentante de la Commission en séance, Madame Ferrero Waldner, se lève alors et annonce que la directive est enterrée et que la Commission n’a pas l’intention d’en proposer une autre. C’est aussitôt le leader du PPE (l’Allemand Poetering), qui se lève et lui lance : “Mais si le Parlement européen vous le demande, vous devrez bien à nouveau proposer une loi : c’est ce sur quoi nous sommes tombés d’accord par l’accord inter-institutionnel de 1999.” Tiens ! Voilà justement l’élément qui me manquait quand, dans le débat constitutionnel, on me faisait observer, chaque fois que je précisais que le Parlement avait le pouvoir d’initiative des lois depuis le traité d’Amsterdam, que la Commission n’était pas obligée de suivre “l’invitation” du Parlement à proposer un projet de loi. Je savais que ce point avait été précisé par un accord inter-institutionnel, mais je n’avais pas su le retrouver... Sur le fond, le vote du parlement nous ramène à la situation antérieure : depuis des années, en toute illégalité par rapport à la Convention européenne sur les brevets, le Bureau européen des brevets (organisation parapublique) délivre des brevets logiciels dont le caractère judiciaire est douteux. Il faudra bien un jour clarifier, mais pas seulement sur les brevets logiciels, et une directive sur le brevet européen est justement à l’étude. Car, cela parait incroyable, ni la convention sur les brevets, ni le Bureau des brevets, ne sont des émanations de l’Union. Cela date de l’époque il n’y avait qu’un "Marché commun" : le droit international européen se formait en dehors de ce qui allait devenir l’Union, et tout n’a pas encore été "rapatrié" dans le corpus juridique de l’Union. Par exemple, demain, on vote l’incorporation de la Convention de Rome II sur les relations contractuelles et non-contractuelles de droit privé. Vite, rédiger mon communiqué (qui paraîtra presque aussitôt sur mon site et, avec les photos, sur Sinople, puis filer au déjeuner de travail de notre délégation verte en Commission du commerce international. Ensuite, je vais tranquillement savourer la victoire en somnolant à la conférence des présidents de délégations, quand France Inter m’appelle : ils veulent avoir une réaction Verte sur l’échec de la candidature de Paris pour les Jeux Olympiques. J’accepte, en me reprochant vaguement de risquer une nouvelle histoire corse... Mais enfin, j’assume la position de très nombreux écologistes, plutôt hostiles à la candidature. J’essaie de présenter la chose le plus diplomatiquement possible, car je devine la déception de nombreux Franciliens (et habitants des différents sites excentrés, comme ceux de La Rochelle), qui se sont décarcassés pour obtenir ces jeux. Je comprends cette déception : c’est un militantisme aussi civique qu’un autre. Mais organiser des Jeux olympiques dans une mégapole comme l’Île-de-France déjà sursaturée d’embouteillages n’est certainement pas une bonne idée d’un point de vue écologiste. En 2012, même en faisant de gros efforts, la congestion de l’agglomération n’aura certes pas diminué. L’effet de serre, les bouffées de canicule, les journées de pics de pollution, n’auront probablement pas régressé. Si l’Île-de-France et Paris ont de l’argent à dépenser en investissements, ils doivent tout consacrer à rendre l’Île-de-France vivable. La radio m’interroge sur les raisons de l’échec. Je reconnais que Delanoë a mené une campagne impeccable, je me réjouis de l’enthousiasme de la journée sur les Champs-élysées, je critique l’arrogance un peu désespérée de Chirac s’imposant à Singapour... Mais fort des discussions autour de moi depuis deux jours (à Strasbourg, députés et journalistes pronostiquaient le choix de Londres), je rajoute : “Il faut bien se rendre compte que la France a mauvaise réputation à l’extérieur en matière d’accueil des étrangers. Ce n’est pas seulement l’effet du Non français à la Constitution. La façon dont notre police et notre administration traitent les étudiants étrangers en France laissent des traces chez ces futurs cadres de tous les pays...”
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