La Martinique et le Tsunami
Jeudi 6 janvier 2005
Petit séjour en Martinique du 28 Décembre 2004 au 6 Janvier 2005. C’est la troisième fois que je prends quelques jours de vacances dans un département d’Outre-mer, pour y rencontrer les Verts et assimiler cette situation étrange de l’Europe tropicale, "ultrapériphérique". La Martinique, plus encore que la Guadeloupe, surprend par le niveau de vie, beaucoup plus haut que n’importe où en Amérique, au sud du Rio Grande. Tous les dispositifs d’action de l’État-Providence français se combinent avec ceux de l’Union Européenne (le FEDER). Résultat : la Martinique ne peut être compétitive sur aucun produit des Antilles, sauf sur ce qui est absolument "AOC", le rhum et le tourisme. Elle pourrait en outre se spécialiser comme centre de service et de maintenance de haute technologie, en particulier pour les énergies renouvelables, au service des pays beaucoup plus pauvres de la région. Pour le reste des emplois, il n’y a pas d’autre issue que le Tiers secteur, la mobilisation des dépenses passives de l’État-Providence au service de la communauté locale. On le voit, une telle stratégie (spécialisation régionale "haut de gamme", plus tiers secteur) suppose elle-même, au moins pour un temps assez long, le maintien de la Martinique (et des autres DOM et même de la Corse !) dans le cadre de la République Française et de l’Union européenne. Pourtant, la politique martiniquaise se présente comme un empilement de partis plus indépendantistes les uns que les autres, depuis le vieux PPM d’Aimé Césaire, qui tient les grandes municipalités et le Conseil Général, jusqu’à Modemas de Garcin Malsa, qui gouverne la ville de Sainte Anne, en passant par le MIM, qui tient le Conseil Régional. Et pourtant, la population, au dernier référendum, a, comme en Corse, refusé une modeste réforme (la fusion du Conseil Général et du Conseil Régional), qui aurait un peu accru la capacité d’autogouvernement de la Martinique, ce qui a été perçu comme un premier pas vers l’indépendance et la perte des avantages attachés à la République et à l’Union ! Au fur et à mesure de mes conversations, j’acquiers la conviction que ce vote nationaliste constant, contrastant avec le refus de l’indépendance, signifie en fait un vote anti-béké, c’est-à-dire contre la classe (ou la caste) des ex-esclavagistes qui tient encore la totalité du pouvoir économique. Dur en effet de voir les héritiers d’un des plus grands crimes contre l’humanité de l’Histoire conserver un tel pouvoir économique qu’il prive pratiquement de tout effet le pouvoir politique acquis par les descendants de leurs victimes. En fait, c’est en développant une toute autre logique que Garcin Malsa (avec qui j’ai pu avoir deux séances de travail) espère échapper à ce dilemme. Son projet de développement économique écologiste de Ste Anne est impressionnant. Le paradoxe, c’est que les plages de Ste Anne, aménagées de façon à paraître "vierges", servent de plus en plus de carte de visite à la Martinique. Deux millions et demi de visiteurs (l’équivalent du Château de Versailles) les visitent annuellement... et gratuitement, alors qu’ils habitent dans des hôtels qui défigurent les autres communes côtières, mais leur rapportent de copieuses taxes professionnelles ! Inutile de dire que Garcin Malsa est un chaud partisan des écotaxes et de la rémunération des services environnementaux. Et pourtant... cet indépendantiste rigoureux n’envisage pas avant quinze ans de se passer des fonds de l’Union européenne, et je lui promets de relayer ses projets auprès de la Banque Européenne d’Investissement. Mais hélas, ces vacances sont endeuillées par les terribles nouvelles du tsunami dans le golfe du Bengale. On l’a beaucoup dit, ce fut la première catastrophe naturelle globale, par le nombre de pays touchés, par la marée d’images qui envahit nos journaux et nos écrans, par la présence de touristes occidentaux sur les plages, etc.. Catastrophe naturelle ou catastrophe écologique ? Catastrophe écologique, sans doute, si on veut par là désigner un événement catastrophique entre l’humanité et son environnement. C’est bien entendu sur ce point que, invité par Radio France Outre-mer, je suis interviewé en premier lieu. Les actualités, juste avant moi, traduisent l’inquiétude de la Martinique devant le risque d’une telle catastrophe survenant directement dans le golfe des Caraïbes, voire même par l’effet qu’aurait sur les Antilles une catastrophe géologique aux Açores. Je suis un peu embarrassé par cette manière d’envisager les choses. Je ne peux m’empêcher de rappeler que c’est un très vieux débat, soulevé par la première catastrophe naturelle qui aient frappé les médias de l’époque, le terrible tremblement de terre de Lisbonne au 18e siècle. Voltaire et Rousseau avaient réagi chacun à sa manière. Pour Voltaire, cette énorme catastrophe avait suscité essentiellement une angoisse métaphysique : qui sommes-nous, tous, face à la mort ? Rousseau au contraire avait cherché à donner une interprétation que l’on pourrait appeler d’écologie politique : pour lui, un tremblement de terre n’aurait pas eu un tel effet sans la concentration des civilisations dans les villes. J’avoue que, face au tsunami, ma réaction est beaucoup plus proche de celle de Voltaire. C’est d’abord le sentiment d’appartenir à une humanité fragile, toujours guettée par la mort, inéluctable. Face à ce genre de catastrophe, seule la solidarité humaine a un sens (c’est même notre seule victoire possible sur la mort), et oui, on peut souligner l’inégale situation des peuples du nord et du sud face aux conséquences d’une catastrophe. Mais l’interprétation qui chercherait à rapporter les victimes directes à une cause sociale me semble dans ce cas un peu secondaire. Après tout il est normal qu’il y ait des pêcheurs au bord des côtes en Inde ou en Indonésie, et les stations touristiques ne s’étaient pas installées dans un endroit particulièrement dangereux (ce tsunami est le premier, historiquement, dans le Golfe du Bengale). En revanche, toute la zone des Caraïbes est guettée par des catastrophes sur lesquelles la responsabilité humaine est pleinement engagée, de véritables catastrophes écologiques au sens plein du terme. J’évoque pour RFO ces catastrophes qui guettent beaucoup plus sûrement les Caraïbes qu’un tsunami venu des Açores : la fréquence de plus en plus élevée et la violence croissante des cyclones, tels que ceux qui ont récemment ravagé le Venezuela ou le Honduras, avec des centaines de milliers de morts. Oui, dans ce cas, la vision de Rousseau est sans doute la plus juste : que ce soit par la contribution humaine à l’effet de serre qui décuple la violence des vents, que ce soit par la déforestation qui aggrave les phénomènes de ruissellement, que ce soit par la concentration d’habitats informels sur les pentes, la responsabilité de notre modèle de développement est pleinement engagée.
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