Début des négociations avec le PS : l’économico-social.
Lundi 27 juin 2011
Les négociations sur le projet, pour 2012, ont commencé. Elles s’ouvraient jeudi 16 avec le Parti socialiste. Je fais partie de l’équipe "économique et sociale". Nous commençons par nous réunir tous ensemble rue de Solférino, soit une soixantaine de négociateurs. J’ai connu les négociations précédentes : rien à voir. Aujourd’hui, les partenaires se respectent. Mieux, ils ont déjà appris à travailler ensemble, géré des régions et des villes, déposé ensemble des projets de loi ou des amendements, au Parlement Européen, au Sénat ou à l’Assemblée Nationale : bref, tout un bagage en commun. Dans mon groupe, je retrouve avec plaisir Pierre-Alain Muet. Nous fûmes collègues au Cepremap (centre de recherche associé au Plan où j’ai fait toute ma carrière de chercheur), puis il dirigea le Conseil d’analyses économiques au temps de Jospin. L’accord est assez large, mais des points de vue différents apparaissent vite sur 3 points. 1° D’une part, la vieille revendication des Verts (1992 !) d’une fusion de l’impôt sur le revenu (l’IRPP) et de la CSG, afin de disposer d’un impôt progressif à base large, est aujourd’hui accepté dans son principe par le PS (grâce notamment au livre de Thomas Piketty (autre collègue du Cepremap), auquel voici une bonne introduction). En 1997, c’était « niet », aujourd’hui , c’est « faut y aller progressivement ». Mais on se heurte vite à un problème que nous avons sans doute sous-estimé nous-mêmes : l’IRPP est « par ménage », la CSG par individu, et pour les fusionner il faut individualiser l’impôt sur le revenu. Cette individualisation de la fiscalité (qui est le cas général dans les pays modernes) sera certes un progrès pour l’égalité des enfants et pour l’égalité homme/femme. Mais actuellement l’existence des enfants et d’un partenaire au foyer est prise en compte par le « quotient familial ». Pour les enfants, nous proposons depuis longtemps de fusionner le bénéfice du quotient et les allocations familiales pour offrir à chaque enfant une allocation égale (sans distinction de revenu des parents ou de rang dans la fratrie). Mais passer d’un quotient familial et conjugal à une individualisation de l’impôt aura certainement des effets pervers, pour de nombreux ménages où l’homme travaille et la femme ne travaille pas... L’idéal serait évidemment une allocation universelle dont bénéficierait la personne au foyer. Le PS n’en est pas là. Le débat reprendra d’ailleurs, le samedi 18, lors du conseil d’orientation de la fondation Copernic, où l’on retrouve le même débat sur la fusion CSG/IRPP (avec une plus grande résistance chez Copernic à accepter la fusion d’une cotisation sociale et d’un impôt). Mais ici, c’est la "gauche de la gauche" qui n’a pas l’air de comprendre qu’une position de principe juste (la fin du quotient conjugal) peut être facilement manipulé par l’adversaire pour provoquer la panique chez les électeurs. Il va falloir trouver une solution pour assurer un revenu compensatoire autonome aux femmes au foyer, par exemple leur attribuer le RSA, comme si elles vivaient seules, puisqu’elles seront fiscalisées seules. Mais, outre le coût (qu’il faut calculer, sachant que le quotient conjugal ne rapporte rien aux ouvriers qui ne paient pas d’impôt sur le revenu, mais beaucoup aux classes moyennes « à un seul salaire »), c’est réintroduire le spectre du salaire domestique, prôné par les féministes italiennes... mais combattu comme « vichyste » par les féministes françaises ! 2°) Par ailleurs, si tout le monde (socialistes et verts) est pour le retour à la retraite à 60 ans, il n’est pas évident que le Parti socialiste soit près à revenir sur les lois Fillon de 2003 et donc sur l’allongement de la durée de cotisation. Ce qui revint à allonger la durée du travail par rapport à la situation de référence (à 60ans et au bout de 40 ans de cotisation). Pourtant le PS pense que la crise est en effet de nature keynésienne (la part du travail dans la valeur ajoutée est trop basse). « Ben alors, reprenons la réduction de la durée du travail, comme en 1998, mais en commençant par une retraite plus précoce ! » proposons nous. « Non, répondent-ils, c’est le plein emploi qui fera remonter les salaires ». « Mais justement, c’est l’allongement de la durée du travail qui aggrave le chômage ! » Etc… 3°) Enfin, le PS est pour reprendre la taxe énergie-climat dans la formulation Rocard, avant que Sarkozy ne la rabote et la rende inacceptable, et même inconstittionnelle. Nous précisons aux socialistes que, puisque cette taxe doit atteindre sa pleine puissance en 2020 et qu’on va commencer à l’introduire avec plusieurs années de retard, il faudra la mettre en oeuvre beaucoup plus vite . « Non, on décalera l’échéancier dans le temps. — Mais vous voulez toujours –30 % de CO2 en 2020 ? — Bien sûr ! — Alors comment vous faites ? » Etc. La discussion reprend sous l’angle macro-économique le 23 Juin. Le PS note avec intérêt notre plan de « conversion verte » (plus d’un demi million d’emplois créés dans les économies d’énergie et les renouvelables, avec plan de financement). Mais les mêmes points durs réapparaissent. S’agissant des retraites, le PS tient à la réforme Fillon de 2003, qui a porté la durée de cotisation à 42 ans et instaure le système de la décote/surcote (si vous avez perdu le fil des multiples réformes des retraites, cliquez ici : Retraite en France). Nous sommes d’un part pour revenir à 40 ans de cotisation, afin de rendre effective la retraite à 60 ans, mais surtout pour l’abolition du système de la décote/ surcote. Une personne qui avance / retarde son départ à la retraite favorise/ défavorise les chômeurs en attente, fait donc faire des économies ou au contraire coûte de l’argent à l’Unedic. Il serait légitime que ces économies ou ce surcoût soit restitué / imposé en partie à celui ou celle qui réduit / allonge sa durée du travail. Cette logique avait d’ailleurs été appliquée lors de la loi Aubry 1 sur la RTT hebdomadaire, il n’y a aucun sens à faire l’inverse dans le cas des retraites. À titre de compromis, nous proposons que le montant de la pension soit simplement « proratisé » en fonction de la durée de cotisation effective, étant entendu qu’i faut prévoir des compensations pour les études, les carrières pénibles ou hachées. Par ailleurs la loi Fillon était présentée comme « à répartition constante de la valeur ajoutée », comment prétendre qu’y revenir serait une politique de repartage des revenus, appelée par le caractère « keynésien » de la crise ? Au fond, ce que le PS ne perçoit pas clairement, c’est que le retour effectif aux 60 ans est pour la grande majorité « la » forme de réduction du temps de travail en tant qu’enjeu de 2012, équivalente aux 35 heures de 2007 : la (re)conquête qui à la fois offre du temps libre, opère une redistribution du PIB, et fait reculer le chômage. Par ailleurs une difficulté se profile : le PS propose de refaire le coup des emplois jeunes de 1997. Très bien, sauf que l’expérience de la « Majorité plurielle » de 1997 a montré que c’est assez long à mettre en place si l’on ne veut pas refaire les « rateliers nationaux » de 1848, alors que l’avancée d’un seul trimestre de l’age de la retraite libère instantanément quelques 100 000 emplois. Par ailleurs , cela risque de retarder d’autant la loi sur le tiers secteur d’Economie sociale et solidaire, qui se finance de la même manière (au fond : la mobilisation des dépenses passives du chômage). Or une loi cadre de libération de l’ESS est quand même la mesure-phare, stratégique, pour une nouvelle façon de vivre et de travailler. Cette loi cadre sur le tiers secteur était le second engagement de 1997, avec les 35 heures. J’avais produit pour Martine Aubry un rapport, Pour le tiers secteur, après consultation de 4000 personnes, qui contenait d’ailleurs un plan de résorption des emplois-jeunes. Ce rapport avait été « oublié » par E. Guigou, comme je l’ai raconté dans mon livre-bilan de la majorité plurielle, Refonder l’espérance. C’est à mes eux la plus structurelle des mesures à faire passer d’urgence, avec le plan de conversion verte et le retour à la retraite à 60 ans. Depuis, l’Economie sociale et solidaire a accumulé de l’expérience, formé ses cadres à la dure, suscité l’engouement des étudiants en gestion… Vous ne savez pas au juste ce que c’est, où elle en est ? Alors lisez vite l’indispensable petit livre de Jean-Louis Laville au titre significatif : Agir à gauche. L’économie sociale et solidaire Et pour ne pas confondre avec le retour de la domesticité, lisez le Devetter et Rousseau, Du balai - Essai sur le ménage à domicile et le retour de la domesticité (ici, mon commentaire de ce livre) . Deux lectures indispensables !
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