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par Alain Lipietz | 6 mars 2008

Lettre au Président colombien Alvaro Uribe
LANGUE ET TRADUCTIONS DE L’ARTICLE :
Langue de cet article : français
  • Español  :

    Excelentísimo Señor Presidente,

    Al cabo de algunos días de reflexión me permito escribirle con respecto al grave incidente ocurrido el 1ero de marzo: me refiero a la incursión en territorio ecuatoriano perpetrada por la aviación y tropas transportadas por aeronaves, con la finalidad de matar al "número dos" de las FARC, Raúl Reyes, y a los que lo acompañaron y de llevárselos junto con tres computadoras.

Monsieur le Président Dr. Alvaro Uribe
Monsieur le Président,
Je vous écris, après quelques jours de recul, à propos du très grave incident survenu le 1er mars : l’incursion dans le territoire équatorien de l’aviation et des troupes aéroportées, afin de tuer le "numéro 2" des FARC, Raul Reyes, ceux qui l’accompagnaient, et de ramener son cadavre et trois ordinateurs.

La protestation indignée du président de la République Equatorienne, Rafael Correa, et la réprobation internationale appelée par cette violation de la souveraineté équatorienne contraire à toute légalité, ne vous ont sans doute pas surpris, et je pense que c’est en toute conscience de cette réprobation que vous avez ordonné ou laissé commettre cet acte. Je n’ai rien à ajouter sur ce thème dont vous n’ayez déjà conscience.

J’ai lu attentivement le discours du Président Correa, ainsi que la "réponse de votre ministre des Relations Extérieures à la Chancelière du gouvernement équatorien", ainsi que quelques articles relatifs au contenu des ordinateurs.

Et c’est à un triple titre, Monsieur le Président, que je me permets de vous écrire. En tant que Président de la délégation du Parlement européen pour la Communauté Andine, en tant que Français, en tant que très vieil ami de la Colombie et du peuple colombien. J’ai eu, en outre, plusieurs fois l’honneur de m’entretenir avec vous et de bien comprendre votre point de vue, encore tout récemment à Bruxelles et à Bogota.

En tant que Président de la délégation pour la CAN, je ne peux qu’exprimer ma totale incompréhension devant une telle agression de la Colombie envers un pays frère, en pleine négociation d’un accord d’Association entre la CAN et l’Union européenne. Vous m’avez assuré il y a quelques jours de votre volonté de négocier "de bloc à bloc". Comment peut-on encore parle de "bloc" quand un membre du bloc prend l’initiative d’une intervention militaire sur le territoire d’un autre ?

En tant que Français je garde mémoire d’une guerre atroce que mena mon pays contre le Front de Libération National algérien, avant de finir par négocier avec lui. Cette guerre fut émaillée d’incidents internationaux du même ordre : le bombardement de Sakhiet en Tunisie, le détournement d’un vol international pour capturer des dirigeants du FLN... Ces actes discréditèrent à ce point la diplomatie française qu’elle perdit une guerre que ses militaires pensaient avoir gagné sur le terrain.

Je ne nie en aucune manière le droit du gouvernement constitutionnel colombien de répondre par les armes aux agissements criminels des groupes que l’Union européenne elle-même a inscrits et maintient sur la liste des groupes terroristes : les AUC, l’ELN, les FARC. Mais porter le feu dans des pays voisins, déjà fortement perturbés par l’afflux des réfugiés colombiens, est une toute autre affaire.

Mais il y a encore plus grave - s’il est possible. Cela concerne le peuple colombien, les milliers de séquestrés et leurs familles, la possibilité du retour à la paix en Colombie.

Vous avez approuvé publiquement, Monsieur le Président, un projet de "zone de détente" à La Florida - Pradea, proposé par les médiateurs espagnols, suisses et français, afin d’y négocier un échange humanitaire.

Devant le refus par les FARC du périmètre proposé, vous m’aviez dit vous-mêmes : "S’ils ne veulent pas négocier en Colombie, qu’ils négocient n’importe où, même au Vatican !".

Or, depuis quelques semaines, les libérations par les FARC de citoyennes et citoyens colombiens, sénateurs ou représentants se multiplient. Vous avez remercié publiquement les médiateurs qui ont permis ces libérations de Colombiens, libérations à coup sûr porteuses d’espoir.

Il est logique que s’il y a eu médiation, il y a eu un lieu pour ces négociations, et qui si ce lieu n’était pas en Colombie, alors il a fait l’objet "d’arrangements" territoriaux temporaires entre les FARC, les médiateurs et les autorités des pays voisins de la Colombie.

Il est de notoriété publique que seul un dirigeant de l’envergure de Raul Reyes pouvait conclure de tels accords de libération (Monsieur Granda, que vous avez fait libérer à la demande du Président Sarkozy, étant un trop petit maillon dans la hiérarchie des FARC pour prendre de telles décisions).

Il est révélé, par l’un des ordinateurs saisis dans le campement de Raul Reyes, que des autorités équatoriennes avaient pris des dispositions pour qu’en cet endroit, près de la frontière, soit négociée la libération du Soldat Moncayo, doyen des prisonniers des FARC, et dont le seul crime était d’avoir défendu l’ordre constitutionnel de sa patrie.

Nous saurons peut-être un jour si les libérations précédentes avaient été négociées dans le même campement ou selon un arrangement de ce genre.

Ce qui est certain, c’est qu’en faisant tuer Raul Reyes en cet endroit, les Forces Armées Colombiennes ont mis un terme aux négociations pour la libération du Soldat Moncayo et sans doute de bien d’autres à sa suite. Je pense en particulier à l’ex-sénatrice Ingrid Betancourt, dont les "preuves de vie" inspirent les plus hautes inquiétudes sur sa santé à cour terme.

Monsieur le Président, avec tout le respect que je vous dois, je vous appelle au respect der la logique et de l’humanité. Vous ne pouvez pas vouloir une médiation et tuer les négociateurs, vous ne pouvez pas appeler à la solidarité internationale pour sauver vos compatriotes, et bombarder les pays-frères qui offrent des facilités pour les négociations.

Songez-y un instant : que se serait-il passé si un médiateur important, évêque colombien, dirigeant de la Croix Rouge, ministre ou député d’un pays médiateur européen, avait été ce soir-là à négocier avec Raul Reyes dans le campement facilité par les autorités équatoriennes ? Que se serait-il passé s’il avait été tué, lui aussi, par une bombe colombienne ? Que ce serait-il passé si Raul Reyes avait été localisé au Vatican négociant avec des émissaires suisses ? Auriez-vous fait bombarder le Vatican ?

C’est donc porté par le souci de vos compatriotes que je vous appelle, Monsieur le Président, non seulement à éviter les confrontations militaires qui mettraient en péril la vie des otages, mais à vous abstenir absolument de toute opération violente contre les négociateurs, émissaires ou médiateurs dans la recherche d’un accord humanitaire, que ce soit sur le sol de la Colombie, et à plus forte raison sur le sol d’un autre pays souverain.

Alain Lipietz



À noter :

Carte faite par F3rn4nd0 sous licence creative commons.

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