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par Alain Lipietz | 24 décembre 2008

Publié dans Politis n°1032
Climat : la trahison européenne
Tout se présentait bien. Depuis 2007, l’Union européenne s’engageait à réduire de 30% (par rapport à 1990) ses émissions de gaz à effet de serre dans le cadre d’un accord mondial« post-Kyoto » finalisé à Copenhague, fin 2009. Mais faute d’accord, l’Union s’engagerait à réduire unilatéralement de 20%. Début décembre, une réunion préparatoire négociait à Poznan. Un Conseil des chefs d’Etat de l’Union se tenait parallèlement pour faire à Poznan cette offre « canon ».

Catastrophes : la crise économique mondiale est venue, et le président semestriel du Conseil européen se trouvait être Nicolas Sarkozy. Qui n’avait qu’une idée : arriver à un accord à n’importe quel prix sous sa présidence, afin d’en empoché la gloire.

Accord sur quoi ? sur un paquet « énergie-climat » comprenant 6 directives, à adopter en « codécision » (Parlement et Conseil) et à la majorité, en deux ou trois lectures si besoin. Mais Sarkozy voulait aller vite. Or l’Allemagne, la Pologne et l’Italie, freinés par leurs lobbys liés aux vieux modèles de développement (automobile, charbon…), traînaient les pieds

Au Conseil du 11 décembre, un « compromis » entre gouvernements est bouclé, pour montrer le rôle « exemplaire » de l’Europe. Le résultat n’est pas exemplaire du tout !. Se substituant au législatif, les gouvernements ont négocié (avec les rapporteurs du Parlement, quand même) un accord qui nous rejette très loin de l’objectif -30%.

Or ces « –30 % d’ici 2020 » ne tombaient pas du ciel. Ils étaient inspirés par le « scénario A-1-B » du Groupe intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (Prix Nobel de la Paix). C’est la condition sine qua non, censée limiter la croissance de la température du globe à + 2 degrés. L’unanimité péniblement obtenue par Sarkozy (alors que la majorité suffisait) envoie plutôt la planète vers +4°C et vers les scénarios catastrophes (fonte massive des glaces, évaporation du méthane de Sibérie, etc). Car l’accord en Conseil planifie « -20% pour 2020 », et encore, il autorise les Etats à le réaliser largement… en finançant des projets « propres » dans le Tiers monde (« Mécanismes de développement propre »), seule offre faite à ces pays pour les aider à s’adapter.

Voici donc le message de l’Europe au reste du monde à Poznan : « La stabilisation à +2°C , c’est foutu, sauve qui peut ». On comprend que Poznan ait échoué. Mais c’est aussi un message à usage interne : face à la crise économique, la « relance » ne sera pas une mobilisation générale verte, mais une relance classique avec un peu de vert dedans…

Le Parlement européen allait-il gober ça ? Hélas oui. Les règles du traité de Nice, très intergouvernementalistes (au contraire du traité rejeté de Lisbonne, beaucoup plus fédéraliste et parlementariste) ne lui laissaient que peu de marges de manœuvre. Eh bien, les grands groupes politiques (doites, socialistes et centristes) ont décidé de s’en passer, et d’adopter, en première lecture et en bloc, la position du Conseil ! Dès lors, c’était plié, le compromis du Conseil définitif, plus d’amendement possible, plus de deuxième lecture…

Les Verts, furieux (avec échange d’insultes entre Cohn-Bendit et Sarkozy en plénière), n’avaient plus qu’à prendre leur responsabilités « pour l’Histoire », en sachant que leur vote n’aurait aucune influence.

Ils approuvent les directives assez bonnes (« qualité des carburants » et « énergies renouvelables »), rejettent celles sur les « normes de consommation des automobiles neuves » (où les constructeurs ont fait jouer la peur de la crise), et sur le « stockage géologique » du carbone (non que le stockage soit une mauvaise chose, mais les techniques envisagées sont coûteuses et incertaines). Et, bien entendu, la directive « partage du fardeau » qui se résume au faux « fardeau » (pour qui ? ) de –20%.

Reste la directive sur les « échanges de quotas d’émission » de gaz à effet de serre pour les grosses industries. Pour les économistes de l’environnement, c’est la forme la plus contraignante des politiques anti–pollution : les Etats distribuent chaque année un quota de plus en plus réduit, après quoi les industriels se les échangent entre eux en fonction de leurs besoins. Mais on peut faire encore mieux : vendre la première distribution aux enchères, ce qui fonctionne comme un impôt et permet de réduire d’autres impôts, de financer la solidarité entre pays, etc.

Nous espérions que 100% des quotas distribués seraient vendus aux enchères par les Etats. Le compromis Sarkozy permet d’en distribuer gratuitement à une grande partie de l’industrie, au nom de la « compétitivité ». Argument faux : dans le cas de l’aviation, l’Europe a déjà décidé de rétablir une concurrence non faussée en obligeant les compagnies des pays tiers à acheter aussi leur quota quand leurs avions se posent en Europe. On pensait que très vite viendrait le tour du ciment. Eh non : on distribuera gratuitement les quotas aux cimentiers « pour les empêcher de délocaliser » !

Bon, il n’est pas scandaleux que des quotas soient initialement distribués gratuitement, s’ils obligent vraiment les industriels à réduire leurs émissions. On a le temps d’ici 2020 de rendre le système plus contraignant :les Verts préfèrent en confirmer le principe. Tout ceci, encore une fois, « pour le principe » : les six directives sont adoptées par le Parlement le 17 décembre.

Tout est –il donc perdu ? Honnêtement je crois que l’objectif « Stabilisation à +2°C » est perdu. De combien ? Cela dépendra de la trouille des uns et de la force de conviction des autres. Un vaste plan de mobilisation de toute l’activité européenne et mondiale reste possible comme issue à la double crise économique et écologique, où le vieux modèle bagnole-pétrole est délégitimé. Mais les écologistes sauront-ils convaincre que le retour au plein emploi passe justement par cette mobilisation générale ? Rendez-vous aux élections européennes !




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