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Accueil  > Député européen (Verts, France) > Bilan de mandat au Parlement européen 1999-2003 (http://lipietz.net/?article1083)

par Alain Lipietz | 6 septembre 2003

Quatre ans d’activité
Bilan de mandat au Parlement européen 1999-2003
La première chose à dire, c’est qu’on est mal préparé à devenir député européen. Le Parlement européen a un fonctionnement très différent de l’image de la vie politique française.

Il traite d’une quantité de choses colossale, qui se négocient avec deux autres instances (la Commission et le Conseil) et les groupes de pression de la société civile (depuis les lobbies financiers jusqu’à ceux des exclus et des écologistes…), de 15 pays et en 11 langues, donc avec au moins autant de clivages culturels, sans compter les clivages politiques. L’art oratoire y est inutile et n’y intéresse personne. Député européen, c’est un travail de négociations et de dossiers. Des centaines de dossiers par an, entre lesquels on passe sa vie à zapper.

Dans cette espèce de ruche de Babel, il faut vite choisir ses spécialités, et faire confiance au reste du groupe et à ses collaborateurs, pour les 95 % de dossiers qu’on ne suit pas.

J’ai choisi de me concentrer sur mon travail dans la Commission économique et monétaire (profondément ennuyeuse et réac, mais il y a peu de volontaires Verts) et dans la délégation Amérique du Sud.

J’ai déjà présenté 9 rapports (3 fois la moyenne des députés français pour l’ensemble de leur législature), mais seulement trois représentaient une bataille politique importante.

Je n’ai sollicité aucun poste « honorifique » (présidence ou vice-présidence) : pas le temps. J’ai suivi la vie du groupe pour quelques « grandes batailles » (guerre en Irak, clonage, OGM, etc.), ce qui m’a permis de mieux cerner les profondes divergences culturelles qui semblent opposer les mouvements Verts européens (d’où ma participation depuis cette année au Conseil du Parti Vert européen). J’ai dû laisser tomber la Commission sociale où je suis suppléant (car elle se réunit toujours en même temps que la Commission économique) ; l’intergroupe tiers secteur n’a jamais vraiment fonctionné, mais les contacts noués à Bruxelles m’ont été très utiles pour rédiger le rapport à Martine Aubry, devenu le livre Pour le tiers secteur. Le groupe de travail sur la mondialisation mène un travail fructueux de préparation des grandes initiatives internationales (Porto Alegre, Cancun…) auxquelles je participe activement.
Enfin, être député, c’est organiser des colloques, prendre des initiatives d’enquêtes, et rendre compte aux électeurs.

I. Travail dans la Commission économique et monétaire

Véritable « Conseil d’administration de la bourgeoisie européenne », cette commission est sous la domination écrasante de porte-paroles presque directs du capital financier de Londres, Francfort ou… Luxembourg. Mes rapports y sont forcément défigurés par les amendements et ne peuvent être sauvés qu’en plénière (quand j’ai le rapport à titre principal) ou ne servent qu’à fournir des arguments aux Verts des autres commissions (quand il s’agit de rapports pour avis).

Appartiennent à la seconde catégorie (plus idéologique) mes rapports sur les retraites, l’environnement et la politique économique et le développement durable, la situation des pays candidats à l’adhésion, ou encore mon rapport sur la concurrence.

Les vraies batailles politiques sont celles où il s’agit de « faire passer » le rapport, jusqu’au niveau législatif. Il s’agit essentiellement des trois suivantes :

a) Le rapport sur la Banque européenne d’investissement

Il s’agit de la « Banque mondiale » de l’Europe, finançant ses politiques de grandes infrastructures ou le développement de sa périphérie.
Jouant tactiquement de l’hostilité viscérale des néolibéraux (surtout britanniques) à l’égard de cette institution, je suis parvenu, après un long travail avec le réseau « Bankwatch » (les ONG, type Amis de la Terre, qui surveillent les opérations financées par cette banque), à obtenir de la BEI et du Parlement européen une réforme profonde des procédures de débats publics sur les projets financés par la BEI.

b) Le rapport sur la surveillance des conglomérats financiers

Rapport ultra-technique, où il s’agissait d’établir des normes comptables et prudentielles pour prévenir les crises financières dues aux excès de la spéculation. Aucun intérêt direct pour les écologistes (quoique…), mais il fallait bien que quelqu’un s’y colle (des centaines de pages d’argumentation souvent en termes mathématiques !), tout en faisant la preuve des compétences « généralistes » des écolos, et cela m’a permis de me former à la négociation avec le Conseil et à la Commission, et à la résistance aux lobbies financiers. Je suis parvenu à faire voter le Parlement avant le Conseil et à influencer ainsi très largement le résultat final.

c) La directive sur la responsabilité environnementale des entreprises

Il s’agit sans doute, pour les Verts, de la loi la plus importante de cette législature, qui aura beaucoup plus d’importance que la Charte environnementale de Chirac. À la suite d’une bataille perdue, la responsabilité du rapport est revenue à la Commission juridique, mais je me suis retrouvé « rapporteur pour avis » de la Commission économique, ce qui m’a permis d’être associé à toute la bataille, qui s’est conclue par une (très) fragile victoire en première lecture le 14 mai 2003.

II. Travail dans le cadre de la délégation Amérique du Sud

Outre ma participation régulière aux réunions communes du Parlement européen et du Parlement latino-américain, je m’efforce de faire la tournée de tous les pays d’Amérique du Sud. Par la force des choses, mon travail politique s’est concentré sur la zone « bolivarienne » (Colombie, Équateur, Venezuela), zone de tempêtes de l’Amérique du Sud.

Plus récemment, il s’est étendu à l’Argentine et au Brésil, mais plutôt dans la suite de mon travail depuis vingt ans avec les forces progressistes et écologistes de ces pays.

Avec la Colombie, l’enlèvement d’Ingrid a malheureusement occupé l’essentiel de mon temps (en vain) alors que j’avais entamé un gros travail contre le Plan Colombie.

Les rapports avec l’Équateur, et notamment le mouvement indigéniste , ont permis de resserrer les liens avec l’ensemble des mouvements indigènes des Andes et du bassin de l’Amazonie. Les récentes et très prometteuses relations avec la « révolution bolivarienne » et le Président Chavez verront sans doute développer leurs effets dans la dernière année de cette législature.

III. Mes initiatives

J’entends par là les activités « facultatives » sur initiatives de députés : les groupes de travail tels que « Mondialisation », les colloques organisés par un(e) député(e), les enquêtes et approfondissements politiques personnels.
Dans mon cas, il s’agit essentiellement

a) des activités « altermondialistes » :

- Participation aux trois Forums Social Mondiaux de Porto Alegre (avec à chaque fois participation à plusieurs tables rondes, soit en tant que parlementaire, soit en tant qu’expert invité) et à de multiples conférences sur le sujet ;
- Suivi des réunions de la Convention Biodiversité et des réunions de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle sur ce sujet (il s’agit essentiellement d’essayer de me mettre au niveau, considérant que je maîtrise à peu près la Convention Climat) ;
- Participation annuelle au Séminaire d’Écologie politique Latino-Américain ;
- Invitation au Forum Social Régional Latino-Américain (Cuenca-Quito 2002) contre le traité de libre-échange des Amériques.
- Visite en Israël - Palestine (sur une initiative d’Alima Boumedienne).

b) de l’organisation de deux colloques (un troisième en préparation) :

- Conclave sur une alternative « mutualiste » aux retraites « sur-complémentaires »
Il s’agissait d’opposer, aux fonds de pension à la française (essentiellement l’assurance-vie) une solution mutualiste, non-lucrative, démocratique et éthique. Même si les riches échanges, réunissant les principaux syndicats et mutuelles, n’ont pas eu de suite au niveau français (ils en ont eu au niveau européen), ils ont permis d’engager une forme de coopération entre ces grandes organisations sociales et les Verts, dont les « conventions » de cette année sont une forme développée.
- Colloque « Crise en Colombie »
Il s’agissait d’offrir à la Commission et au Conseil européens des critères démocratiques et humanitaires pour participer au financement de la paix en Colombie, sans participer au « Plan Colombie » des États-Unis. Cette initiative, qui a réuni les responsables de la Commission et de la présidence du Conseil européen avec les représentants des organisations des droits humains en Colombie et le maire (Vert) de San Vincente del Caguan, n’a pas eu de suite non plus du fait de la fin du « processus de détente » et de l’élection d’Uribe, mais a renforcé le rôle officiel des Verts dans la relation Union européenne - Colombie.

IV. Rendre compte

Et puis, enfin, bien sûr, être député, c’est rendre des comptes à ses électeurs (et pas seulement à son parti). Dans ce dessein, je me suis limité à deux méthodes.

- De très fréquentes réunions débats (environ une par semaine, hors vacances scolaires), en acceptant à peu près toutes les invitations dans l’ordre (donc avec une longue attente pour tous !), ce qui constitue un échantillonnage satisfaisant : Île de France/autres régions, grandes villes/petites villes, etc. C’est là qu’on mesure comment sont perçues l’Europe et les quelques victoires que nous y avons remportées.
- Et, bien sûr, l’internet. Depuis mon élection, le site conçu et géré par mon assistante Perline est reconnu par les militants (pas seulement Verts) les journalistes spécialisés et les chercheurs comme un précieux outil, bien documenté, assez rapidement tenu à jour, sur ce qui se passe à l’Europe, et même comme un des meilleurs sites politiques.

Vous y trouverez la chronique de tout ce qui vient d’être ici évoqué, et bien plus ! Une newsletter par e-mail (la Feuille du Tilleul), envoyée par abonnement sur demande, permet d’être informé des nouveaux textes introduits sur le site.

Seul regret : passé les premières années, je n’ai plus guère reçu de conseils et critiques sur ce site qui reste pourtant loin d’être parfait. Même si des demandes d’éclaircissement transitent par ce site, ce media reste plus « asymétrique » qu’on ne le prétend : plus un journal en temps réel qu’un forum.

Les débats directs sur le terrain restent donc indispensables.



À noter :

Photo Alina Zienowicz, sous licence GNU.

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