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par Alain Lipietz | 3 février 2000

Politis, n°586
Taxe de Tobin : le coup de poignard dans le dos
Branle-bas de combat, ce mercredi 19 au soir à Strasbourg. Les représentent des groupes ELDR et pasquaïens à l’intergroupe " Taxation des capitaux " du Parlement européen viennent d’annoncer qu’ils soutenaient la motion demandant à la Commission de Bruxelles de proposer, d’ici 6 mois, un projet de " taxe de Tobin " sur les capitaux spéculatifs.

Quinze ans de travail de quelques économistes, relayé depuis quelques années par la surprenante mobilisation des groupes ATTAC, en France puis à travers le monde, achève ici les épreuves éliminatoires. Demain, on passe aux choses sérieuses : les quarts de finale, en quelque sorte. Avec le soutien assez inattendu de ces deux groupes, centriste et " souverainiste ", la gauche du Parlement (Verts, socialistes et communistes) peut espérer la majorité. Si le Parlement vote la taxe, les gouvernements européens qui composent le Conseil auront plus de mal à la rejeter ; s’ils acceptent en " demi-finales ", il ne restera plus qu’à l’appliquer entre l’Europe et le reste du monde, ou mieux, gagner en finale, c’est-à-dire aux négociations sur la réforme du système financier international.

L’enjeu est clair depuis des années. Non pas abattre le capitalisme, mais l’une de ses tumeurs les plus criantes : la spéculation financière, qui peut jeter en quelques semaines des millions de gens au chômage, comme on l’a vu en Asie. Instruits par cette expérience, les auteurs du texte ont rajouté, à la Taxe de Tobin qui n’entrave que la spéculation au jour le jour, la " méthode chilienne " qui permet de bloquer les capitaux investis à 6 mois, et la suppression des paradis fiscaux (voir L’A.M.I., on l’a eu ! Maintenant, on fait quoi ?).

Ainsi, le Vent de Seattle vient de s’engouffrer jusque dans les instances officielles. Et, comme toujours dans ces conjonctures historiques, la majorité est atteinte parce qu’une partie du centre et de la droite rejoint la gauche. Pour frayer la voie à ces transfuges, les rédacteurs ont concédé des considérants de pure forme. Il s’agit bien de " garantir une plus grande stabilité économique et sociale " (considérant C), " un fonctionnement des marchés financiers globalisés débarrassés de leur excès " (point 2), tout en soulignant les autres causes de crise (point 4), et bla, bla, bla…

Le groupe ELDR, essentiellement composé de libéraux anglais et d’amis italiens de Prodi, ne garantit pas tous les votes de ses membres. Les pasquaïens sont sereins : la taxe de Tobin figure à leur programme. En fait, les villiéristes voteront contre (et les Chasseurs s’abstiendront).

Mais dans la nuit, Tony Blair et son chancelier Brown inondent les travaillistes anglais de fax leur intimant l’ordre de ne pas voter le texte. Le 20, à midi, on se compte. Un dixième des Verts sont hors service (un Français a une double fracture, etc.), mais c’est la même chose dans tous les groupes. On vote. Battus par 6 voix ! Tonnerre d’applaudissements à l’extrême droite et à droite (seuls quatre démocrates-chrétiens ont voté " pour ", dont François Bayrou). Dans son émotion, un Vert a voté avec sa carte électronique à l’envers.

Je sors, maudissant les travaillistes qui se sont presque tous abstenus. Arlette est déjà devant les caméras. Radieuse. Les trois députés Lutte Ouvrière ont voté contre ce texte : " On n’est pas là pour réformer le capitalisme ". Ces salauds de réformistes ont failli diminuer la misère du monde et donc la révolte des masses, différant de plusieurs années la révolution ! Krivine, lui, s’est abstenu (l’autre moitié de la LCR a préféré aller s’occuper… de la marée noire ). " Le point 4 était inacceptable ", paraît-il (dans Rouge, la semaine suivante, ce sera le point C, le point 1, ou le point 2, n’importe quoi…).

Bilan : la taxe de Tobin est éliminée en quart de finale par la coalition de ceux pour qui le capitalisme est bien tel qu’il est (la droite et les blairistes) et de ceux qui espèrent que son cortège de misères poussera les masses vers la révolution (les trotzkystes) ou vers le fascisme (le FN).

Mon diagnostic : seuls ces derniers sont lucides ! Mais le vote des trotzkystes révèle aussi toute une conception de la politique. Les luttes pour les réformes n’ont pour elle d’intérêt que si elles n’aboutissent pas. Elles ne servent qu’à convaincre quelques syndicalistes, quelques militants d’ATTAC, qu’il faut aller plus loin : la Révolution. Une Révolution dont on sait plus ce qu’elle est, qu’on n’a jamais su faire.

Dans un mois, dans un an, nous repartirons à l’assaut. Sans eux.




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