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par Alain Lipietz | 30 mai 2009

Réponse au questionnaire de France Amérique Latine
1)Quel type de nouvelle relation de coopération et de commerce préconisez-vous entre l’Union européenne, l’Amérique Latine et la Caraïbe (ALC) ?
Les écologistes sont pour un monde multipolaire dont l’Amérique Latine et les Caraïbes doivent représenter un des pôles, au même titre que les Etats-Unis, l’Union européenne, l’Inde ou la Chine. Cela passe impérativement par la réalisation du « rêve de Bolivar » : l’unification de l’Amérique Latine. Cette unification seule lui permettra d’une part de rejoindre les autres pôles comme la Chine et l’Inde dans la « cour des grands », et d’autre part de mener une politique indépendante du néo-colonialisme sous toutes ses formes.

L’Union européenne a un intérêt géostratégique à encourager un tel monde multipolaire. D’une part parce que cela lui assure un contrepoids à des puissances qu’elle juge menaçantes, comme les USA. D’autre part parce que, cherchant à fonder son influence (comme le lui reprochent les néoconservateurs américains) en propageant son propre modèle « kantien » d’unification par des négociations permanentes, elle ne peut prétendre assurer sa part du leadership mondial que dans un monde régulé par des accords internationaux incarnant l’intérêt général de la planète.

Ces intérêts bien compris de l’Europe convergent avec ceux des écologistes. Nous pensons en effet que, malgré l’ombre du néolibéralisme qui a ravagé toute la planète depuis un quart de siècle, l’Union européenne dispose encore des « plus forts restes » de régulation, d’Etat-providence, de services publics et de règles sociales, et qu’elle a tout intérêt à diminuer la concurrence qui s’exerce sur elle à coups de bas salaires par une reprise et une généralisation mondiale de ce modèle. De même, l’Union européenne étant un continent particulièrement dense, et à ce titre, menacé par le changement climatique, elle a intérêt à trouver des appuis dans les arènes où se discute la résistance planétaire au changement climatique.

L’Amérique du Sud, continent parmi les plus inégalitaires du monde, mais actuellement doté d’exécutifs progressistes (sauf en Colombie, au Pérou ainsi que dans quelques pays des Caraïbes), représente de son côté la volonté de nouvelles règles sociales aussi bien internes qu’à l’échelle de la planète. De même, si quelques pays d’Amérique Latine sont des exportateurs d’énergies fossiles, la très grande majorité, exposée aux sécheresses, aux inondations et aux cyclones, sont plutôt des victimes du changement climatique. Union européenne et Amérique Latine ont donc des intérêts communs, qui ne se matérialiseront que si l’Amérique Latine sait s’unir dans un projet à la fois social et écologiste.

Comment l’Union européenne peut-elle aider l’Amérique Latine à s’emparer de ce projet ? En menant des négociations pour des accords d’association visant à unifier et non à diviser entre eux les pays d’Amérique Latine, et en subordonnant les aspects commerciaux des négociations aux aspects Droits de l’Homme et Coopération-développement.

Cette stratégie, dite « de bloc à bloc et à trois piliers inséparables », a été constamment défendue par les eurodéputés écologistes sortants, que ce soit dans les délégations Mercosur, Mexique, Chili, Centre-Amérique ou Communauté andine (dont un Vert était président). De même, nous avons résolument défendu cette ligne en INTA (commission du commerce international). Cette ligne a obtenu le soutient de tous les présidents progressistes d’Amérique Latine, et à ce titre le président Vert de la délégation pour la Communauté andine était le seul non-américain invité à la fondation de la Communauté Sud-Américaine des Nations (CSAN), à Cusco (décembre 2004).

A notre sens, la négociation de bloc à bloc et à trois piliers doit prendre en compte :

- S’agissant du premier pilier (dialogue politique) : la progression des Droits de l’Homme dans les deux régions, et l’alliance dans les arènes internationales où se négocient les accords internationaux sur l’environnement.

- S’agissant du second pilier (coopération pour le développement) : les légitimes transferts de fonds et de technologies, qui doivent être placés sous le contrôle des populations concernées, et viser non pas la généralisation du modèle agro-industriel européen, mais anticiper sur la conversion verte rendue obligatoire par la crise économique et la crise écologique mondiale.

- S’agissant du troisième pilier (accord commercial) : il faut prendre en compte l’asymétrie de situation entre l’Europe et l’Amérique latine, et les asymétries pouvant exister à l’intérieur de chaque sous-région d’Amérique Latine. Nous refusons une libéralisation inconsidérée, que ce soit de l’Amérique Latine vers l’Europe (bananes, viande bovine…) qui ne pourrait qu’enfoncer l’Amérique Latine dans sa spécialisation primo-exportatrice héritée de l’époque coloniale tout en détruisant l’agriculture européenne et en compromettant les accords privilégiés que l’Union européenne cherche à entretenir avec les pays encore plus pauvres de la planète, ou que ce soit dans le sens Europe – Amérique Latine (services publics tels que l’eau, le téléphone etc.).

Nous admettons que l’Amérique Latine peut avoir besoin de débouchés en Europe pour financer ses importations. Nous insistons donc sur le fait que l’ouverture réciproque doit être subordonnée aux accords internationaux sur l’environnement et sur le droit social international, et que les accords d’association ainsi conclus doivent être suspendus en cas de violations des droits humains.

Plus particulièrement, nous n’avons pas d’opposition dogmatique à l’ouverture de négociations sur des chapitres tel que les services, les marchés publics, la propriété intellectuelle. Au contraire, dès lors qu’ils sont placés sous le contrôle des citoyens, de tels accords devraient permettre de défendre la propriété intellectuelle indigène sur la biodiversité, le principe de l’accès à l’eau comme droit fondamental, le principe de contrôle des collectivités territoriales sur les services publics qu’elles offrent.

2)Comment inscrivez-vous la stratégie de Lisbonne dans les rapports de l’UE avec l’ALC et quelle analyse faites-vous des conséquences possibles ?

La stratégie de Lisbonne assignait comme objectif à l’Union européenne de devenir « la zone du monde la plus compétitive possible par l’intelligence, grâce à un Etat social fort et dynamique ». Cette stratégie avait été établie à une époque où les gouvernements sociaux-démocrates étaient majoritaires au Conseil. Elle revenait à fonder la compétitivité européenne sur l’investissement public dans l’éducation et la recherche, et non dans la flexibilité et l’appauvrissement des salariés.

Cette stratégie a été progressivement abandonnée, dès la conférence de Barcelone, sans qu’aucune stratégie précise ne se dégage ni au niveau du Conseil, ni au niveau du Parlement.

Cela a permis à la Commission Barroso, et en particulier à son commissaire au commerce, Peter Mandelson, de proposer une stratégie assez différente, dans un document appelé « Competitive Europe ». Ce document, d’une extrême agressivité à l’égard de nos partenaires commerciaux, entérine d’abord, deux ans après les Etats-Unis de Bush, la fin du multilatéralisme et de l’OMC, et propose la généralisation de négociations bilatérales entre l’Union européenne et les différents pays. Non seulement elle exige une ouverture sans limites des marchés intérieurs de ces pays, mais prétend exiger dans ces négociations bilatérales ce qui avait été rejeté à l’époque de l’accord multinational sur l’investissement : « chapitre de Singapour » (services, propriété intellectuelle, marchés publics, garantie des investissements). Il s’agit non plus de préserver le modèle européen par le développement d’une avance de sa productivité, mais d’utiliser l’avance actuelle pour la transmuter en rente (brevets, patentes) et imposer une nouvelle division du travail entre une Europe qui « pense et prescrit » et les pays de l’ancien Tiers-monde qui « travaillent physiquement et exécutent ».

Les eurodéputés Verts, qui avaient soutenu la stratégie de Lisbonne, se sont vigoureusement opposés à ce tournant stratégique. Cependant, la majorité du Parlement (PPE, ALDE, PSE, c’est à dire en France : UMP, PS, Modem) a soutenu ce tournant stratégique d’autant plus facilement que le commissaire Mandelson était lui-même un « travailliste » !

Les conséquences ne se sont pas fait attendre :

- Dans le cas des négociations d’accord d’association avec le Mercosur, la Communauté andine, l’Amérique centrale, les exigences arrogantes de l’Europe en matière d’ouverture économique ont provoqué le blocage des négociations, ou l’éclatement avec autonomisation du pilier commercial par rapport aux deux autres piliers, l’Union européenne poursuivant les négociations avec les pays les plus libéraux d’Amérique Latine et ignorant les autres.

- Dans le cas des Caraïbes (la régionalisation de l’accord Afrique – Caraïbes – Pacifique), on a vu se reproduire le même schéma : l’accord avec le Cariforum n’a même plus les avantages du paternalisme des anciens accords ACP. Il s’agit purement et simplement d’un dictat agressif, néocolonial, badigeonné de social et d’écologie.

Les eurodéputés Verts sortants ont rejeté l’ensemble de ces accords.

3)Quelle politique comptez-vous appliquer face aux exigences des multinationales européennes envers les mesures de réappropriation des ressources naturelles et énergétiques des gouvernements latino-américains ?

Il faut tout d’abord souligner que la plupart des gouvernements latino-américains n’ont pris aucune mesure de réappropriation des ressources naturelles et énergétiques, mais reprennent au contraire le vieux projet cépalien des années 1950 : échanger leurs richesses naturelles contre les moyens de s’industrialiser. C’est le cas par exemple de la Bolivie d’Evo Morales lorsqu’elle cède à l’Inde la mine Mutun dont l’exploitation détruira le Pantanal, ou lorsque le Pérou, devant la résistance européenne à l’exploitation de la mine de Majaz, en revend la concession à la Chine populaire, ou lorsque, devant le refus des Européens de lever l’interdiction des farines de poissons, il se retourne vers le marché chinois.

Il est exact que dans quelques cas très particuliers (les hydrocarbures au Venezuela et en Bolivie, l’eau un peu partout), les nouveaux gouvernements progressistes, sous la pression populaire, ont cherché à placer ces ressources particulièrement spectaculaires et pouvant avoir un intérêt direct dans l’amélioration de la qualité de vie des masses, sous le contrôle de l’État. Les députés Verts sortants ont proclamé, avec la majorité du Parlement européen, le droit à la récupération des richesses du sous-sol, et, au sein du Parlement euro-latino-américain, ont obtenu la reconnaissance du « droit fondamental pour la vie humaine à l’accès à l’eau ».

Les Latino-américains ont toutefois refusé de proclamer le « droit universel à l’eau », à cause de l’ambiguïté sur l’accès (international ?) à leurs eaux qu’aurait pu représenter une telle expression.

4)Quel positionnement comptez-vous prendre concernant la Directive retour et quelle politique d’immigration préconisez-vous ?

Les candidats Europe Ecologie ainsi que les élus du Groupe Vert au Parlement partagent et défendent les valeurs de solidarité et de respect des droits humains, se battent au quotidien pour des droits égaux pour toutes et tous et le refus de la pénalisation des migrants et ceux qui leur viennent en aide. Eva Joly, Hélène Flautre et José Bové ont par exemple participé à la mobilisation des « délinquants solidaires » le 8 avril dernier à Toulouse.

Les élus du groupe Verts/ALE sont mobilisés dans ce combat - malheureusement quotidien –
tant au niveau européen que national et même international. Ils ont notamment combattu et voté contre la directive de la honte. Vous aurez d’ailleurs probablement noté les multiples activités d’Hélène Flautre, Présidente de la sous-commission aux Droits de l’Homme du Parlement européen lors de la précédente mandature. Depuis nos délégations, nous avons par ailleurs encouragé les présidents de la république latino américains qui tous, poussaient des hurlements contre cette directive.

Notre « Contrat écologiste pour l’Europe », dans son pilier Droits humains, affirme « Nous voulons une Europe ouverte qui accueille, respecte et développe des droits égaux pour toutes et
tous. La garantie des droits et des libertés fondamentales à tou-te-s les citoyen-e-s fait partie intégrante du projet européen. » et propose de revoir complètement la politique d’immigration
européenne en articulant le principe des droits et des libertés avec les objectifs de solidarité et de coopération afin d’instaurer un droit à la citoyenneté européenne de résidence. Cette nouvelle politique doit reposer sur trois axes :

- Les droits politiques :

Droit de vote et d’éligibilité à toutes les élections locales pour tous les résidents quelle que soit
leur nationalité, après cinq ans de présence sur le territoire d’un Etat membre de l’UE ; liberté
de circulation et de résidence du peuple tzigane, reconnu comme peuple constitutif de l’Union
européenne ; passeport européen pour les tziganes ou les nationaux de pays tiers.

- La révision complète de la politique de contrôle des frontières :
Abrogation de la Directive Retour et suppression de l’interdiction de réadmission, fermeture des camps de rétention installés aux portes de l’Europe, interdiction de l’enfermement des mineurs. Mise en place d’une véritable politique de régularisation des « sans-papiers », ouverture d’une agence d’accueil aux frontières pour garantir l’exercice des droits des migrants, refus d’insérer des données biométriques dans les visas, les permis de résidence ainsi que dans les passeports des citoyens européens, application stricte de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant.

- La garantie du droit d’asile.

Bien qu’inscrit dans la Convention de Genève sur le statut des réfugiés et dans la Charte des droits fondamentaux de l’UE, le droit d’asile est aujourd’hui mis à mal. Pour améliorer l’accueil des réfugiés, nous proposons la création d’un Office européen du droit d’asile, indépendant administrativement et financièrement. Il veillera à l’application des conventions européennes et internationales relatives à la reconnaissance de la qualité de réfugié, d’apatride et à l’admission à la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’Europe doit prendre la tête d’une initiative internationale pour la reconnaissance et la mise en place d’une protection internationale adéquate pour les réfugiés climatiques.

En espérant avoir répondu à vos attentes, bien amicalement,




Sur le Web : France Amérisque latine

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