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par Alain Lipietz | 28 juin 2009

Europe Écologie : radiographie d’un vote
Commentaire sur un sondage Sofres
Le sondage Sofres du 7 juin, dans ses résultats détaillés (qui ne sont pas donc tous en ligne), a l’immense avantage d’interroger, sur 2000 personnes, et celles qui ont voté, et celles qui se sont abstenu.

Il révèle fondamentalement deux leçons : l’abstention a plutôt minoré les écologistes par rapport à la droite (mais son effet est neutre entre les forces de la gauche « propositionnelle »), et d’autre part le vote écologiste est le premier vote progressiste dans toutes les catégories du « monde du travail et de la culture ».

 I. Une abstention politique

Voyons d’abord l’abstention. Il s’agit d’une tendance lourde et générale : on vote de moins en moins, aux élections nationales comme européennes, et pas seulement en France. Cela traduit le long « refoulement de la démocratie », la « démocratie creuse », conséquence inéluctable et parfaitement prévisible de la constitution européenne actuelle, celle de Maastricht-Nice. L’économique est unifié à l’échelle du continent, voire du globe, mais pas la politique. Le vote semble donc ne plus rien pouvoir déterminer, car la contrainte économique européenne pèse trop lourd sur les politiques nationales, alors que (et sur ce point Ouiouistes et Nonistes sont d’accord, pour s’en désoler ou s’en réjouir), le Parlement européen a trop peu de pouvoir pour espérer contrôler les forces économiques à l’échelle continentale.

Cependant l’abstention du 7 juin 2009 est assez spécifiquement orientée, politiquement et sociologiquement.

Sociologiquement : faible abstention (42%) chez les plus de 64 ans, énorme chez les moins de 35 ans (71%), ce qui a faussé le résultat en faveur de l’UMP et en défaveur de Europe Ecologie. Car EE recueille au dessus de 16% jusqu’à 49 ans, 16 % (sa moyenne toutes tranches d’age) entre 50 et 64 ans, et 8% chez les plus de 65 ans ! L’écologie perce chez les « quinqua et jeunes sexa », mais il faudra attendre encore quelques années que nos animateurs se soient bien « établis » dans le troisième age. René Dumont, revient ! ;-) .

À partir d’ici , je parlerai d’écart à la moyenne des abstentions (60%)

On constate que les ouvriers ont peu voté : abstention +9% par rapport à la moyenne (c’est dire au total 69 %), et encore moins les patrons (artisans compris) : +17%, record absolu. Les employés s’abstiennent aussi : +6 % , ce qui défavorise encore EE, car EE obtient 24% chez les employés.

Mais justement voyons le contenu politique de l’abstention.

D’abord 8 % se sont abstenus parce que l’Europe ne les intéresse pas, et 20% parce qu’ils sont mécontents de l’Europe. Certes, mais une partie des votes EE (et du NPA, et du Front de Gauche) a aussi voulu, comme l’y appelaient les porte-paroles écologistes, manifester son hostilité à l’Europe actuelle, celle de Maastricht-Nice ! Et surtout, pour confirmer une piste évoquée sur le forum de mon blog, on constate que 31% des abstentionnistes ont d’abord voulu manifester leur mécontentement à l’égard… des partis français !

Plus particulièrement, voter ou pas est une position pour ou contre le PE lui même. Celles et ceux qui ont refusé dans les faits en 2005 l’extension des pouvoirs du PE (en refusant le remplacement de la constitution de Maastricht-Nice par le TCE, qui doublait ses compétences) se sont très logiquement un petit peu plus abstenu (+2%), celles et ceux qui était convaincus dès 2005 qu’il fallait plus de pouvoir pour le PE se sont beaucoup moins abstenus que la moyenne (-18%). Mais, dira-t-on, les « nonistes de gauche » voulaient avant tout critiquer l’orientation trop libérale de l’Europe actuelle ? Cette nuance apparaît aussi dans l’abstention : -13% pour le « oui de gauche », -2% pour le « non de gauche », +8 % pour le « non de droite » (supposé le plus « anti-européiste »).

Trois courants politiques sont sanctionnés pour avoir fait une mauvaise campagne, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas convaincu leurs sympathisants habituels de se déranger cette fois-ci pour qu’ils aient des élus : les trotskistes (+8%), le Modem (+7%), et le FN (+5%). Si, pour le NPA et le FN, il y a un effet sociologique (leur base étant principalement ouvrière) et un biais anti-européiste, on attendait le contraire du Modem. C’est donc pour lui une pure sanction politique : il a déçu son électorat européiste. Les voix déçues du Modem, on le vérifiera plus loin, se sont davantage détournées vers l’abstention que reporté sur EE.

Par contre il n’y a aucune différence significative dans l’abstention des sympathisants des 3 partis de la gauche « propositionnelle » : FdG –2%, PS +1%, Verts –1%. Si le vote avait été obligatoire, l’ordre d’arrivée de ces listes aurait été le même.

Finalement, ceux qui se sont le moins abstenus sont les « sans préférence partisane » (-5%). Et c’est eux sans doute qui ont assuré la percée de EE dans les derniers jours (ils sont 16% à voter EE lorsqu’ils votent). Encore qu’ils aient souvent voté « autre listes » (par ignorance de l’intitulé de la liste EE ?)

Restent des impressions personnelles : j’ai rencontré pas mal d’abstentionnistes qui ont regretté de ne pas avoir voté EE, faute de savoir que ce pouvait être intéressant…

 II. Le vote EE, premier vote populaire

Mais voyons maintenant qui a voté pour les écologistes. On l’a dit, les jeunes d’abord, surtout les jeunes actifs (jusqu’à 49 ans) et, comme d’habitude, les femmes un peu plus que les hommes (17 à 15, pour 16 de moyenne : l’écart n’est pas énorme).

D’où viennent ces voix d’EE, qui dépassent largement les meilleurs scores des Verts, les 10% de la liste européenne déjà conduite par Dany Cohn-Bendit en 1999, et même la somme Verts+Génération Ecologie des régionales de 1992 : 14% ? Et encore, l’électorat disposait cette fois-ci d’une offre écologiste de droite : les listes AEI conduites par A. Waechter et F. Lalanne, qui approchent 4% le 7 juin, que leurs électeurs aient voté par erreur ou consciemment pour des écologistes qui ne soient pas de gauche.

Politiquement, sur 100 % qui s’affirment d’extrême gauche, 59% ont voté NPA ou LO , mais 12 % pour le FdG, 11% pour EE, 8% pour le PS… Le « vote utile » n’a eu qu’un piètre effet, et les « révolutionnaires » qui ne croyaient pas aux trotskistes se sont presque également répartis entre Front de Gauche et Ecologistes.

Quant à l’électorat se déclarant socialiste, il a voté à 5 % pour le FdG (sanctionnant l’échec de la scission Mélanchon), à 62% pour les listes PS, et à 20 % pour EE ! C’est là qu’a lieu le déplacement principal : 10% seulement de l’électorat sympathisant Modem aura finalement voté EE.

Mais, diront les grincheux et les jaloux, ce vote EE reste un vote « bobo ». Voyons ça.

Le vote écologiste atteint 13% des voix ouvrières. Une semaine avant le vote, peu accordaient un tel score à EE sur la population totale ! EE est en fait, chez les ouvriers, le premier choix à gauche, derrière l’UMP (15%) et surtout hélas le Front National (21%). Les écologistes obtiennent plus du double de voix ouvrières que le Front de Gauche (6%), plus d’une fois et demi le vote NPA.

Et, avec 24%, EE arrive en tête chez les employé-e-s (24%), où le vote FN tombe tout de suite à 2%, chez les professions intermédiaires (24%), chez les professions intellectuelles (32%), bref dans le prolétariat et la petite bourgeoisie salariée. Il n’est donc pas étonnant que dans la "banlieue rouge" où le PCF règne encore en maître, Saint-Denis, Villejuif, etc., Europe-Ecologie arrive soit devant les listes du Front de gauche, soit derrière à quelques dizaines de voix près.

Bien sûr, si l’on prend à l’inverse la composition du vote écologiste, le poids quantitatif du vote « salariés non-manuels » l’emporte largement sur le vote des « manuels ». Mais cela renvoie à une crise de la conscience de soi de la classe ouvrière traditionnelle, qui vote, on l’a vu, d’abord à droite et d’abord pour la rancoeur. Même si l’écologie devient le premier parti de l’espoir chez les ouviers, même si le vote populaire (ouvrier et employés) l’a placé en tête, il lui reste encore du chemin à faire. Être le parti de l’espérance ne suffit pas, il faut concrètement, pas un travail acharné, « rendre l’espoir », comme on l’a vu dans un billet de mon blog par les contrastes entre diverses communes de la « banlieue rouge ».

Dans « mon coin » (le Val de Marne rive gauche, d’Ivry, Gentilly et Vitry à Choisy, Orly et Villeneuve-le-Roi), le PCF se maintient comme Front de Gauche, mais EE l’écrase dans ses deux dernières villes et à Arcueil, ou fait jeu égal dans les bastions communistes traditionnels (Villejuif). Par contre, dans les mairies communistes de la rive droite de la Seine, Villeneuve-St-Georges, Bonneuil et surtout Valenton, les résultats sont calamiteux pour EE, avec dans le cas de Villeneuve-St-Georges une consolation : ils sont encore plus mauvais pour le FdG (12,1%) que pour EE (12,4%, 12 voix de plus). À part le fait qu’on traverse la Seine (mais on reste dans le même paysage ravagé par les nuisances industrielles), on ne voit guère la raison de cette contre-performance. La situation y semble plus « désespérée », or le vert est d’abord la couleur de l’espérance. À Villejuif, nous nous sommes battus depuis plus de 15 ans, malgré la fraude, et avec un dispositif proche de EE, « Les Verts et Villejuif-Autrement » (dont une militante très active dans les cités populaires figurait sur la liste EE), contre un parti dominant qui couvrait la ville de calicots « Villejuif, ville sinistrée ». Puis le Pcf a commencé à changer, et, sur le site houèbe au début confidentiel de Villejuif, la mairie a commencé à vanter une ville pleine d’atouts, dont ses 3 hopitaux. Je dis que ce fut notre plus belle victoire.

A noter encore que EE obtient le meilleur score (77%) chez ceux qui disent avoir d’abord voté en fonction des problèmes qui se posent à l’Europe… Mais cela n’a rien d’étonnant, non ?



À noter :

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