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par Alain Lipietz | 3 août 2009

Paru dans La Tribune, 3 aout 2009
Le monde d’après.
Publié dans "Ce que la crise a changé"
Contribution à É. Izraelewicz (éd.) Ce que la crise a changé. 60 personnalités imaginent le monde de demain, éd. Arnaud Farnel, 2009. Voir la table des matières à la fin du texte.

Alain Lipietz, économiste et ancien député européen (vert). Auteur de « Face à la crise : l’urgence écologiste » (Ed. Textuel)

« Rien ne sera plus comme avant » a dit Nicolas Sarkozy. Partagez vous ce pronostic ?

AL : Toute crise est un moment de rupture, où l’on ne peut plus continuer comme avant. Cette fois, elle nous dit que l’on ne peut pousser plus avant l’économie globalisée, sur le mode libéral et ultra-productiviste qui s’est imposé depuis vingt ans. La crise actuelle me semble relever de deux crises que nous avons déjà connues. Une crise écologique, où la rareté des ressources énergétiques et alimentaires devient criante, comme en 1848. Et une crise à la 1930 liée à un partage salaires/profits très déséquilibré, et surtout une distribution trop concentrée au profit des plus hauts salaires comme des plus gros bénéfices. Insidieusement, nous sommes revenus à une économie de la rente. Et ceci est vrai, tant au niveau local qu’à l’échelle mondiale. C’est bien cette double crise qui a conduit les travailleurs pauvres à s’endetter pour se loger, puis, quand les prix du pétrole et de la nourriture se sont envolés, à arbitrer contre leurs remboursements, provoquant la crise des subprimes. Le monde d’après sera, sans doute, moins productiviste et moins libéral. Sera-t-il plus ou moins social, plus ou moins démocratique ? Je ne sais. L’histoire a montré que les lendemains de crise pouvaient prendre des voies multiples.


Vous voyez donc tout de même un monde plus dirigiste et moins ouvert ?

AL : Oui, et avant même l’éclatement de la crise financière, on a vu un retour du protectionnisme qui était alors passé inaperçu en France. Dès l’été 2007, la crise des jouets chinois a provoqué une levée de boucliers au Parlement européen. Certains mettaient en avant le nécessaire respect des normes internationales, d’autres défendaient carrément la préférence européenne. De même, avec les débats sur l’Agence de l’Energie, les objectifs obligatoires du « paquet climat », on a vu une remontée du planisme.


La crise écologique que vous mentionnez a-t-elle déjà joué le rôle de détonateur d’une prise de conscience écologique chez les chefs d’Etat ? Pensez vous que chacun a pris la mesure de l’urgence à agir ?

AL : Ceux qui niaient l’existence même d’une crise écologique se sont rendus à l’évidence. Mais cela ne veut pas dire que tout le monde est pareillement conscient de l’urgence. On voit bien qu’entre les pays les plus pauvres du sud, qui ont compris qu’il fallait agir tout de suite, et ceux qui, comme les Etats-Unis, la Chine ou l’Inde, estiment que s’il faut agir, ce n’est pas à eux de commencer, il y a les pays européens qui ne sont prêts à agir que si les autres bougent aussi en même temps. Bref, il existe toujours une palette d’attitudes face au réchauffement climatique qui empêche d’agir vite, et de façon coordonnée. Or, les Nobel de l’an dernier nous en avertissent : si, en 2020, on n’a pas réduit de 30% par rapport à 1990 nos émissions de gaz à effet de serre, et si les pays émergents n’ont pas inversé la courbe de leurs émissions, la hausse de la température mondiale dépassera les 3 degrés. Et le monde ressemblera à celui de Mad Max, où une partie de ses habitants se barricaderont dans des lieux respirables, pour se protéger d’un monde extérieur ravagé par la sécheresse et les épidémies. Même si toutes ces questions sont techniquement complexes, la conférence de Copenhague, qui doit se tenir en décembre pour accélérer la Convention Climat, est décisive pour l’avenir de la planète. La lutte contre le réchauffement climatique passe par un monde plus régulé et solidaire.

La crise alimentaire, qui a commencé avant la crise financière, pose la question de l’utilisation des terres arables. Le carburant vert est apparu comme un sérieux concurrent aux produits alimentaires. N’y a-t-il pas contradiction des objectifs ?

AL : Il est clair que l’on doit avoir une vision globale de l’utilisation des terres, en arbitrant le « conflit FFFF », pour Food, Feed, Fuel et Forest. A savoir l’alimentation humaine, l’alimentation du bétail, l’alimentation des voitures, et la préservation des forêts et biodiversité. C’est l’équilibre entre ces quatre besoins, par un partage du droit au sol, qui assurera l’avenir. Et cela passe par un changement de nos modes de vie, en réalisant d’importantes économies d’énergie et moins de viande. La « chance » de cette crise, si l’on peut dire, c’est que les solutions à la crise écologique sont les mêmes que les solutions à la crise économique : un New Deal, mais vert, stimuler l’activité, mais par une nouvelle demande écologiste. En 1930, le monde est sorti de la crise par la guerre puis par la consommation de masse. Cette fois, la sortie de crise passera par une réduction des émissions de CO2, donc par le déploiement d’une nouvelle économie. Il va falloir déplacer les investissements et la main d’œuvre vers les transports en commun et les bâtiments « à énergie positive », et de façon générale vers un usage plus collectif ou partagé des biens. La difficulté est que la défaillance de notre système de formation est telle que nous n’avons pas l’offre de travail disponible pour redéployer notre économie. Les pays qui gagneront sont ceux qui auront joué la carte des technologies intensives en travail, et donc investi dans la formation professionnelle, comme le Japon ou la Corée et demain la Chine. Nous, dans vingt ans, nous aurons perdu notre avance technologique.




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