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par Alain Lipietz | 6 octobre 2005

Note préparatoire
Le Rapport 2004 sur la politique de la concurrence
Note préparatoire d’Alain Lipietz

1. Traits généraux du rapport

L’année 2004 est la première année de l’application des réformes de 2002 et 2003 sur le contrôle des concentrations, ententes et aides d’Etat. Ces réformes visaient à reporter vers l’échelon national l’examen de nombreuses affaires qui encombraient les travaux de la Direction de la concurrence, sans avoir véritablement de portée européenne. À ce titre, le rapport prend un aspect assez technique (et fort instructif pour celles et ceux qui n’avaient pas suivi ces réformes) : chapitre par chapitre, le nouveau cadre réglementaire est rappelé ; suivent l’analyse des principales affaires, et quelques jugements de la Cour de justice confirmant ou invalidant les jugements de la Commission, faisant ainsi évoluer la jurisprudence.

On peut regretter que du fait du caractère très réglementaire du rapport de cette année, les analyses de fonds qui faisaient le charme des rapports de la période Monti (cf mon rapport au Parlement sur le Rapport 2001) soient absentes. Par ailleurs, et comme d’habitude, les références à d’éventuelles vérifications empiriques des effets prêtés à la politique de la concurrence sont désespérément absentes.

Ainsi, il est réaffirmé que le but de la politique de la concurrence est... d’assurer une concurrence non faussée et relativement vive, censée servir les consommateurs, en réduisant les marges excessives (abus de position dominante) et en suscitant une émulation technologique. Cette argumentation est frappée au coin du bon sens. Toutefois, comme le rapport le remarque en passant, il existe des "faillites du marché". Ces faillites ne sont pas pointées et la réflexion sur ces faillites ne contribue donc pas à l’ajustement de la politique de la concurrence. C’est regrettable.

Un simple examen du plan du rapport et du volume relatif de ses différentes parties montre que la politique de la concurrence, c’est d’abord la lutte contre les accords clandestins et contre les concentrations qui pourraient entraîner des situations d’abus de position dominante. Le contrôle des aides d’Etat n’occupe qu’une place relativement restreinte. On constate par ailleurs que le nombre de cas où la juridiction de Luxembourg invalide une décision de la Commission est en diminution. Il semble que la pratique de celle-ci et la jurisprudence se soient finalement à peu près alignées, après les discordances des années écoulées qui ont abouti notamment à l’arrêt Altmark.

2. La lutte contre les ententes et l’abus de position dominante

Il convient de féliciter la Commission pour le courage et l’acharnement avec lequel elle lutte contre les abus des monopoles. Quelques exemples particulièrement significatifs sont détaillés, notamment la condamnation de Microsoft, qui est allée nettement plus loin que l’action de l’administration américaine. Toutefois, les appels sont encore en cours, affaire à suivre.

Un chapitre est consacré à la mise en place du "réseau européen de la concurrence", forme de coopération entre les instances nationales de contrôle de la concurrence des Etats-membres, et conséquence directe de la réforme visant à reporter sur celles-ci la surcharge de la Commission. Il est encore beaucoup trop tôt pour vérifier l’efficacité de ce système. Le risque évident est la complicité (même inconsciente) entre les autorités nationales et leurs champions nationaux. L’exemple de l’accord entre les trois grands opérateurs de téléphonie mobile français (dont l’opérateur historique France Telecom, et sa filiale Orange), accord clandestin qui n’a été révélé par la presse qu’en 2005, montre qu’il n’est pas forcément prudent de confier ce genre de surveillance aux autorités nationales.

3. La surveillance des concentrations

Là encore, il faut féliciter la Commission pour la vigilance dont elle a fait preuve, comme pour l’inventivité qu’elle a su déployer pour dénouer certaines affaires sans interdire une fusion projetée. L’exemple de la fusion des principales entreprises d’édition et de distribution des livres français est particulièrement éclairant.

Toutefois, sur ce point comme sur le précédent, on ne saurait trop encourager la Commission à lancer de véritables études sur l’effet réel de cette politique de "concurrence maintenue". Peut-on véritablement prouver que la concurrence fait baisser les prix ? L’hypothèse forte, intuitive, selon laquelle plus de concurrence donne de plus faibles marges de profit et plus d’émulation, laisse en effet supposer que, si l’offre est bien là, alors, la concurrence, en comprimant les marges et en stimulant la recherche technologique, aboutit, pour un même budget du consommateur, à un plus grand pouvoir d’achat dans la branche considérée, éventuellement à une croissance de cette branche et peut-être même de l’emploi dans cette branche.

Malheureusement, un autre raisonnement micro-économique est tout à fait possible : en situation de concurrence, aucun concurrent n’a intérêt à élever significativement l’offre, car il a plus à gagner à engranger la hausse des prix en cas de pénurie. On peut se demander si ce deuxième enchaînement pervers n’a pas triomphé dans le cas de la dérégulation des grands services publics en réseaux. La Commission s’acharne avec raison à empêcher que des monopoles privés ne se reforment pas sur le cadavre des anciens monopoles publics (cas de l’électricité et du gaz portugais), mais au moins les grandes entreprises nationales investies de missions de services publics d’autrefois veillaient à anticiper la croissance de la demande par des investissements correspondants. Il semble que sur le marché de l’électricité, ce ne soit plus le cas.

4. Le contrôle des aides d’Etat

Le chapitre est marqué par une divergence entre d’une part l’appel proclamé à concentrer les efforts des aides d’Etat sur les aides horizontales visant à promouvoir la stratégie de Lisbonne, et d’autre part le caractère strictement légal de la gestion du problème, dorénavant balisé par l’arrêt Altmark, et, depuis juillet 2005, par les nouvelles décisions réglementaires de la Commission, tirant les leçons de l’arrêt Altmark.

Il n’y a absolument rien à dire sur le principe : les budgets publics étant limités, il faut effectivement concentrer l’effort sur le soutien à la stratégie de Lisbonne. Encore faudrait-il la considérer dans son ensemble : promouvoir l’économie de la connaissance, veiller à l’intégration sociale et territoriale, protéger l’environnement.

Si le premier objectif de la stratégie (promouvoir une économie de la connaissance) semble bel et bien avoir inspiré la bienveillance de la Commission à l’égard des aides publiques à la recherche et à la formation, les considérations d’intégration sociale et territoriale ou de défense de l’environnement ne font pas l’objet d’un traitement systématique. Or, si l’on s’intéresse par exemple à ce troisième axe, on ne peut que regretter un certain éclectisme de la `Commission.

Ainsi, après avoir très correctement noté que les aides d’Etat à la renaissance du transport ferroviaire doivent être encouragées parce qu’elles sont dans l’axe de la politique européenne de lutte contre le changement climatique, on est un peu surpris (affaire Ryanair-Charleroi) de voir par ailleurs la Direction de la concurrence encourager le développement des aéroports régionaux... par le développement des compagnies aériennes low-coast, lesquelles font plus que contrecarrer les efforts pour encourager le report du trafic sur le train, beaucoup moins producteur de gaz à effet de serre !

Encore plus étrange : dans le domaine de la production d’énergie, pas un mot n’est dit de l’objectif de protection de l’environnement, alors que c’est un critère important pour la Banque Européenne d’Investissement.

Un sous-chapitre spécial est consacré aux aides d’Etat à la restructuration et au sauvetage des entreprises. Ce chapitre, mineur dans le rapport, est pourtant celui qui suscite dans l’opinion publique le plus de réticences. Les salariés et les régions concernés par l’écroulement d’une grande entreprise perçoivent souvent les objections de la Commission comme une manoeuvre bureaucratique tombée du ciel qui compromet l’occasion de se sortir d’une situation dramatique. Il est absolument décisif que la Commission apprenne à communiquer sur ce point, d’abord en expliquant que l’essentiel de son travail est la lutte contre les monopoles, mais aussi en montrant qu’elle sait prendre en considération le point de vue humain. Même à s’en tenir à l’argumentation économique, le texte du rapport est un peu court : aider une entreprise à survivre est évidemment faire du tort à ses concurrentes ! Mais comme justement l’essentiel du rapport vise à expliquer comment la Commission s’efforce de ne pas avoir trop peu de concurrents sur le même secteur, on aurait aimé au moins quelques appréciations sur l’effet qu’aurait, dans certains secteurs déjà concentrés, l’effondrement de l’un des rares oligopoles. C’est particulièrement clair dans l’affaire du sauvetage d’Alstom, dont la disparition aurait terriblement accru le degré de concentration dans le secteur de la mécanique lourde.

Inversement, les critères permettant d’exiger le remboursement des aides publiques mal utilisées gagneraient à être précisés. Si les aides publiques sont autorisées, c’est parce que l’Union européenne en attend un bénéfice collectif. La Commission est particulièrement vigilante sur le montant et la légitimation des aides, au moment où elles sont accordées. Elle l’est beaucoup moins à propos de l’usage de ces aides par les entreprises, une fois les aides accordées. Dans le cas d’Alstom (que l’Union avait décidé de préserver), il est clair que les compétences et les moyens de production d’Alstom dans des domaines importants pour la stratégie de l’Union, en particulier la production d’énergie et de moyens transports propres, étaient entrés en considération. Or, après ce sauvetage, Alstom revendait, sans que la Commission ne le lui ait demandé, ses centres de recherche sur la production d’énergie propre ! L’affaire fit scandale et vint jusqu’en plénière du Parlement européen. Le Commissaire Verheugen, qui répondait ce jour-là aux questions des élus, regretta qu’aucune législation européenne ne puisse empêcher de telles pratiques. Peut-être serait-il temps d’y songer.

De façon plus précise, la Commission semble avoir une position défensive en matière de services d’intérêt économique général : après avoir longtemps interprété restrictivement l’article 86 du Traité, elle semble aujourd’hui faire contre mauvaise fortune bon cœur en intégrant dans sa réglementation l’arrêt Altmark. Mais selon le rapport, elle semble ne considérer son rôle que de façon comptable : vérifier que les aides n’excèdent pas les charges résultant d’une mission de service public. Il faut alors se demander : qui est en charge de vérifier que les entreprises accomplissent bien leur mission de service public, et qui peut décider de sanctions contre des entreprises utilisant des aides pour accroître leurs profits plutôt que pour servir le public ?




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