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Accueil  > Vie publique > Articles et débats > Affaire Rhodia : Le problème n’est pas de sanctionner, mais d’indemniser (http://lipietz.net/?article2048)

par Alain Lipietz | 24 mai 2007

Nouvel Obs’ en ligne
Affaire Rhodia : Le problème n’est pas de sanctionner, mais d’indemniser
La presse croit savoir que l’AMF tient aujourd’hui une audience sur l’affaire Rhodia. Elle pourrait aboutir à une amende de 1,5 million d’euros contre l’entreprise et son ancien P-DG Jean-Pierre Tiroufle, et de 30.000 euros contre ses commissaires aux comptes, notamment pour une communication financière "ambigüe et insuffisante" et des inscriptions indues au bilan. Ces éventuelles sanctions vous paraîtraient-elles appropriées et proportionnées ?

C’est très bien de sanctionner, mais le problème est d’indemniser car, quelle que soit l’amende que subira Rhodia, elle est déjà provisionnée. Le problème de fond, c’est qu’on avait isolé à l’intérieur de Rhodia tous les "canards boiteux" de Rhône-Poulenc, que le cabinet PricewaterhouseCoopers a énormément sous-évalué le coût des problèmes écologiques à venir, et qu’on a vanté l’opération auprès des salariés.
Ces amendes ne compenseront pas le fait que ces salariés ont racheté des actions Rhodia qui se sont effondrées. Dès l’instant où vous avez des salariés ou des petits actionnaires lésés, cela ne vaut pas la peine de faire un procès, car cela entraîne des coûts trop élevés pour une indemnisation qui couvre généralement à peine les frais d’avocat.
Il faut donc mettre en place des actions de groupe, une procédure aujourd’hui absente en France. Le Parlement européen est en train de développer une proposition en ce sens, et certains hauts fonctionnaires de la Commission y sont favorables.

L’AMF instruit son enquête depuis juin 2003, et une enquête pénale est en cours depuis octobre 2004 pour "présentation de comptes inexacts". Comment jugez-vous le travail des autorités françaises dans l’affaire, notamment au travers des polémiques sur l’attitude de Thierry Breton (administrateur et président du comité d’audit de Rhodia entre 1998 et 2002) ou des propos du financier Hughes de Lasteyrie, qui accuse l’AMF d’avoir réécrit son rapport dans un sens plus favorable à Rhodia ?

Le premier pays a avoir agi au niveau pénal est l’Inde, dont les usines Union Carbide avaient été attribuées à Rhodia. C’est hallucinant : ils ont tout de suite compris l’affaire, les Français non, alors que toutes les pertes possibles et imaginables chez Rhodia, tous les problèmes à venir aux Etats-Unis, en Inde et au Brésil étaient connus.
Il faut dire que le droit britannique est sans doute plus développé que le nôtre en la matière, et que la solidarité des grands corps en France fait qu’on a souvent du mal à attaquer les grandes entreprises, souvent dirigées par des personnes qui "transitent" depuis les grandes administrations.

Je suis absolument persuadé, par exemple, que le "gommage" dans l’affaire Rhodia du rachat de la société Allbright-Wilson [qui avait dopé le cours de Rhodia malgré des pertes cachées, ndlr] a été organisé au plus haut niveau et couvert par la Commission européenne. La vraie question qui se pose aujourd’hui, c’est de savoir si Neelie Kroes, l’actuelle commissaire à la Concurrence, qui était membre du conseil d’administration de PricewaterhouseCoopers, était au courant.

En mars 2006, vous avez jugé dans un rapport sur la concurrence que l’affaire Rhodia "entachait la réputation de rigueur de la Commission en matière de fusions". En avril 2006, vous avez relevé des "fautes" qui auraient "ruiné des dizaines de milliers de petits actionnaires et salariés". Quels reproches adressez-vous aux autorités européennes ?

Il y en a essentiellement deux.

D’abord, au moment de la fusion, elles ont aidé, en organisant le calendrier, à présenter l’action Rhodia sous un jour favorable, alors qu’elles étaient censées savoir qu’elle allait s’effondrer, puisque toutes les "pilules empoisonnées" de Rhône-Poulenc avaient été confiées à Rhodia.

Ensuite, l’objectif de la sortie de Rhodia de Rhône-Poulenc était de créer un nouveau compétiteur dans le secteur. Pour cela, la condition était bien évidemment d’assurer à Rhodia une totale autonomie. Bruxelles ne l’a pas fait, alors qu’il était bien précisé que la Commission devait surveiller tous les mouvements financiers au moment de la fusion.

Or, aussi bien sur le "siphonnage" de la trésorerie de Rhodia par Rhône-Poulenc que sur l’accord léonin par lequel Rhodia assumait tous les coûts écologiques, en échange du versement d’une somme notoirement insuffisante par sa maison-mère, la direction de la Concurrence n’a pas levé le petit doigt.

Et puis, on s’est rendu compte d’une espèce de consanguinité au niveau européen : des gens très liés individuellement à cette affaire se sont retrouvés commissaires à la Concurrence. J’admirais le redoutable commissaire Mario Monti, mais son prédécesseur Karel Van Miert [aujourd’hui membre du conseil de surveillance de Vivendi, présidé par Jean-René Fourtou, P-DG de Rhône-Poulenc au moment de la fusion, ndlr] et son successeur Neelie Kroes n’ont pas manifesté la même exigence de rigueur.

A mon avis, aujourd’hui, l’affaire est enterrée au niveau européen. Certains plaignants l’ont portée devant la cour de justice de Luxembourg, mais celle-ci ne peut émettre qu’une sanction morale. Elle pourra dire que la direction de la Concurrence n’a pas fait son travail vu les conditions dans lesquelles a été accomplie la fusion. Elle ne pourra bien sûr pas annuler la fusion ou revenir sur l’architecture du secteur de la chimie, et elle ne mettra pas la Commission à l’amende.

Propos recueillis par Jean-Marie Pottier




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