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> Berlin, Bagdad, Rio : le XXIe siècle est commencé (http://lipietz.net/?article349)
votre référence : [1992c] Livre Berlin, Bagdad, Rio : le XXIè siècle est commencé, Quai Voltaire, Paris (Mai). (art. 349).par Alain Lipietz | 1992 Quai Voltaire, Paris, 1992 Berlin, Bagdad, Rio : le XXIe siècle est commencé LANGUE ET TRADUCTIONS DE L’ARTICLE : Langue de cet article : français
Ce livre est téléchargeable gratuitement– Intégralité du livre (7 Mo).
(note : Pour visualiser ces textes vous devez télécharger, gratuitement, Une seule humanité, responsable d’une seule planète, que notre folie détruira peut-être plus sûrement par l’irresponsabilité de nos pratiques économiques qu’elle n’a failli le faire, qu’elle ne le fera peut-être, par la guerre nucléaire. IntroductionBerlin, 9 novembre 1989 : la joie d’une libération, celle de l’Europe de l’Est, l’avènement d’une paix, la fin de l’affrontement Est-Ouest. Bagdad, 27 février 1991 : l’horreur d’une guerre de la bonne conscience, de la supériorité écrasante du Nord contre un pays du Sud dirigé par un dictateur. " Première guerre chaude de l’après-guerre froide ", selon les mots de Carlos Fuentes. le vieil affrontement Nord-Sud devient la ligne de partage du monde. Entre ces deux dates, l’axe du monde a basculé. Le XXe siècle est vraiment achevé. Le XXIe siècle est commencé. Été 1991. La Yougoslavie explose, puis l’URSS. La police italienne réprime un exode de réfugiés albanais avec l’inhumanité de l’armée thaïlandaise refoulant des boat-people vietnamiens. Face au chaos qui s’ouvre sur son flanc sud-est, la Communauté européenne se referme comme une huître sur la perle précieuse de sa prospérité. Le Sud s’est formidablement rapproché. La frontière entre l’Europe de l’Ouest et son extérieur se recreuse, et cette fois du fait même de l’Europe " libre ". Un nouveau mur de la honte est en train de repousser, un mur d’égoïsme, une frontière Nord-Sud qui passe bien au nord de la Méditerranée. La Communauté européenne n’appelle plus ses " frères de l’Est " à se rallier à son modèle, à la rejoindre. Toute l’Europe n’est pas " légitimement " européenne. En cet hiver 1991 sort sur les écrans de cinéma un film de T. Angelopoulos, Le Pas suspendu de la cigogne. Glauque et boueuse, comme toujours, la Grèce d’Angelopoulos. Mais cette fois-ci, explicitement, on ne nous parle pas de la Grèce, mais de la frontière. La frontière terrestre de l’Europe légitime, la frontière perdue entre le nord et le sud du monde, et, bizarrerie de la géographie du monde réel, elle est ici inversée. Le Nord, le pays des riches, est au sud : c’est la Grèce. Et là-bas, sur la rive nord d’un fleuve aux eaux glacées qu’épient les miradors, s’étend le sud du monde, le monde des déshérités, avec les premières marches de l’Europe légitime : l’Albanie, la Bulgarie. Par jeu, par fascination, le colonel commandant le régiment qui veille sur ce brumeux désert des Tartares suspend parfois son pas, comme un échassier, à la limite extrême du monde " civilisé " tracée à la peinture sur le pont : par-delà, c’est la mort, le saut dans l’inconnu. Au bord du fleuve, dans les wagons abandonnés d’une gare-frontière, campent les réfugiés. Des réfugiés d’une litanie de peuples barbares qu’égraine l’officier : " Albanais, Bulgares, Roumains, Turcs, Iraniens, Kurdes... " Un homme a choisi de vivre parmi eux, sur cette frontière, un homme du monde du Nord. Il a fait sien l’idéal d’Hugues de Saint-Victor, au XIIe siècle de notre Europe : " L’homme qui trouve sa patrie douce n’est qu’un tendre débutant ; celui pour qui chaque sol est comme le sien propre est déjà fort ; mais celui-là seul est pays étranger ... " [1] Cet homme-là, à la fin du film, célébrera un mariage, de part et d’autre du fleuve, entre deux jeunes gens du même peuple... Car ce fleuve, cette frontière d’entre les frontières, est une frontière intérieure. Les Balkans macédoine de peuples déchirés par la guerre tous les cinquante ans, sont là pour nous rappeler que, par-delà les frontières biscornues, honteuses, arbitraires, nous sommes une seule Europe, un seul monde, une seule humanité. Une seule humanité, responsable d’une seule planète, que notre folie détruira peut-être plus sûrement par l’irresponsabilité de nos pratiques économiques qu’elle n’a failli le faire, qu’elle ne le fera peut-être, par la guerre nucléaire. Depuis vingt ans maintenant, au nom de l’écologie politique, savants et mouvements sociaux nous en avertissent. Longtemps ils ont clamé dans le désert. Aujourd’hui, le " risque global " est reconnu. Le nuage de Tchernobyl s’est ri des frontières. La couche d’ozone ionosphérique, qui protège des rayons solaires nos épidermes et le plancton marin, se délite. La fumée de nos usines et de nos voitures réchauffe l’atmosphère par effet de serre, dérègle nos climats, fait monter l’eau des océans. Si nous n’y prenons garde, vers 2040, toutes ces tendances convergeront vers la plus grande crise de l’histoire du genre humain. Rio, juin 1992 : premier " sommet de la planète ". Chefs d’État et de gouvernement du monde entier se réunissent dans la mégapole la plus folle du plus fou des pays-frontières, pour affronter enfin ce grand défi du XXIe siècle. La Conférence des Nations unies pour l’Environnement et le Développement va tenter de jeter les bases d’un ordre écologique mondial. Une année de négociations n’a guère déblayé le terrain : l’ombre de Bagdad plane sur Rio. Dans notre planète trop petite pour notre mégalomanie, deux orientations s’affrontent. D’une part, la recherche d’un modèle de développement soutenable par la nature, parce que solidaire entre les humains. D’autre part, le projet cynique de sauver les privilèges du Nord en interdisant tout développement au Sud. Comme Berlin en 1989, Rio peut être l’aurore d’un monde solidaire. Comme Bagdad en 1991, ce peut être le premier coup de canon - diplomatique ! - de la guerre mondiale de l’environnement. De ce basculement de l’axe du monde, cette nouvelle bifurcation de l’histoire du monde, les pages qui suivent essaient de saisir quelques fils conducteurs, quelques mécanismes sous-jacents, quelques idées directrices. Les deux premières parties (" Berlin ", " Bagdad ") furent écrites au fil des semaines, notamment pour le journal Politis, et rassemblées en postface des versions étrangères (en japonais, en anglais, en brésilien) de mon livre précédent, Choisir l’audace. Une alternative pour le XXIe siècle [2], paru... début 1989. Trois ans : une éternité nous sépare de la conjoncture de ce livre. L’empire immobile du " socialisme réel " semblait alors, pour beaucoup, immuable ; l’arme nucléaire, disait-on, nous protégeait d’une invasion imminente, et rien ne laissait augurer, rien n’était prévu pour libérer les peuples de l’Est. Depuis, une révolution pacifique a balayé ces certitudes vieilles de quarante ans et, pourtant, le monde qui s’élève sur les ruines de l’ordre ancien n’a guère pris le chemin de l’alternative qu’avec les forces progressistes, notamment les Verts d’Europe, je proposais alors. Avec eux, je plaidais pour un nouveau compromis capital-travail respectueux de la nature, fondé sur l’implication négociée des travailleurs, la croissance du temps libre, une coopération renouvelée avec le tiers monde, après l’annulation de sa dette et l’établissement de clauses écologiques et sociales sur le libre échange. Avec eux, je me suis élevé contre la manière dont était gérée la crise ouverte par l’inacceptable agression de Saddam Hussein au Koweït, justement parce que, en violant le droit pour défendre un droit, on allait tuer l’idée même d’un droit international [3]. Je pensais déjà avec angoisse aux effets désastreux que cet étalage honteux du principe " deux poids, deux mesures " allait avoir sur la négociation de l’ordre écologique international . L’Unesco m’a enfin donné l’occasion de suivre de près le processus de préparation de Rio, qui constitue la matière de la troisième partie. À tous mes collègues économistes qui ont accompagné mes travaux, à mes amis engagés dans le militantisme pour une Europe, pour un monde pacifié, écologiquement responsable et socialement équitable, notamment aux militants de l’Assemblée européenne des citoyens, du groupe Vert au Parlement européen, du Forum pour une paix juste au Moyen-Orient, à celles et ceux de la Conférence internationale des Organisations non gouvernementales (ONG), Les Racines de l’avenir (Paris, décembre 1991), préparatoire au sommet de Rio, j’adresse mes remerciements et je dédie ce livre.
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NOTES [1] Cette citation, je la tiens d’un Bulgare habitant en France, Tzvetan Todorov (La Conquête de l’Amérique, Le Seuil, Paris, 1982). Lui-même la tenait d’Edward Saïd, Palestinien résidant aux États-Unis, qui l’avait trouvée chez Erich Auerbach, Allemand exilé en Turquie. [2] La Découverte, Paris, 1989. [3] Voir mon article " Pas eux ! Pas ça ! ", dans Libération, août 1990 |
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