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par Alain Lipietz | 14 avril 2012

« La question alimentaire est devenue la crise écologique numéro un »
Cahiers spéciaux de "Le Devoir", Montréal.
La situation de la planète s’est brutalement dégradée avec la croissance des pays émergents. Si les gouvernements ont pris conscience de l’urgence de la situation, ils font bien souvent la politique de l’autruche pour ne pas être les premiers à dégainer.
C’est l’avis d’Alain Lipietz, homme politique français, économiste, ancien eurodéputé et membre du parti Europe Écologie – les Verts.

Alain Lipietz : « La question alimentaire est devenue la crise écologique numéro un »

Qu’est-ce qui a changé depuis Rio 1992 d’un point de vue politique ?

Malheureusement pas grand-chose ! Il y a une réelle prise de conscience des risques, mais on n’en a pas tiré les conséquences au niveau des politiques publiques. Les citoyens ont beaucoup plus avancé que les gouvernements.

Si nous regardions les grands dossiers liés à l’environnement et au développement durable…

Le dossier énergie-climat, le plus dangereux. On a compris les risques de l’effet de serre. L’Union Européenne a créé des dispositifs pour le limiter. Elle a mis en place le robinet, mais elle ne l’a pas encore serré, avec toujours l’argument : tant que les États-Unis et la Chine ne font rien, il ne faut pas être trop en avance... Sur l’eau, ce n’est pas fameux. Les multinationales en ont pris le contrôle, expliquant qu’elles gèreraient de façon plus rationnelle cette ressource. Résultat : elles ont privatisé un bien public et on a assisté à une augmentation considérable des prix. Un peu partout dans le monde, les municipalités tentent de reprendre la main. Troisième grand domaine, les ordures ménagères, et là, il y a un certain progrès. Décharges contrôlées et méthanisation ont notamment fait diminuer les gaz à effet de serre. Enfin les forêts, domaine très décevant, même si certains pays ont freiné la déforestation.


La situation est pire qu’il y a vingt ans…

La principale défaite de l’après Rio, c’est l’incapacité de l’humanité à enrayer le changement climatique. Depuis vingt ans, il y a l’extraordinaire développement des pays émergents. Les « BRICS » (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) ont adopté le même modèle libéral et productiviste qu’au Nord. Ça a eu un effet prodigieux de croissance industrielle et agricole, avec un enrichissement considérable de 10% de leur population et une stagnation du niveau de vie des autres. Or, quand on additionne les BRICS et la Malaisie, on arrive à 3 milliards d’habitants… Même s’il n’y en a que 10% qui adopte un modèle occidental, c’est comme si une nouvelle Europe de l’Ouest apparaissait brutalement sur la carte. À partir de l’an 2000, la situation écologique de la planète s’est brutalement dégradée à cause de cette croissance, avec, conséquence directe, l’envol du prix des aliments et de l’énergie.

Et les gouvernements continuent à regarder ailleurs ?

Quand le prix des combustibles est remonté, dans les années 2000, on a repris conscience du fait que l’énergie fossile était épuisable, outre qu’en brûlant elle produit énormément de gaz à effet de serre. Certains ont voulu relancer le nucléaire, un peu discrédité depuis Tchernobyl. Aussitôt il y a eu Fukushima comme piqûre de rappel… ce qui a rouvert le débat sur les agro-carburants. Le problème, c’est qu’ils sont aujourd’hui produits, soit à partir de blé et de maïs pour l’éthanol (équivalent de l’essence), soit à partir de l’arbre à palme pour le diester (équivalent du gasoil, mais végétal). Or l’éthanol n’est pas révolutionnaire, on parle de 10 à 20% d’économie sur l’effet de serre, et il consomme énormément d’espaces agricoles. Et le diester est à l’origine d’une formidable déforestation. C’est catastrophique, criminel même, il faut arrêter ça. Alors qu’on avait déjà du mal, à l’époque de Rio, à nourrir 5 milliards d’individus, vingt ans plus tard, la question alimentaire est devenue la crise écologique numéro un : famines au sud, malbouffe au nord !

Il n’y a donc pas d’alternative aux énergies fossiles…

Si !! Avant tout, les économies d’énergie. Puis, l’éolien, l’hydraulique, le solaire direct. Et quand on saura méthaniser le bois, on aura une solution « biogaz » très intéressante à grande échelle. Et je ne parle pas ici d’abattre des troncs, de déforestation… Il y a énormément de déchets de bois et d’aliments dans les villes, qui sont brûlés. En 1992, on remarquait déjà qu’une région française comme la Bretagne pourrait produire toute son électricité en méthanisant les brindilles quand on taille les haies ! On sait déjà transformer les ordures ménagères en énergie. Les trains de la ville de Stockholm circulent avec ce biogaz, les bus de Lille également, la quatrième ville de France. Il y a beaucoup de progrès de ce côté-là.

Si on arrivait à produire ce type d’énergies à grande échelle, les gouvernements seraient-il prêts à aller de l’avant ?

Auront-ils le choix ? Si on ne change rien, la température va augmenter de 3°C d’ici à 2050. Ça signifie notamment un déplacement de 500 kilomètres de toutes les zones climatiques vers le nord, avec pour corolaire des déplacements de population. Le Maghreb va venir en Europe, l’Égypte en Turquie… un pays déjà très sec. Ça engendra forcément des tensions et des guerres.


La crise financière de 2008 a-t-elle aggravé la situation ?

Elle est d’abord la conséquence de la crise écologique. Devant l’envol des prix de l’alimentation et de l’énergie, les gens n’ont plus pu faire face à leur prêt hypothécaire. Ensuite, on s’aperçoit aujourd’hui qu’on ne pourra pas en sortir si on ne fait pas des économies drastiques d’énergie et de terres, cultivées « en bio », pour l’alimentation humaine. Beaucoup d’économistes voient d’ailleurs la relance par de gigantesques programmes d’économie d’énergie d’une part, prêter de l’argent aux populations pour isoler leur logement, acheter des pompes à chaleur, et d’autre part de gigantesques programmes de transports en commun dans toutes les villes, etc. La grande chance aujourd’hui, c’est que la sortie des trois crises, économique, alimentaire et énergie/climat, est la même : on peut relancer l’économie en investissant pour sortir de la crise du climat, et diminuer le cout de la vie en changeant de modèle alimentaire.




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