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par Alain Lipietz , Alima Boumédiene , Hélène Flautre , Jean Lambert | 24 janvier 2002

Politis, 24 janvier 2002
À Sangatte, les réfugiés demandent plus d’Europe
"Les premières victimes du terrorisme, c’est nous" : dans un communiqué diffusé après le 11 septembre, les Afghans du centre de Sangatte rappelaient une vérité oubliée.

À l’instar des Kurdes et des Kosovars qui constituaient il y a quelques mois le gros des réfugiés présents à Sangatte, c’est bien la question de notre crédibilité politique que les réfugiés posent par les actions désespérées qu’ils engagent pour passer outre-Manche. Comment les États européens peuvent-ils affirmer publiquement leur solidarité avec des peuples persécutés, parfois même participer à des coalitions visant à les "libérer de leur joug", et simultanément accueillir avec si peu d’égards les réfugiés en provenance de ces pays ?

C’est pourtant bien ce double jeu que poursuivent les autorités françaises : Sangatte, de par son histoire, sa situation géographique et son fonctionnement, apparaît comme le révélateur des inepties des politiques d’asile menées par les États européens, et illustre dramatiquement la nécessité de créer un statut européen des réfugiés basé sur les principes humanistes et actualisés de la Convention de Genève.

Lors de plusieurs visites fin 2002, nous avons pu constater de visu l’incroyable réalité du centre de Sangatte. Créé en septembre 1999 sur pression d’organisations désireuses d’offrir aux réfugiés un toit où dormir et un repas chaud, le centre de Sangatte est progressivement devenu le réflecteur des contradictions de la politique d’asile française. D’un côté, le ministère de l’Emploi et de la Solidarité subventionne à hauteur de 25 millions de francs annuels la Croix-Rouge pour le fonctionnement du centre, lequel accueille avec une efficacité optimale, au vu des difficultés de la tâche, un millier de personnes environ chaque jour, et propose même d’en ouvrir un nouveau. De l’autre, le ministère de l’Intérieur refuse d’informer les réfugiés sur leurs droits de demandeurs d’asile en France (alors qu’une majorité d’entre eux, originaires de pays dits "peu sûrs" comme l’Afghanistan ou l’Irak, pourrait obtenir l’asile sans difficulté), tout en évitant également la manière forte qui consiste à interpeller les clandestins. Sangatte étant situé à moins de 2km du site d’Eurotunnel, les autorités françaises font l’autruche laissant les réfugiés passer en Grande-Bretagne, ce qu’ils font à une écrasante majorité, (600 passages par semaines, plus de 80 000 en deux ans...), au péril de leur vie.

En clair, le gouvernement choisi la (non) politique du "pas vu, pas pris" : aide humanitaire par le biais d’une association, non information des réfugiés sur leurs droits afin qu’ils ne soient pas tentés de rester en France... Ne s’agit t-il pas là d’une "aide au séjour clandestin" organisée par les plus hautes sphères de l’Etat ? La situation tourne à l’ubuesque absolu lorsque l’on sait que les autorités françaises, sur pression du gouvernement britannique, rendent plus difficile le passage au Royaume-Uni, empêchant ainsi des réfugiés de quitter un sol qui refuse de les accueillir ! C’est à l’aune de cette situation que Michel Der, directeur du centre de Sangatte, affirmait que "le centre est un non lieu pour des gens de non-droit".

Cette non-politique française s’inscrit dans un contexte européen qui ne favorise guère une sortie par le haut. La diversité des statuts des réfugiés en Europe créé un véritable "marché concurrentiel" du droit d’asile où le gagnant est toujours le moins généreux. Ainsi, les pays qui tentent d’adopter des normes respectueuses de la personne humaine en matière de procédure, de droits des demandeurs ou d’extradition, sont ceux qui doivent faire face au plus grand nombre de demandes, les états plus restrictifs bénéficiant d’une sorte de "dumping" inversé.

Des films, payés par les autorités britanniques et françaises, sont ainsi diffusés dans les centres de réfugiés comme Sangatte (par le biais des cellules de l’Office International des Migrations) : ils montrent les risques physiques inhérents à un passage clandestin dans le tunnel, insistent sur la présence policière massive en Angleterre, pointent les difficultés pour obtenir le droit d’asile ou le regroupement familial... Bref, dans la droite file des Pasqua-Debré-Chevènement, le Royaume-Uni essaye lui aussi de briser sa réputation de pays d’accueil !

Le seul moyen de sortir de cette spirale du moins disant est d’harmoniser le droit d’asile à l’échelle européenne. La convention de Dublin (1997) montre aujourd’hui toutes ses limites. Ce texte prévoit que les réfugiés doivent effectuer leur demande d’asile dans le premier pays européen traversé, et que la réponse est valable pour l’ensemble de ces pays (interdiction de déposer une nouvelle demande d’asile dans un autre pays). Résultat : aucun pays n’essaie d’aider, d’aiguiller ou d’informer les réfugiés de peur d’avoir à en assumer la charge ! Chacun préfère attendre sans rien faire que ces "indésirables" passent chez le voisin (généralement un autre pays européen) afin de se débarrasser du problème... Bel exemple de solidarité européenne !

Le Commissaire européen Antonio Vitorino vient de proposer deux directives qui visent à définir des normes minimales communes en matière de procédure d’octroi du statut de réfugié et en matière de conditions d’accueil de ces derniers. Il s’agit d’un pas dans la bonne direction, mais on est loin encore du statut commun des réfugiés qui doit être achevé en 2004, selon la volonté exprimée par les quinze au sommet européen de Tampere, en décembre 1999. Si le cadre général de cette harmonisation doit être la convention de Genève de 1951, le libre-choix du pays d’accueil par le demandeur, le droit de bénéficier d’allocations uniformisées au plan européen, le droit de travailler, le droit au regroupement familial ou l’octroi de l’asile pour des persécutions non étatiques doivent constituer le socle de la plus-value européenne en matière d’asile.

Cette perspective européenne doit être soutenue par la France au Conseil de ministres européens. Elle ne dispense pas le gouvernement français de mesures immédiates. La première d’entre elles saute à la figure pour toute personne qui entre à Sangatte : les réfugiés ne sont absolument pas informés sur leurs droits en général, et sur le droit d’asile en particulier. Lors de notre visite, lorsque nous leur disions qu’il était possible de demander l’asile en France avec des chances raisonnables de l’obtenir (les Afghans, qui représentaient plus de la moitié de la population de Sangatte, obtiennent l’asile à 70%) des attroupements se formaient non pour nous demander une faveur individuelle, mais simplement pour en savoir plus. Les réfugiés sont demandeurs d’information sur leurs droits, disponibles en leur langue (la directive européenne propose ainsi 17 langues). Le gouvernement doit simultanément autoriser des associations à intervenir dans le centre même pour informer et accompagner les réfugiés dans leurs démarches et ouvrir un bureau des étrangers à la Préfecture de Calais. Plus encore, le premier ministre doit cesser de rendre systématiquement des arbitrages favorables en faveur du ministère de l’Intérieur contre le ministère de l’Emploi et de la Solidarité. Pour l’ouverture d’un second centre ou pour les négociations européennes (notamment bilatérales avec les britanniques), le ministère de la Solidarité doit être entendu. Les seules initiatives françaises sur l’asile ces dernières années au niveau européen se sont résumées aux directives sécuritaires de monsieur Chevènement (sur la lutte contre les réseaux clandestins par exemple). La France, si souvent désireuse d’apparaître sur la scène internationale comme défenseur des valeurs de justice et de droits humains, doit passer des mots aux actes.


Alima Boumédiene-Thiery, Hélène Flautre et Alain Lipietz sont eurodéputé-e-s Verts français ; Jean Lambert est eurodéputée Verte britannique.




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