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> Islamophobie, massacre de Charlie : la lutte sur deux fronts (http://lipietz.net/?article3049)
par Alain Lipietz | 9 janvier 2015 Islamophobie, massacre de Charlie : la lutte sur deux fronts Il est extrêmement pénible de ne même pas avoir eu droit à 24 heures de deuil national unanime pour des êtres qui nous furent chers, personnellement et pour proclamer le droit à la liberté d’expression (et donc à la critique de toute expression). Déjà, il nous faut entamer la lutte contre l’exploitation haineuse, contre une partie de la communauté nationale, du crime de quelques misérables. Dès mercredi soir le FN lançait ses fatwah, dès jeudi matin des coups de feux étaient tirés contre des mosquées. Et pourtant cette fois, il n’y a pas eu de chipotage, genre "Les musulmans n’ont pas à s’excuser pour les crimes commis soi-disant au nom de l’Islam". Immédiatement, tout ce que l’Islam (qui n’est pas structuré comme l’Église de France) compte de "représentants" a condamné fermement cette horreur, « en tant que citoyens » (mais dans chaque cas concret, certaines voix citoyennes sont plus attendues que d’autres). Et automatiquement toutes les personnalités républicaines se sont portées garantes du refus de l’amalgame, contre les islamophobes du FN principalement - mais cette tentation est beaucoup plus large. Les chipotages furent cette fois de l’autre coté : « Ce n’était pas des « fanatiques », mais des « fanatiques musulmans », il faut le dire ! » La "presse de qualité" américaine et anglaise, New York Times, Guardian ou Daily Mail (à l’exception significative du Financial Times) ne s’y est pas trompée : c’est ça le défi posé à la société française aujourd’hui. Personnellement je suis de ceux qui ne croient pas en Dieu mais ne pensent pas pour autant que la religion ne soit qu’une horrible superstition. Je partage le jugement dialectique de Marx, "La religion est l’opium du peuple, le cri de la créature opprimée" : à la fois calmant appelant à la résignation et expression de la révolte, aspiration à un "autre monde". Et je ne fais pas de hiérarchie dans les horreurs que les différentes religions ou anti-religions ont inspirées, entre le 11 novembre, Auschwitz, la Saint-Barthélémy ou le Bloody Thursday. Il faut combattre les fanatismes religieux, tous les combattre, même quand ils viennent d’ « en bas ». L’islamophobie, comme réalité, s’est "réveillée" en France après la révolution islamiste en Iran. Elle a été relancée par le Premier ministre Pierre Mauroy qui a traité de "Chiites" les grévistes Cfdt (et souvent F-Polisario) de l’automobile. Avant, le racisme était simplement anti-maghrébin, anti-immigré, etc. Mais la révolution islamiste (c’est à dire politique) dans un pays non arabe permit en effet de maquiller un racisme ethnique et social en exclusion religieuse (« la religion la plus con », comme le judaïsme était la religion "déicide"), voire en laïcité vertueuse. Deux décennies plus tard, quand le Mrap de Mouloud Aounit a voulu en faire un axe spécifique (parmi d’autres) de son militantisme, il s’est heurté à une opposition ferme du PCF en particulier dans le Val de Marne. Les islamophobes à la BHL-Finkelkraut et autres ont forgé la légende selon laquelle le terme "islamophobie", datant d’au moins un siècle dans la littérature administrative et sociologique française et conforme aux règles de formation du français (xénophobie, etc), était une "invention des mollahs iraniens". Déni faisant évidemment partie de l’islamophobie elle-même Mais bien entendu la vague islamophobe ne manquera pas, par contamination (« Si ce n’est toi, c’est donc ton frère, c’est donc quelqu’un des tiens »), de re-criminaliser tous les Magrébins, tous les Turcs, les Pakistanais mêmes athées, les peaux sombres etc, Bref les victimes habituelles de la xénophobie, mais aussi – et c’est la nouveauté – ceux qui défendront l’Etat de droit et la liberté religieuse, bientôt suspects de complicité avec le terrorisme islamiste avec lequel « nous sommes en guerre ». Laissons la police cerner les assassins, et mobilisons nous pour le vivre ensemble. |
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