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par Alain Lipietz | 18 août 2021

La vaccination peut-elle étouffer la Covid ? Une estimation « en vraie grandeur »
Dans un article précédent, je critiquais l’exploitation abusive, par le site anti-vax ReinfoCovid, d’une étude sur un petit cluster du Massachussetts. Voyons maintenant ce que donnent les études « massives », pour répondre la question : la vaccination nous permettra-t-elle de terrasser l’épidémie de Covid ?

Au moment de la parution de l’étude du Massachussetts, on disposait de l’étude israélienne sur 2000 cas, chiffrant à 39,1 % de celle des non-vaccinés la susceptibilité des vaccinés à être contaminés, même sous forme asymptomatique. Quelques jours plus tard, Le Monde attirait l’attention sur une étude beaucoup plus vaste (25 000) d’une équipe du Minnesota.

 L’étude Minnesota

Cette étude confirme l’étude israélienne : le Pfizer protège à 40% contre les formes faibles du delta et toujours à 95% contre le formes graves. Mais le Moderna protège à 80% contre les formes faibles.

Pour être contagieux, il faut déjà être malade (je néglige la ré-exhalation de virus restés dans le nez sans contaminer le porteur). Donc ces deux vaccins protègent de 40 à 80% contre la contagion « au départ », c’est à dire qu’un.e vacciné.e a de 20 à 60 % des chances d’un non-vacciné d’attraper quand même la covid, et donc de devenir contagieux. Et ils protègent évidemment un.e vacciné.e. dans les mêmes proportions « à la réception ». Autrement dit, la probabilité d’une contagion entre deux vaccinés est diminuée du carré de la diminution de la probabilité d’un vacciné de tomber malade, même asymptomatiquement (règle des probabilités conditionnelles).

On peut en déduire qu’en rendant la vaccination obligatoire, et au Moderna, on peut tuer le virus avant qu’il ne mute. Mais E. Macron, à tort ou à raison, a décidé de laisser ouverte l’option « pas de vaccin » (après avoir, il y a 3 ans, rendu 11 vaccins obligatoires, dont la nécessité n’avait rien d’évidente... Passons). Et dès lors, pour les non-vaccinés, seules ne subsistent, pour limiter la contagion, que les formes diverses du restriction : ne pas fréquenter trop de monde, d’où interdiction des lieux publics denses (cinés, restau) et, au pire, confinement.

Le pass ne sert qu’à ça : séparer deux stratégies individuelles de défense contre le virus. Ces deux stratégies sont laissées au libre choix des individus, ce qu’on peut contester, mais alors il ne faut pas que l’une compromette l’autre. Le pass ne remplace pas le vaccin, il permet seulement de distinguer les stratégies « vaccin » et « restrictions »... Si la vaccination était obligatoire, ou si l’on revenait à un confinement général face à la 4e vague (et aux suivantes), on n’aurait pas besoin de pass.

Bien sûr qu’aujourd’hui « avec le pass, on peut être malade en étant vacciné et contaminer d’autres personnes. » Mais beaucoup moins, surtout si on est vacciné au Moderna (c’est mon cas), et l’a toujours su dès la « phase 3 » d’expérimentation des vaccins, en novembre 2020, et cela reste vrai avec le pass ou sans le pass.

Certain.e.s diront : "Alors, à part l’incitation à se faire vacciner qui est réelle, le pass n’est pas vraiment la garantie d’accéder à des rassemblements « safe »  » Pas la garantie absolue, certes non, c’est pourquoi les médecins qui nous vaccinent nous disent "Gardez votre masque, même vacciné". Au festival d’Avignon où le pass a été introduit le 21 juillet, seuls accédaient aux grandes représentations du « in » (dans la Cour d’Honneur) les porteurs de pass, mais ils devaient garder le masque.

Mais la probabilité pour qu’une contagion arrive dans une assemblée de vaccinés est beaucoup plus faible que dans une assemblée mixte : il faut d’une part qu’un « émetteur » soit malade, quoique vacciné, et tombe sur une "récepteur" , une des personnes vaccinées qui peuvent attraper au moins une forme faible. Soit au pire, entre deux « Pfizer » : 0,6 x 0,6 = 0,36 fois la probabilité de contagion entre deux non-vaccinés, c’est à dire un tiers à peu près.

Autrement dit, la vaccination au Pfizer plus le non-confinement (situation du pass) divise par 3 la probabilité de transmission par rapport à la situation « non-vaccinés et pas de restriction ». (L’autre effet étant que les vaccinés n’ont plus que 5% de la probabilité des non-vaccinés de contracter une forme grave). Si le Moderna était dominant, la contagion diminuerait de 0,2 x 0,2 = 0,04 : elle ne serait plus que de 4 % de ce qu’elle serait entre non-vaccinés.

Par exemple si un variant a un taux de transmission de base R0 = 2 (qui engendre une progression exponentielle chez les non-vaccinés), elle n’est plus que de R0= 2 x 0,36 = 0,72 entre deux porteurs du pass (supposés au Pfizer et pas au Moderna). Soit un R inférieur à 1 : l’épidémie s’éteint « entre eux », il n’y a plus que des cas sporadiques, tandis que les non-vaccinés envahissent les hopitaux.

Si de plus on impose le masque, disons filtrant 60% des virus dans les deux sens (à l’émission par un contaminé masqué et à la réception par un non-contaminé masqué qui lui fait face), la charge virale émise vers l’extérieur par un contaminé est de 40% de ce qu’elle serait sans masque, et idem à la réception. La contagiosité entre deux porteurs de masque est réduite à 0,4 x 0,4 = 16% de ce qu’elle serait sans masque (ni pour l’un ni pour l’autre).

 Conséquence sur la stratégie vaccinale

Le contrôle de l’épidémie dépend crucialement, d’une part, de la contagiosité propre (le R0) du variant dominant dans un pays (le plus contagieux, qui par la loi de la sélection naturelle finit par s’imposer contre tous les autres variants) et d’autre part des mesures de politique de santé , plus ou moins bien appliquées. Il en résulte le taux effectif de contagiosité, Rt, nombre de nouveaux malades contaminés en moyenne par un malade.

La vaccination peut-elle, à elle-seule, faire tomber le taux de transmission Rt du variant delta en dessous de 1, ce qui signifierait l’extinction progressive de l’épidémie de Covid ? Probablement pas : il faut en plus le masque (nécessaire de toute façon pour chaque individu, puisque la protection par les vaccins n’est pas totale). De plus, ne soyons pas naïfs. Le mécanisme de l’évolution darwinienne (le virus mute sans arrêt et aléatoirement, puis la concurrence entre variants sélectionne le plus contagieux) fera apparaitre de nouveaux variants , de plus en plus résistants aux vaccins, dans les zones du monde où les malades sont nombreux : zones peu vaccinées, ou très denses et pas entièrement vaccinées. Comme le terrible variant lambda qui a fait du Pérou le pays le plus endeuillé (par million d’habitants), presque deux fois plus que le second pays (la Hongrie). Il faudra donc... de nouveaux vaccins.

L’immunité de masse est donc un mythe, le mythe de Sisyphe. Mais c’est un objectif tout-à-fait atteignable si le but n’est pas d’éliminer tous les cas sporadiques, mais de bloquer les « vagues » épidémiques. Soit en mettant au point un vaccin « universel », ou du moins à large spectre, contre les coronavirus respiratoires (un prototype testé sur les souris bloque le Covid-1, le Covid-2 et le MERS), soit en adaptant les « rappels » à l’avance contre les variants émergeant (comme contre la grippe saisonnière). Gageons que les « big pharma » préfèreront cette seconde stratégie, qui leur assure une rente dorée.

 La réalité en France au 15 aout

Mais à chaque jour suffit sa peine : en France, aujourd’hui, le delta. En fait, les estimations du R0 « de base » (contagiosité sans aucune mesure de protection) pour le delta varient de 3,2 (étude chinoise sur la vague du Guangdong) à 6 voire 7 selon le prof. Davido du CHU de Garche. Dans ce dernier cas, la vaccination même totale ne suffirait pas pour faire reculer l’épidémie, sauf avec le Moderna qui semble réduire de 96 % la contagiosité entre deux vaccinés, comme on vient de le voir.

Dans la réalité, ce qu’on mesure, expérimentalement, c’est le Rt effectif "brut" instantané. ("Brut" en ce sens qu’il n’est pas redressé des décalages temporels dont je vais beaucoup parler). L’application TousAntiVirus donne en permanence ces chiffres bruts.

Le Rt est, au 15 aout, de 1,07 en France et de 1,05 en Ile-de-France. Différence qui reflète la différence interrégionale d’imprégnation par les fakes - quoique la Seine et Marne soit un des départements les moins vaccinés - et le poids des départements "chloroquine" du sud-est et anti-vax des DOM). Ce taux effectif intègre la somme des mesures anti-contagion : masque, vaccins et restrictions d’exposition pour les non-vaccinés (le pass). Comme on voit, il est supérieur à 1 mais pas de beaucoup. C’est pourquoi l’épidémie progresse lentement, sauf dans certains départements (les DOM, bientôt la Corse ?) où le confinement est rétabli, faute de vaccinés.

Peut-on espérer que le progrès de la vaccination le fera tomber sous 1 ? Nous avons là encore les chiffres bruts au 15 aout, non corrigés des décalages temporels, qui sont considérables : il faut 6 semaines au minimum à partir de la première injection pour que les vaccins au ARNm produisent tous leurs effets, au moins 6 semaines entre la contamination et le décès éventuel.

Ces chiffres, actualités tous les jours sur les sites officiels dont TousAntiCovid, montrent l’importance des décalages temporels. On retrouve approximativement les taux de protection contre les cas graves annoncés dès le mois de décembre pour les vaccinés (95% pour le Pfizzer, 70% pour le AstraZeneca) : pour 100 000 habitants, il y a en réanimation 1,95 vaccinés et 17,48 non-vaccinés intégralement, deux catégories d’habitants qui étaient aussi nombreuses il y a deux mois. Soit à peu près une protection de 90 %. Il y a aujourd’hui 67,8 % de totalement vaccinés de plus de 12 ans, mais ce résultat ne se reflètera que dans deux mois en salle de réanimation.

Car, pour 46,21 millions de "primo-vaccinés" il n’y a encore que 39,1 millions de vaccinés complets. Cette différence de 7 millions, soit 1/7, est normale pour une vaccination commencée poussivement il y a 7 mois, avec un mois de décalage avant la seconde dose, mais indique la marge de progression sur le Rt, même si la vaccination ne recueillait aucun nouveau "converti". Au 15 septembre, si tous les vaccinés portent le masque et les autres respectent les mesures de bon sens qu’indique le pass (fuir les lieux de concentration humaine, surtout en espace clos), la vague « delta » doit régresser... en attendant la suivante (lambda ?)

Les anti-vax (du moins : anti-vaccins contre la covid, pas forcément contre les autres) seraient donc fondés à jouer la stratégie du « passager clandestin » : puisque les autres font l’effort de se vacciner, je n’ai plus besoin de m’y mettre, à moi d’assumer librement le choix de prendre le risque de la maladie ou le risque du vaccin pendant que l’épidémie régresse grâce à eux. Ce serait oublier que, pendant ce temps, la masse des non-vaccinés reste une pouponnière à mutation du virus, même dans les pays riches, comme on le voit avec l’émergence du variant epsilon en Californie : les mutations, ce n’est pas que dans le Tiers-monde.

En tant qu’écologiste, on ne peut se contenter du raisonnement libéral de Condorcet contre la vaccination obligatoire (le virus libre dans le poulailler libre). Le devoir d’être solidaire et responsable vis-à-vis des autres, oblige à prendre en compte la contagiosité (ce que j’appelais "argument Pasteur-Jadot", et le risque de faire le jeu d’un nouveau variant. La vaccination ne suffit pas à éradiquer le delta, mais elle y contribue puissamment.




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