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par Alain Lipietz | 21 octobre 2017

Et si on en refaisait de l’écologie ?
Contribution à l’AG de EELV-94
Les désastres électoraux de EÉLV ne doivent pas masquer une crise beaucoup plus profonde. Une crise morale et intellectuelle tout autant que politique.

Les Verts ont vécu longtemps sans aucun élu. Puis ils ont commencé à en avoir aux élections à la proportionnelle. Ils avaient alors un grand prestige « moral », même si on écoutait leurs analyses avec un certain scepticisme : « Vous avez raison pour l’avenir, mais pour le moment c’est pas si grave, alors on continue avec les vieux partis. ». Puis nous avons obtenu quelques élus dans les scrutins uninominaux, au prix d’alliances contractuelles : sur un programme précis, que l’on défendait bec et ongles avec une rigueur de « notaires » (se plaignait Jospin), et en excluant le désistement pour certains candidats des autres partis « non écolocompatibles ».

 Le désastre de la « politique des postes »

Cette « politique des contenus » assurait notre crédibilité morale, mais aussi elle reposait sur la pertinence de nos réponses à la montée des crises écologiques, et notamment l’exigence d’Europe (mais d’une « bonne » Europe !) Sa limite : elle ne nous donnait pas beaucoup de postes, donc il n’était pas très facile de mettre en œuvre les politiques publiques qu’imposait l’urgence écologique. C’est pourquoi les militants de base ne se sont guère opposés à la tendance de plus en plus poussée de leurs dirigeants à privilégier la « politique des postes », incarnée par les C. Duflot, JP Placé, E. Cosse, Pompili, de Rugy (champion toutes catégories) etc. Celle-ci nous a permis d’avoir pas mal d’élus et de peser, un peu, sur les politiques menées à tous les échelons.

Problème : le coût moral a été considérable. Nous sommes apparus comme des politiciens courant après les postes, point. Car nos alliés, en particulier socialistes, s’éloignaient de plus en plus de toute notion de « programme », d’ « engagement » vis-à-vis de nos électeurs, et, pour garder les postes, des dirigeants parmi les plus en vue les ont suivis (le Pacte de solidarité CICE et le traité de la Règle d’or étant aussi emblématiques qu’historiquement décisifs, pour l’histoire de l’Europe, de la sociale-démocraite et peut-être hélas de l’écologie politique). Résultat : quand ils ont été balayés avec une fureur « dégagiste » par les électeurs, nous sommes apparus, non pas « coupables « (sauf ces quelques dirigeants particulièrement en vue, qui ont préféré « anticiper » ou ont été éliminés lors de primaires) mais tout simplement : inexistants, inconsistants, ou au pire « complices », « vendus ».
N’exagérons pas le désastre : de tous les vieux partis (ceux qui avaient plus de 20 ans…) nous sommes les seuls à avoir gardé notre petit capital électoral. Il y a encore de nombreux électeurs qui « croient » en l’écologie et pensent que seul un parti écologiste peut défendre l’écologie, quelles que soit l’ampleur de ses fautes passées. Mais la plupart des électeurs et des militants que nous avions su drainer à l’origine d’Europe Écologie 2009, quand nous sommes apparus comme les successeurs légitimes de la sociale-démocratie à la direction idéologique et même politique du « camp du progrès humain », se sont évaporés soit vers LREM, soit vers LFI, quelques un-e-s vers Alternatiba ou les Colibris.

 Contre les excommunications, pour le libre examen

Dans cette atmosphère obscure, sans allié évident, sans idée nouvelle, sans le corset d’une exigence morale à la direction du mouvement, nombreux sont nos militants qui ont hésité , testé de nouvelles alliances, visité d’autres possibilités. La réaction de notre appareil a été de les virer… avec insultes, en plus.
Je prendrai l’exemple de notre groupe local, celui de Villejuif. Nos liens avec la population étaient suffisants pour pronostiquer un effondrement de la vieille domination communiste (85 ans !) désormais rejetée par la population, pour de multiples raisons sur lesquelles nous ne reviendrons pas (mais que la justice nous a reconnu le droit de ne pas démentir). Défaite dès le premier tour, la liste PCF-PdGauche-PS-MRC-PRG-J’en-passe a totalisé … 32 %, là où le PCF passait naguère au premier tour.

Pour faire avancer l’écologie et en tout cas bloquer une éventuelle réaction populaire FN, nous n’avions plus qu’une carte à jouer : l’alliance, sur un programme précis, avec tous les autres, UMP, UDI et dissidents du PS (futurs macroniens). Notre groupe local fut suspendu par… E. Cosse et JV Placé venus soutenir, sur le marché de Villejuif, l’équipe sortante honnie par les Villejuifois, à la fureur de nos électeurs et au désespoir de nos militant-e-s.

Pendant un an et demi, nous avons fait considérablement avancer l’écologie : urbanisme, économie sociale et solidaire, etc. Mais nous avons rompu dès que nous avons identifié de louches manœuvres immobilières de l’UMP. Aujourd’hui, celle-ci a perdu le soutien de tous ses alliés, et dans la lutte en cours contre la vente de la Bourse du travail, l’UMP/LR se trouve face à un front uni de EELV et de La France Insoumise, mais aussi du PCF, du PS, de LREM et de la tête de liste UDI de 2014. Pour donner une idée de ce qu’est la politique locale : LFI et cet (ex)UDI forment un groupe municipal commun !

Dans un tel chaos politique, seul le groupe local a l’expertise pour tisser des alliances municipales afin de faire avancer l’écologie, la solidarité et la démocratie. Et c’est d’ailleurs ce que ce que prévoyaient nos statuts. Mais qui se préoccupe encore des statuts ?

Heureusement le parti n’a pas validé l’exclusion de notre groupe local : ce sont Placé et Cosse qui sont partis... Mais comment faire campagne après avoir été représentés dans les medias par de telles personnalités ? Nous avons pu faire ré adhérer la plupart de « exclus » écœurés, mais pas tous : certain-e-s, des plus engagé-e-s pour l’écologie, n’ont pas ré adhéré après cette humiliation pour laquelle ils ou elles n’ont jamais reçu d’excuse de la part de EELV national (ni départemental, d’ailleurs), mais continuent à « militer avec nous ». J’y reviendrai.

Et notre cas n’est pas isolé. De nombreus-e-s ami-e-s, parfois militants de très, très longue date, ou séduit-e-s par EELV 2009, sont exclu-e-s et suspendu-e-s, pour avoir été vue à une meeting macronien, pour avoir soutenu un candidat LFI contre un EELV désigné cavalièrement, etc. EELV a encore trop d’adhérents : le Parti se fortifie en s’épurant…

Car la seule règle de bien des dirigeants est restée la politique des postes : dans le cadre d’une alliance indéfectible avec « la gauche » assimilée au PS et à la rigueur au PCF, jusqu’au sénatoriales de septembre 2017 comprises, et en dépit de ce qui avait été voté au congrès EELV quelques mois plus tôt, on a sacrifié l’autonomie d’un programme écologiste à la « sauvegarde de la gauche » et de quelques strapontins (qui ne pouvaient en rien faire obstacle à la domination nationale de la droite et des macroniens).

 Si nous voulons vraiment reconstruire l’écologie politique en France (et dans le Val de Marne)

1 On veut refonder l’écologie. Pourquoi ? Parce que ça ne va plus. On vire des gens qui pendant des années s’y sont trouvé bien et ont beaucoup donné, mais qui trouvent eux aussi que ça ne va plus. On la reconstruit sans eux ?

La toute première mesure pour « reconstruire l’espérance » n’est elle pas de voter un moratoire général contre toutes les exclusions, de suspendre toutes les suspensions ?

2. Une bonne partie de ces écologistes étaient entrés en 2009 à EELV autour de l’idée de « coopérative ». C’est à dire qu’on mettrait ses forces en commun à partir d’engagements écologiques différents, mais sans s’engager à suivre la dernière idée d’une direction. Par exemple, dans le 94 : appeler à faire élire sénateur le président communiste de la SADEV, redoutable promoteur dont les ZAC mettent la ville en coupe réglée depuis des décennies. Cela au nom de l’intérêt supérieur du parti : en échange d’un élu à l’autre bout de la France. Ça passe encore pour les « membres du Parti chevronnés et endurcis » comme moi, formés dans leur jeunesse, il y a un demi-siècle, à la discipline marxiste-léniniste et à la raison d’Etat, sûrement pas auprès d’un coopérateur d’aujourd’hui, adepte du zapping militant, mobilisé contre ces mêmes ZAC, ou locavore, ou anti-nucléaire etc.

Il n’y a plus aucun rapport quantitatif entre les « adhérents du parti » et les « partisans de l’écologie ». Il y a sur notre ville une importante dynamique écologiste (que l’on mesure au succès de nos initiatives publiques) mais qui ne se reconnait plus dans « le parti de Placé et de Cosse » (et qui se fichent de savoir si il/elle sont partis : la faute indélébile est de les avoir eu pour « incarnation ».) Il faut le savoir, vivre avec, en tenir compte dans nos modes de fonctionnement.

Invitons donc tous les sympathisants de l’écologie à « hacker « (c’est le terme employé dans la motion majoritaire du dernier congrès, vous vous souvenez ?) nos réunions, nos prises de décision électorales, et si elles/ils n’aiment plus le sigle EELV, inventons des structures locales – « Atelier », « Fabrique »… — pour militer ensemble.

3. On a quand même besoin d’alliés. Mais qui sait ce que pensent vraiment de l’écologie et de la solidarité les centristes (macroniens, bayrousiens…), les « socialistes » (ceux qui restent), les « Juilletistes », les communistes, les Gauche citoyenne, les Insoumis que nous avons localement en face de nous ? Les alliances doivent se décider à leur niveau pertinent, par celles et ceux qui connaissent la conjoncture et les personnalités locales.

En général, mais en général seulement, et pas toujours, ceux qui font référence à la gauche historique sont plus écolo-compatibles que ceux qui font référence à la droite. A nous de travailler avec ouverture et discernement. Renonçons à la facilité des étiquettes (« Ils sont socialistes : c’est écrit dessus »).

4. Avons nous encore besoin d’un parti écologiste ? Mais bien sûr ! Nous ne sommes pas un simple réseau de coopératives locales. Les problèmes écologiques sont métropolitains, régionaux, nationaux, européens, globaux. Nous avons besoin de nous coordonner pour comprendre et agir à chaque niveau.

Mais en aucun cas ce qui est « au dessus » ne doit paralyser l’action de ce qui est au dessous au nom d’une « cohérence » que n’agitent que les adversaires et les intéressés à quelques postes. Les gens ne sont pas des imbéciles : ils comprennent très bien qu’un groupe local soutienne telle alliance au niveau local et telle autre au niveau départemental ou national. L’important est que l’on énonce bien l’accord, le contenu qui justifie cette alliance (ou justifie de la refuser).

Le but des structures politiques supra-locales n’est pas principalement de négocier des alliances, comme dans la (déjà) vieille politique des postes. Nous avons (presque) tout perdu aux élections de 2016-2017. Revenir à la politique des contenus, reconstruire notre respectabilité, notre crédibilité d’écologistes, c’est d’abord reconstruire notre capacité intellectuelle de diagnostiquer les problèmes, et de proposer des solutions.

Aujourd’hui, au niveau départemental, régional, national, « le parti » doit être avant tout un lieu de coordination, d’échange, de réflexion de débat commun, et surtout de formation : un intellectuel collectif. C’est sa responsabilité n°1.




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