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par Alain Lipietz | 11 août 2019

Reste toi-même, Yannick Jadot !
Dans une tribune publiée sur Libération.fr, plusieurs élus importants de EELV admonestent leur tête de liste aux européennes, Yannick Jadot. Ils et elles soulèvent des problèmes stratégiques et tactiques, le point commun étant le mot « Gauche ». C’est ce mot qu’il faut d’abord questionner.

Par convention, on appelle Gauche les partisans d’un « progrès » plus ou moins radical, et Droite les partisans du statu quo, voire d’un retour en arrière. Être « de gauche » suppose donc que l’on peut changer, que les maux dont souffrent les humains sont d’origine sociale et non un ordre du monde frappant les individus. Toutefois le contenu du changement auquel la société aspire varie d’une époque à l’autre. « Gauche » est donc relatif à un état de la société et au sens vers lequel elle aspire à progresser.

Être de gauche à la fin du XVIIIe siècle, c’est être pour la démocratie et les droits de l’Homme (masculin), principalement la Liberté et l’égalité de naissance. Être de gauche à la fin du XIXe siècle, c’est être pour la laïcité et la justice sociale. Et pendant tout le XXe siècle cela restera la définition de « la Gauche », avec l’égalité entre nations (le « tiers-mondisme ») comme l’extension naturelle du socialisme national. Mais à la fin du siècle apparaissent de nouveaux sens au progrès : la lutte féministe et la prise en compte de l’écologie… gauche du XXIe siècle.

En première approximation, ces « gauches » successives s’emboitent comme des poupées russes. Les humains ne doivent pas simplement naitre libre, mais encore demeurer égaux en droits, et même si possible en fait, et encore permettre aux génération futures (c’est à dire… les actuelles) de vivre dans une Planète habitable. L’écologie politique inclut donc la démocratie, les droits de l’Homme (et des femmes), la laïcité, la justice sociale, le tiers-mondisme… Et bien sûr la probité publique (souvent le premier contenu du « vert » dans les pays corrompus). Emboitement qu’incarnait notre père fondateur, René Dumont.

Mais c’est un peu plus compliqué. De même que le socialisme du XIXe a dû requalifier la démocratie libérale, de même l’écologie oblige à requalifier le social. Par exemple : les compromis productivistes, socio-démocrates ou communistes sur le pouvoir d’achat et l’emploi. « Remplir les caddies, c’est vider les Agences pour l’emploi » disait la CGT. Pour les écologistes : « Produisons le nécessaire en polluant et jetant le moins possible, assurons l’emploi de tous et toutes par le partage du travail et des richesses ».

Problème : « la Gauche » désignera encore un certain temps, dans l’esprit des électeurs et des medias, la gauche « historique », celle du XXe siècle, PCF, PS et leurs multiples scissions. C’est pourquoi la majorité plurielle de 1997 (Lionel Jospin) s’affichait « Alliance de la Gauche et des écologistes ». Or, faute de prendre en compte l’écologie, cette gauche historique n’est même plus de gauche au sens du « social ». Et nos amis signataires, élus pour beaucoup d’entre eux de la Banlieue rouge du Val de Marne ( le maire et l’ancien maire d’Arcueil !) le savent mieux que quiconque. Ils voient la France Insoumise s’opposer aux écotaxes sur le diesel pour complaire aux Gilets Jaunes, ils voient les communistes s’opposer au retrait des veilles diesel « Crit’air 5 », parce que c’est le carburant du pauvre, alors que les particules fines tuent 6500 personnes par an dans le Grand Paris… et bien entendu il s’agit principalement des habitants des logements sociaux agglutinées autour des grands axes autoroutiers, pas des belles banlieues aérées. Il existe pourtant bien des solutions pour compenser l’abandon de ces médiocres avantages accordées aux classe populaires par le capitalisme productiviste (chèques énergie, transports alternatifs gratuits, etc).

Le problème est au fond le même que pour l’interdiction du travail des enfants, à laquelle s’opposaient les familles ouvrières au nom du pouvoir d’achat. Les syndicalistes et les socialistes du XIXe siècle eurent le courage d’affronter leur propre base sociale dans l’intérêt de leurs enfants. Ce courage, leurs héritiers ne l’ont plus, les Verts – dont les signataires ! — l’ont encore.

Alors pourquoi cette algarade contre Y. Jadot, qui n’a jamais reculé ni sur le souci des droits humains, ni sur la justice sociale, mais n’a pas oublié la dimension territorial, écologique, de des inégalités sociales ? À cause, on le voit bien, du problème tactique : que faire de la gauche historique, dès lors qu’aux élections européennes les écologistes ont certes surclassé ses partis de la tête et des épaules, mais qu’aux municipales il leur faudra bien bâtir des alliances ?

Y. Jadot, aux européennes, n’avait pas ce problème : scrutin proportionnel ! De plus, la « Génération Climat » n’a pas le souci de s’inscrire dans « la gauche » qui reste assimilée aux partis productivistes du siècle précédent. Pour la même raison, la France insoumise évite également ce terme. Mais symétriquement, PCF et PS s’empressent, trop tardivement, de « passer au vert » sans que, dans leurs projets locaux, cette hâtive conversion soit très évidente.

Comment passe-t-on du rouge au vert ? Soit par une démarche individuelle (ce fut le cas de la plupart de nos signataires), soit en créant un parti « intermédiaire » (c’est le cas de Génération.s et de la France Insoumise, dont la conversion, pour touchante de bonne volonté qu’elle soit, reste encore approximative), soit en repeignant en vert la vieille maison.

On ne peut sonder les reins et les cœurs. Y. Jadot a parfaitement raison de consolider d’abord une proposition politique radicalement écologiste. Mais ensuite les écologistes devront bientôt assumer le rôle dirigeant que leur ont confié les électeurs du 26 mai : unir la gauche du XXIe siècle, rallier la vieille gauche en évolution, isoler les irréductibles productivistes. C’est à dire proposer un programme à la mesure des crises écologiques qui désormais avancent à grand pas, de manière parfaitement visible (et c’est nouveau), crises énergie -climat, crise alimentation-santé, 6e extinction des espèces, puis rallier sans exclusive celles et ceux qui se déclarent volontaires pour les affronter avec eux.




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