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par Alain Lipietz | 29 octobre 2001

Marianne
Entretien
Marianne : Comprenez-vous aujourd’hui les raisons qui ont conduit à votre escamotage ?

Alain Lipietz : Au commencement, sur l’amnistie en Corse, j’ai commis une erreur de débutant. J’étais au volant de ma voiture quand France Info m’a demandé de réagir aux déclarations de Jean-Luc Bennahmias à Corte. J’ai répondu que j’étais hostile à la surenchère de Jean-Guy Talamoni qui exigeait alors une amnistie en préalable à la poursuite du processus de Matignon. J’ai ajouté qu’il était néanmoins évident qu’une amnistie aurait lieu après le au terme du processus. Enfin, j’ai précisé que les formes de l’amnistie en France, telle qu’elle s’est faite en Algérie ou en Kanaky, n’étaient pas satisfaisantes. Après avoir jugé les auteurs de crimes ou de délits, il faudra engager en Corse un processus de réconciliation. Malheureusement pour moi, France Info a diffusé en boucle le deuxième point de mon raisonnement, et seulement celui-là. A partir de là, les journaux se citant les uns les autres, il y a eu un "effet bruit" incontrôlable. Là-dessus, trois forces se sont coalisées.

Marianne : Lesquelles ?

Alain Lipietz : La droite est montée à l’offensive, aiguillonnée par les lobbys du pétrole, du BTP et de l’automobile qui prônent, pour échapper à l’écotaxe, "l’autolimitation" des industriels. Pour crédibiliser l’opération Chirac-Lepage, qui n’est autre que la défense de l’environnement sur la base du volontariat, il fallait que ce qu’eux appellent l’écologie de "contrainte" soit détruite.

Marianne : Selon vous, la presse serait soumise aux mêmes lobbys ?

Alain Lipietz : Il y a eu plutôt un effet de meute, surtout dans la presse quotidienne nationale. Le journaliste qui m’aurait défendu serait passé pour un con. Ils ont fait une spéculation à la baisse, se lançant le défi de dégommer un candidat à la présidentielle.

Marianne : Et qui était le chef de meute ?

Alain Lipietz : Le coup de grâce est venu du Monde. C’est d’abord ce journal qui affirme que j’ai travaillé au programme du FLNC. Pourtant, l’unique "accusateur", Yves Stella a reconnu que je n’ai rencontré des militants du FLNC que dans le cadre d’une conférence universitaire plusieurs mois après la sortie du dit programme ? C’est toujours ce journal qui, quelques semaines plus tard, préfère citer -pour me ridiculiser- des extraits de la tribune qui a provoqué le départ de mon directeur de campagne, alors qu’il aurait pu publier dans son intégralité ce texte (auquel je ne retire rien) que je lui avais proposé et qui fût finalement publié dans Libération.

Marianne : Pendant ces longues semaines, le soutien des Verts a été des plus légers ?

Alain Lipietz : La chasse à courre médiatique a été puissamment aidée par quatre ou cinq dirigeants Verts qui n’ont cessé de remettre publiquement en cause ma désignation, pourtant démocratiquement acquise. J’ai fini par succomber à ce putsch permanent.

Marianne : Et Dominique Voynet, elle aussi, a cédé à la pression du PS ?

Alain Lipietz : Le PS est dans un dilemme. Il désire un candidat écolo qui fasse pièce à Corinne Lepage, mais qui soit ni trop vert, ni trop puissant. A contrario, si le candidat Vert est affaibli, cela pose un problème de réserves de voix pour Jospin. Pris dans cette contradiction, les socialistes ont décidé, en août, d’interdire aux maires qu’ils influençaient de parrainer ma candidature. Dès lors, Dominique Voynet a eu peur d’entraîner son parti dans une faillite financière et politique. Elle a un peu paniqué. En septembre 1994, pourtant, elle avait rassemblé moins de signatures que je n’en avais déjà moi-même ?

Marianne : Est-ce la véritable raison de son faible soutien ?

Alain Lipietz : En fait, l’essentiel est ailleurs : Dominique savait que je serais d’une loyauté parfaite à l’égard de mon remplaçant si j’étais débarqué, alors que Mamère aurait continué son pilonnage. Elle a préféré la solution la plus stable. C’est le principe du pollueur payé : on paye le pollueur pour qu’il cesse de polluer. Voynet a été ébranlée par l’épisode de l’Erika : elle pense depuis qu’on ne sort pas d’un courant médiatique trop fort.

Marianne : Votre passé militant chez les maos a-t-il joué un rôle dans ce que vous appelez votre lynchage ?

Alain Lipietz : On peut en effet s’amuser à évoquer un affrontement entre l’ex-"mao gramsciste" que je fut il y a un quart de siècle, et quelques anciens de l’OCI trotskiste, comme Jospin lui-même. Je me souviens que lorsqu’il a été interpellé par les Verts à l’assemblée nationale sur la grève de la faim des sans-papiers des Batignoles, Jospin a dit à Dominique Voynet : "ce n’est pas Terray (un ex-mao qui soutenait les sans-papiers) et Lipietz, qui ont 6 millions de morts sur la conscience, qui vont me donner des leçons ?". Quant à Jean-François Collin, qui fut mon directeur de campagne, il a fait montre d’une autre caractéristique des ex-OCI : l’absence totale de fantaisie et, partant, de capacité d’anticipation. Dans la tribune sur le terrorisme qui a justifié sa démission, j’évoquais huit jours avant l’évidence le problème de l’anti-américanisme. Pour lui, c’était trop tôt. J’ai subi, comme Dany Cohn-Bendit lorsqu’il a été scandaleusement accusé de pédophilie, un règlement de compte interne aux anciens de mai 68.

Marianne : Quelle leçon personnelle tirez-vous de cette aventure ?

Alain Lipietz : D’abord, j’ai mûri. Je ne me ferai plus manipuler par la presse en ne contrôlant pas mon expression. Ensuite, j’ai compris qu’il valait mieux passer pour un idiot que pour un chercheur. Enfin, c’est une fabiusienne qui m’a aidé à formuler la leçon politique : ayant été élu contre la direction des Verts, j’aurais dû me défier d’elle. Je suis resté confiant, sous-estimant l’envie que suscite un homme projeté, même si c’est seulement pour un CDD de neuf mois, sur le devant de la scène. "Déstabilisez, déstabilisez, il en restera toujours quelque chose", telle est la règle, même pour les amis politiques.

Marianne : Et quelle leçon pour les Verts ?

Alain Lipietz : Les courants, qui sont supposés structurer le débat interne, sont devenus des écuries, des clans, avec des chefs de tente qui négocient entre eux. Or, cette cristallisation est désormais très liée au choix entre parti du mouvement et parti de gouvernement. Longtemps, les Verts ont su être, comme disait Berlinguer, un "parti de luttes et de gouvernement". Aujourd’hui, certains dirigeants veulent imposer un modèle différent, celui de l’hyperréalisme. C’est ainsi qu’il faut comprendre l’expression "faire des Verts un parti adulte" : il s’agit d’un parti professionnalisé où les dirigeants font de la politique tandis que tous les autres les amènent au pouvoir. Dès lors que l’essentiel est de se maintenir dans les institutions, naturellement, la question des alliances devient cruciale. Il devient indispensable de minorer ce qui nous différencie de nos alliés pour conserver des postes.

Marianne : Vous ne partagez pas la ligne Voynet-Mamère ?

Alain Lipietz : Nous, les Verts, représentons un autre projet de société, qui n’est pas encore majoritaire. Par la mobilisation sociale, avec les associations, les syndicats, avec Attac ou la Confédération paysanne, il s’agit de faire évoluer les mentalités. Ainsi renforcés, nous obtiendrons de nos partenaires des concessions sur la base de compromis acceptables. La participation aux institutions ne prime donc pas sur le reste. On ne change pas la société par décret.

Marianne : En 1997, vous aviez dit à vos copains : on ne signe avec le PS que sous réserve d’un engagement précis sur une loi cadre sur la réduction du temps de travail. Pour 2002, quels conditions préconisez-vous à propos du nucléaire.

Alain Lipietz : Nos partenaires doivent s’engager à arrêter le retraitement des déchets nucléaires, prévoir le stockage en sub-surface et réaliser selon un calendrier précis la fermeture des centrales nucléaires en excès. Il ne faudra pas canner.

Marianne : Mamère sera-t-il un bon candidat pour les Verts ?

Alain Lipietz : Je ferai tout pour le soutenir car les succès futurs de l’écologie politique sont indexés au résultat du candidat Vert. Nous deux, nous sommes des caricatures de style opposés. Moi, je me demande ce qu’on fera dans cinq ou dix ans et lorsque je crois en quelque chose, rien ni personne ne me fait dire le contraire. Lui, il peut dire "irrévocable" le matin et ne plus s’en souvenir le soi-même. Ceci étant, il y a un électorat, 7, 8 ou 10% pour voter pour un candidat différent de celui que présentera le PS. Paradoxalement, il se porte aussi aujourd’hui sur Chevènement. Le candidat des Verts, quel qu’il soit, peut les récupérer, s’il sait incarner la noblesse de la politique.

Marianne : Croyez-vous Jospin en mesure de gagner la présidentielle ?

Alain Lipietz : Si j’en juge par les municipales et les cantonales, rien n’est moins sûr. La gauche peut perdre, non pas à cause des 3% de centristes qui ne voteront pas à gauche mais à cause des 10% d’électeurs de gauche qui ne voteraient pas pour Jospin. Aux Verts de leur rendre l’espoir ?

Propos recueillis par Daniel Bernard et Nicolas Domenach




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