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par Alain Lipietz | 13 juillet 2001

Le Revenu français
Entretien
Le Revenu : Vous venez d’être désigné, par vos militants, candidat des Verts aux élections présidentielles prévues pour le printemps 2002. Quels seront les principaux thèmes de votre campagne ?

Alain Lipietz : Ils ont été fixés lors de notre dernier conseil national. C’est d’abord l’environnement qui nous tient à cœur, autour de trois grands axes. Nous allons poursuivre notre politique de lutte contre l’effet de serre, notamment en prônant les transports en commun et plus particulièrement le trolleybus guidé, moins lourd financièrement à mettre en place que le tramway. Nous défendons parallèlement la sortie du nucléaire pour la France. Enfin, dernier point fort, la "bouffe", geste social le plus sacré. Nous sommes pour le retour à une agriculture paysanne, ce qui implique que le prix relatif des aliments remonte.

Le Revenu : Et sur le plan social ?

Alain Lipietz : Nous comptons faire deux fois plus que ce qui a été fait au cours de cette législature. L’objectif consistait pour nous à parvenir sous le seuil d’un million et demi de chômeurs en 2002. Malheureusement, les choses ont traîné et il va donc falloir accélérer. Le meilleur moyen, pour nous les Verts, reste la semaine de quatre jours, ou de 32 heures. Maintenant, avant d’envisager la mise en place de ces 32 heures, il faut régler l’aménagement des 35 heures. Pour cela, il est temps de poser la question de la progressivité des cotisations salariales de l’employeur. On est en train de les rendre, petit à petit, progressives pour les salariés. Il faut désormais réfléchir à étendre la mesure à l’employeur : les Toutes Petites Entreprises (moins de 5 salariés) n’ont pas à payer le même taux que les grandes.

Le Revenu : Vous semblez critique sur l’application des 35 heures ?

Alain Lipietz : Ce qui a été un peu dommage, c’est que nous avions travaillé sur ce dossier pendant dix ans, puis nous sommes parvenus à convaincre les socialistes dans la dernière ligne droite, en 1997, de lancer cette réforme. Ils l’ont fait, mais sans savoir comment l’appliquer concrètement. Ce que nous disions, nous les Verts, c’est que les 35 heures pouvaient réussir en ne baissant pas trop la capacité d’investissement (donc l’épargne brute). des entreprises A partir de là, la solution pour maintenir ou accroître le pouvoir d’achat des salariés consistait à mordre sur les cotisations sociales.

Le Revenu : Vous nous parlez d’une réforme des cotisations sociales ?

Alain Lipietz : Tout à fait. Et sur ce plan-là, il est évident que les grandes entreprises sont beaucoup mieux placées que les très petites entreprises (TPE) pressurées par leurs fournisseurs et la concurrence des hypermarchés. On ne peut pas les considérer de la même façon. La réforme des cotisations est donc indispensable. Pourquoi pas en suivant l’exemple du Danemark qui intègre les cotisations sociales dans la TVA ? Le Danemark appartient à l’Union européenne, il n’y a donc pas de problème particulier. Je souhaite d’ailleurs que cela devienne la tendance générale pour les quinze pays de l’Union, car , la TVA étant déductible à l’export vers les pays tiers, cela accroîtrait la compétitivité européenne.

Le Revenu : Vous venez de publier, à la Documentation française, un ouvrage ayant pour titre : "Pour le Tiers secteur". Qu’y a-t-il derrière ce vocable ?

Alain Lipietz : En fait, ce livre est à l’origine un rapport que m’avait demandé Mme Aubry et que j’ai remis à Mme Guigou . Le Tiers secteur, si vous voulez, est un secteur qui navigue entre le secteur public et le secteur marchand. Il s’agit d’entreprises privées, sous forme associative ou coopérative, mais ces entreprises sont dispensées d’impôts et de cotisations sociales, voire subventionnées, parce qu’elles accomplissent des missions d’utilité sociale. On touche là aux services de proximité, de la culture, de l’environnement, de réinsertion professionnelle, etc. Ce tiers secteur, point fort de notre programme, doit aider, au même titre que la réduction du temps de travail et grâce aux implications fiscales qui vont avec, à faire considérablement baisser le taux de chômage dans notre pays.

Le Revenu : Dans un tout autre domaine, quelle sera la position des Verts en terme d’aménagement des règles de la démocratie ?

Alain Lipietz : Je crois très honnêtement que le progrès viendra désormais surtout des conditions concrètes de la démocratie (par exemple, pour une parité réelle, il faut que les femmes soient déchargées du souci permanent des enfants...). Mais il reste des réformes institutionnelles à accomplir : le droit de vote des résidents étrangers, la proportionnelle et le durcissement des lois anti-cumul. On ne doit pouvoir ajouter à un mandat national qu’un mandat simple. Je suis moi-même député et cela me prend bien plus de 35 heures par semaine ! Je ne vois donc pas comment on pourrait y adjoindre un autre mandat comme une mairie.

Le Revenu : M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe PS à l’Assemblée et président de la communauté urbaine de Nantes, cumule pourtant deux mandats de poids...

Alain Lipietz : Oui. Et donc il doit trop déléguer à ses services. Mais on peut aussi poser le problème pour les présidences d’agglomération.

Le Revenu : Vous seriez partisan de réformes de certains modes de suffrages ?

Alain Lipietz : Tout à fait. Chez les Verts, nous défendons le passage au suffrage universel pour l’élection des communautés de communes ou d’agglomérations et souhaitons, mais vous le savez très bien, introduire partout une dose de proportionnelle. Contrairement aux idées reçues, nous ne souhaitons pas absolument une proportionnelle intégrale. Je crois qu’un correctif proportionnel nous irait très bien. Le but recherché consistera à obtenir une carte politique représentative de la société.

Le Revenu : Une dernière question sur la citoyenneté. Quelle est la position des Verts sur les "sans-papiers" ?

Alain Lipietz : En France, les principes de Montesquieu sont violés. Tous les gens qui travaillent chez nous, qui payent des impôts chez nous doivent avoir les mêmes droits civiques et civils. Même le suffrage censitaire leur accorderait le droit de voter, et d’ailleurs beaucoup de sans-papiers votent aux élections professionnelles ! Il faut donc commencer par régulariser la situation de tous ces sans-papiers, puis il faudra s’interroger sur la quantité de main d’oeuvre immigrée dont la France va avoir besoin. La législature qui arrive sera déterminante pour ce débat, car la question du manque de cotisants se pose déjà pour les retraites

Le Revenu : Cette baisse des cotisants conduit tout droit au problème du financement des retraites. Que préconisez-vous ?

Alain Lipietz : Le mécanisme le plus robuste reste le système par répartition. En fait je crois que l’écrasante majorité des Français qui se disent favorables à l’autre système (la capitalisation) estime, en réalité, que l’Etat interviendra en dernier recours pour garantir les versements des assurances-vie et des fonds de pension par capitalisation. Cette question pose naturellement le problème du " hasard moral ". On fait comme si les contribuables de 2040 paieront en cas de pépin. Mais on fait aussi comme si on pouvait jouer à la Bourse avec les cotisations d’assurance-vie. Je crois vraiment qu’il faut choisir. Que penserait-on d’un fonds de pension ou d’assurance-vie qui aurait tout investi dans les licences UMTS ?

Le Revenu : Vous êtes donc le défenseur du seul système par répartition ?

Alain Lipietz : En réalité, la répartition présente un problème majeur : c’est au moment où le nombre et l’age moyen des retraités va croître qu’il va falloir augmenter les cotisations. Sur ce sujet, je suis assez d’accord avec le gouvernement qui met en place un fonds de lissage en vue de la crise du "Papy boom". Mais sur le fond, la meilleure solution au problème des retraites reste une combinaison entre un système de répartition, qui constitue la base en France depuis le krach des années trente et la Libération, et un système " surcomplémentaire " facultatif (donc en capitalisation) que, dans le jargon européen, nous appelons le " troisième pilier ". Ne soyons pas dupes, cette capitalisation existe déjà largement chez nous et s’appelle l’assurance-vie. Il faut seulement que ce troisième pilier ait un caractère de vraie retraite (y compris avec reversion au conjoint survivant), et non d’épargne défiscalisée pour les héritiers.

Le Revenu : Alors, que proposez-vous ?

Alain Lipietz : J’estime d’abord choquante l’idée que la gestion des fonds affectés à ce troisième pilier puisse être lucrative. C’est pour cette raison que j’ai proposé que cette collecte de fonds soit gérée par des mutuelles, au même titre qu’une complémentaire maladie. Cette position a été retenue par le Parlement européen, suivant en cela la proposition de l’Euresa qui regroupe les grandes mutuelles européennes.

Le Revenu : L’actualité nous a cependant montré le problème du contrôle de ces mutuelles. Existe-t-il une réflexion sur ce sujet ?

Alain Lipietz : Plus ces structures vont devenir importantes, plus le problème de leur contrôle va effectivement se poser, autant sur le plan comptable que sociétal. Mais une autre question se pose. Que faire de ces fonds collectés en attendant leur distribution ? Je propose de placer toutes ces cotisations volontaires dans des fonds éthiques. L’Euresa est en train d’y travailler. La Macif, par exemple a déjà mis au point un fonds éthique pour le placement de ses fonds de capitalisation. C’est donc un énorme chantier qui va se déployer dans les années à venir. Il reste encore à définir ce qui est éthique et ce qui ne l’est pas. Mais très vite, les gens vont pouvoir choisir dans un menu ce qu’ils souhaiteront privilégier. Cela pourrait être des aliments bio, la création d ?emploi, le soutien au tiers-monde, etc.

Propos recueillis par Alain Chaigneau et David Solon




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