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par Alain Lipietz | 24 juin 2008

Ecotaxes et quotas : complémentaires contre le changement climatique
Intervention au groupe de travail "Taxation" du Kangaroo Group
Nous parlons ici de deux instruments économiques qui doivent nous aider à éviter une catastrophe que le rapport Stern chiffre à 5500 milliards d’Euros fin 2050, : de l’ordre du coût d’une guerre mondiale. Ces instruments (écotaxes et quotas distribués aux enchères) sont macro-économiquement neutres. Ils visent à limiter la consommation d’énergie fossile (et dégagent ainsi un pouvoir d’achat pour d’autres biens et services) tout en rapportant de l’argent à l’Etat (et permettent ainsi de réduire les impôts, les déficits, de développer d’autres politiques publiques).

Ils induisent, sectoriellement, une autre façon de consommer et de produire, transition parfois douloureuse, mais vers une économie sans doute plus riche en emplois. Nous n’en discuterons pas ici. Je voudrais seulement discuter 5 points : leur dualité, leur complémentarité, leur neutralité quant au choix de l’énergie primaire, leur prédictibilité, et leur compétitivité.

1. Dualité

Pour la théorie économique standard de l’équilibre général, il est équivalent de fixer un système de prix ou un système de quantités. Distribuer aux enchères des quotas déterminés de CO2 est équivalent à fixer des écotaxes sur les carburants fossiles. Je précise que je ne parle pas des quotas modèle 2006, fixés et distribués par les Etats aux entreprises selon la méthode "historique" (grand-fathering), mais des directives de nouvelle génération (post-Kyoto) qui envisagent une distribution européenne de quotas vendus aux enchères par les Etats.

Dans la réalité les choses sont plus incertaines. Si on augmente le prix de l’essence, les automobilistes conduiront moins et plus doucement, mais on ne sait pas de combien. Si on fixe un quota maximum de pétrole brûlé plus strict, le prix du quota va augmenter, mais on ne sait pas de combien. On dit que les quotas sont un « instrument d’objectif », et les écotaxes un « instrument de moyens ».

De ce fait, un écologiste préférera utiliser au maximum la méthode des quotas vendus aux enchères. On les fixe en fonction des objectifs de réduction de gaz à effet de serre, quitte à faciliter au maximum, par d’autres méthodes, le développement des techniques les plus efficaces.

D’ailleurs, le hasard de la rédaction des traités a fait de l’harmonisation des écotaxes une décision relevant de l’unanimité et du seul Conseil. Sa dernière utilisation fut la fixation d’un minimum sur la taxation du charbon, avant l’entrée de la Pologne. En revanche, les "échanges de quotas" relèvent de l’objectif de construction du Marché intérieur commun, donc de la majorité et de la codécision Conseil-Parlement. Et c’est le Parlement qui a décidé d’avancer l’expérimentation à 2006, et introduit une once de vente aux enchères.

Enfin, les quotas sont directement liés dans l’opinion publique à leur objectif : freinage du changement climatique. Les impôts au contraire ont a priori mauvaise presse : ils s’engloutiraient, pense-t-on, dans la "gabegie" de l’Etat.

2. Complémentarité

Et pourtant, je ne crois pas qu’on puisse généraliser à un demi-milliard de consommateurs la technique de la vente aux enchères, efficace pour quelques dizaines de milliers d’entreprises. Le consommateur d’un litre d’essence achètera toujours son quota de CO2 à la pompe, sous forme de taxe incluse dans le prix total, à un niveau fixé par l’Etat, forfaitaire en somme. A lui d’en fait le meilleur usage en conduisant parcimonieusement, avec la voiture la plus efficace possible. Ecotaxe et quotas vendus par l’Etat (qui sont "presque la même chose" en tant que "signal-prix") resteront deux techniques complémentaires, et juridiquement différentes.

Pourtant, cette idée qu’une écotaxe - c’est à dire une taxe attachée à la vente d’un volume physique de produit polluant, telle la TTIP française - n’est qu’un quota de droit à polluer vendu au détail à prix forfaitaire par l’Etat, est importante pour ce qui suit.

3. Neutralité quant aux sources d’énergie primaire

L’écotaxe "Energie-carbone" défendue par la Commission européenne pour la Conférence de Rio en 1992 fixait un plancher indépendant de la source d’énergie (5 dollars par équivalent baril, et au delà de plus en plus cher pour les fossiles de plus en plus polluant en CO2, de 7 pour le gaz à 11 pour lignite). Il s’agissait d’éviter qu’une pure écotaxe - carbone ne brise l’objectif de "concurrence non faussée" (level playing field) entre les énergies et favorise de fait d’autres sources présentant d’autres dangers : le nucléaire (Tchernobyl était alors plus sensible que le réchauffement climatique) et l’usage-énergie de l’eau et des terres (agro-carburants) au détriment de l’alimentation.

Cette sagesse ancienne doit être retrouvée. Pour inciter aux économies d’énergie en général (quelle qu’en soit l’origine, toujours dangereuse), même les quotas de CO2 mis aux enchères doivent l’être avec un prix-plancher, facteur fixe équivalent à d’autres régulations portant sur les autres énergies primaires.

4. Prédictibilité

Cette nécessité de fixer un prix-plancher (comme dans la Politique Agricole Commune, ancienne formule) est conforté par un autre argument, celui de la prédictibilité.

Selon le rapport du GIEC, nous avons jusqu’à 2015 pour entrer en action massive contre le changement climatique (et encore, en n’évitant pas une hausse d’au moins + 2 degrés de la température mondiale). L’Europe devrait déjà fourmiller de chantiers, grands et petits : trains, trams, puits de géothermie ou de capture de CO2, isolation de centaines de millions de logements, etc. L’économique européenne devrait déjà être "mobilisée" (au sens de Kornai) : comme en 1943, où Ford comme Toyota ne produisaient plus, et 7 jours sur 7, que des armements...

Or, une entreprise, une municipalité ou un ménage ne se lance dans de tels investissements qu’avec la certitude que, dans quelques années, le prix du quota de CO2 ainsi évité sera supérieur à ses frais financiers.

Des mécanismes de financement doivent être montés, captant l’actuel excès de l’épargne sur l’investissement, pour la diriger vers cette révolution du mode de production et de consommation - et la Banque Européenne d’Investissement, mais aussi la Banque Centrale, ont un rôle majeur à y jouer. Mais ce n’est possible que si la puissance publique européenne garantit que dans quelques années ces investissements seront rentables - c’est à dire annonce à l’avance un prix-plancher pour les quotas. Ce qui revient, en un sens, à introduire un prix à deux composantes : écotaxe + marché.

5. Compétitivité

Supposons que, par un malheur historique aux dimensions planétaires, certains pays ne s’inscrivent pas dans l’accord post-Kyoto. L’Union a déjà décidé qu’en tout état de cause elle irait de l’avant. Ce qui ne manquera pas de poser des problèmes de compétitivité (c’est déjà le cas pour l’aviation et le ciment), certains pays continuant à "polluer sans payer", les entreprises de l’Union payant pour sauver la planète.

Théoriquement, avec les deux techniques (quota et écotaxes), il est possible de protéger nos industries. L’article XX de l’OMC permet d’établir des "border-tax adjustments" pour compenser l’inégalité des réglementations environnementales. Surtout, le principe fondamental du "produit intérieur" oblige à traiter également toutes les entreprises d’où qu’elles viennent. Si un vol New-York-Paris doit "acheter son quota" quand il est Air France, il doit aussi l’acheter s’il est Delta Airlines.

Du fait de l’apparence qu’un quota fixé et vendu par l’Etat est une marchandise alors qu’une écotaxe est un impôt, il est probable qu’il sera plus facile d’obtenir l’incorporation du coût climatique dans le prix des produits et services importés, par la méthode des quotas plutôt que par une taxe aux frontières de l’Union. C’est d’ailleurs ce qui vient d’être décidé par la directive sur l’intégration de l’aviation dans le Système Européen des Permis d’Emission. Le prochain secteur concerné sera sans doute le ciment.

Mais ne nous faisons pas d’illusion : la lettre conjointe des ambassadeurs de Chine et des Etats-Unis contre la directive aviation montre que cela ne se fera pas sans conflit.

Souhaitons, pour le futur de l’humanité, que ce conflit s’annule pacifiquement par l’adoption mondiale de plans équivalents de lutte contre le changement climatique.

Kangaroo Group



À noter :

Photo Global Warming Art, sous licence CC.

Sur le Web : Sur l’économie de l’environnement

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