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par Alain Lipietz | 23 septembre 2013

Alternatives économiques
PS et Diesel : amours chiennes

PS et Diesel : amours chiennes

Cet article est reproduit de mon blog sur Alternatives économiques. Pour bénéficier de quelques liens et le discuter, vous pouvez vous rendre sur ce site.

La conférence environnementale s’achève et, si le Président et le Premier ministre ont réaffirmé des annonces intéressantes en faveur des économies d’énergie dans le bâtiment, les propos sur les énergies renouvelables sont plus inquiétants et le sujet du diesel est resté tabou. Pour comprendre pourquoi, il faut faire un peu d’économie politique, et pas seulement de l’écologie.

Sans avancer de nouvelles mesures en matière de renouvelables, le Président à laissé planer de nouvelles menaces sur la filière photovoltaïque. Bon, admettons qu’il vaille mieux concentrer les maigres subventions publiques sur les économies d’énergie plutôt que sur les énergies alternatives (quoique les Allemands avancent, et très vite, sur les deux fronts). La principale annonce est la confirmation de la baisse à 5% de la TVA sur la rénovation thermique du bâti, que l’on croyait déjà actée, et la promesse d’une promesse : l’introduction de la contribution climat dans le budget 2014. Mais rien sur le diesel, et cela devient quasiment un cas d’école.

L’explication immédiate est évidemment le jeu des lobbys. Le Bâtiment a compris depuis longtemps qu’il avait intérêt à une politique active de développement soutenable dans son secteur : ça le fait travailler ! Il soutient donc toutes les mesures que proposent les écologistes. Inversement, les lobbys électro-nucléaire et automobile sont contre, car cela compromet des immobilisations lourdes et non amorties, même si à terme de nouvelles filières s’ouvrent à leurs industries. Mais une telle explication est “vulgaire” en ce sens qu’elle fait de l’Etat et des partis de gouvernement de simples courroies de transmission des intérêts étroitement corporatistes. Il faut aussi expliquer la “susceptibilité” de ces acteurs aux pressions des lobbys.

Il y a quinze ans, je devais présenter au Conseil d’analyse économique de Lionel Jospin un rapport intitulé “Économie politique des écotaxes”. Ce rapport comprenait une première partie théorique, implicitement appuyée sur la théorie de la rente en économie politique classique (Ricardo, Marx). La rente, ou plus largement le tribut foncier, n’est-ce pas un droit (juridique) à prélever de l’argent en échange d’un accès à un environnement ?

L’exemple développé portait justement sur la fiscalité du diesel. Les premières publications sur son caractère cancérigène étaient déjà connues ; la Commission européenne, alarmée, demandait aux pays-membres d’annuler les avantages fiscaux de ce carburant. Après plusieurs mois de consultations (y compris avec la Fédération Nationale des Transports Routiers, pour distinguer la fiscalité diesel des professionnels de celle des véhicules de tourisme), je présentais mon rapport. Il recommandait un alignement de la fiscalité du diesel (pour les véhicules de tourisme) sur celle de l’essence en deux ans et répartissait par tiers son bénéfice entre le budget général (par exemple pour la résorption du déficit budgétaire), le financement de nouveaux transports en commun, et les compensations pour les ménages populaires prisonniers du diesel.

Surprise : au dernier moment, un collaborateur socialiste du cabinet de la ministre de l’environnement, Dominique Voynet, présenta un contre-rapport affirmant en somme que « Il n’y a pas le feu, rien n’est sûr, restons-en là. » J’appelai le Conseil à méditer l’exemple du sang contaminé, et que nous ne serions pas de ces mauvais conseillers qui avaient fait distribuer aux hémophiles des plaquettes de sang porteuses du sida. Comme à son habitude, Lionel Jospin coupa la poire en deux : réduction de moitié de la différence de taxe diesel/essence. Aujourd’hui, alors même que le diesel est officiellement classé cancérigène par l’OMS, le gouvernement Ayrault prend la suite des gouvernements de droite qui se sont succédé depuis 2002 : on laisse la fiscalité diesel en l’état. Et du coup, le parc des véhicules particuliers est désormais très largement diéselisé.

Bilan de ces tergiversations : 15 000 morts par an, 41000 comme “facteur aggravant” (du tabac, par exemple : chiffres peut-être exagérés, mais en tout cas de l’ordre de grandeur des accidents de la route et très supérieur au bilan annuel du cancer de l’amiante), écroulement de PSA, alors fleuron de l’automobile française, aujourd’hui accusé de fabriquer des voitures cancérigènes, et même déséquilibre de l’industrie française du raffinage, car on ne peut faire varier indéfiniment le mixte essence/diésel tiré du pétrole. Par ailleurs, la généralisation de ce carburant moins cher a incité les Français à circuler plus que de raison : on a mesuré qu’un ménage passant de l’essence au diesel augmente son kilométrage parcouru de 20 % l’année suivante.

La pusillanimité du Parti socialiste ne date donc pas d’aujourd’hui, ses conséquence sont désastreuses. Les deux argument sont toujours les mêmes : les industries en place, si polluantes soient elles, représentent des emplois ! Emplois mortels ? Tant pis. Et puis on ne va pas faire payer les classes populaires, obligés d’aller travailler avec leurs vieilles voitures au diesel.

Il faut sortir de ce piège. Les solutions existent pour les ménages les plus pauvres : chèques compensateurs, hausse des minima sociaux, etc… Ce qui revient à leur allouer un quota gratuit de droit à polluer, quota qui en tout état de cause limite un droit dont ils ont été, jusqu’ici, incités à abuser. Mais un droit appelé à s’éteindre, non renouvelable, jusqu’à la suppression complète de la subvention au diésel (par rapport à l’essence). Certes, la solution la plus efficace, en terme de santé publique, serait l’interdiction du diesel aux véhicules de tourisme (et la mise au point d’autres moteurs pour les poids lourds), mais elle est impraticable dès lors que la grande majorité du parc est diéselisé. Il faut procéder progressivement, et la suppression programmé de l’avantage diesel joue exactement ce rôle. En outre (« second dividende »), elle permet de financer de plus en plus de transports en commun, ce qui crée plus d’emplois que les voitures qu’ils remplacent.

On dispose donc d’une réponse à la fois écologique et sociale. Mais voilà, les lobbys en place sont toujours plus puissants que les lobbys de l’avenir. On peut s’égosiller, démontrer au PS, études à l’appui, qu’il y a plus d’emplois à créer dans les transports en commun (y compris les autobus à gaz fabriqués par les mêmes firmes automobiles…) : l’immobilisme bénéficiera toujours de la « prime au sortant », car un industriel ne change d’investissement que lorsque ses immobilisations sont soit amorties, soit délégitimées.

Mais il y a aussi un problème structurel de la sociale-démocratie. Pendant tout le 20ème siècle, elle a su forger un compromis “fordiste” entre capital et travail, mais au détriment de l’environnement, du tiers monde et des générations futures, et aussi de la santé d’aujourd’hui. Un compromis selon lequel, pour offrir aux salariés la « société de consommation » sans trop peser sur les profit du capital, on puise sans vergogne dans un grand Extérieur, un troisième facteur que les Classiques appelaient la « Terre ». C’est ce compromis-là que la sociale-démocratie ne parvient pas à dépasser, alors que sa faillite est au cœur de la crise actuelle. C’est la solution à cette impasse qu’étaient sensés promouvoir les écologistes avec le New Deal vert — et pas seulement eux : l’Onu y faisait aussi référence.

Certes il ne suffit pas d’incriminer les socialistes (et à plus forte raison leurs alliés occasionnels issus de la gauche du XXe siècle, encore plus conservateurs sur la question). Après tout, ils cristallisent un ancien compromis entre deux classes incarnant deux facteurs de production, le Capital et le Travail. Pas trois. Le troisième facteur, l’environnement, en l’occurrence son caractère pathogène ou non, la stabilité de son climat, bref “la Terre”, était censément incarné par les écologistes. Si Jospin « cédait » à moitié à la minuscule mais turbulente représentation verte dans sa majorité, Hollande peut se permettre d’ignorer les avis de ses deux ministres et des deux groupes parlementaires EÉLV, car, depuis un an et demi, ceux-ci en ont laissé passer bien d’autres : la règle d’or de l’équilibre budgétaire, le pacte de compétitivité pour les entreprises, l’abandon du volet “nucléaire” de l’accord électoral…

En termes économiques, on parle d’”effet de réputation”. Si les avocats du facteur Terre ont la réputation d’avaler des boas, pourquoi se fatiguer à trouver un compromis à trois ?




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