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[2002b] "Pour une ’ bientraitance ’ : santé et bien-être des animaux de production", 6e Rencontre La Ville, la Vie, la Santé, École nationale vétérinaire de Maison-Alfort

(art. 892).


par Alain Lipietz | 7 mars 2002

6e Rencontres La Ville, la Vie, la Santé
Pour une ’ bientraitance ’ : santé et bien-être des animaux de production
École nationale vétérinaire de Maison-Alfort
Participants
- Serge BELAIS, Président de la Société Protectrice des Animaux
- Nicolas FAIRISE, Vétérinaire Inspecteur, Ministère de l’Agriculture et de la Pêche, Direction générale de l’Alimentation, Adjoint au Chef de Bureau de Santé et de la Protection animale
- Jean-Pierre KIEFFER, Docteur vétérinaire, Président de l’Oeuvre d’Assistance aux Bêtes d’Abattoirs
- Raphaël LARRERE, Directeur de Recherche à l’INRA
- Pierre Le NEINDRE, Directeur de Recherche à l’INRA, Président de l’Eurogroupe Santé et Bien-être animal
- Alain LIPIETZ, Député européen, Economiste
- Didier MARTEAU, Secrétaire Général adjoint de la FNSEA
- Marc SAVEY, Directeur de la Santé et du Bien-être animal, Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments.
- Le débat est animé par Jean LEBRUN, journaliste à France Culture.

Jean LEBRUN

Notre table ronde va se dérouler en deux temps. Le second sera davantage consacré à la configuration actuelle, économique, sociale et législative, tel qu’elle a été esquissée par les deux parlementaires qui ont introduit ce débat. Y participeront Monsieur Fairise qui représente le Ministère de l’Agriculture, Monsieur Savey, représentant de l’AFSSA, et Monsieur Marteau, secrétaire général adjoint de la FNSEA.

Dans un premier temps, nous allons aborder la réflexion sur le respect de l’animal d’un point de vue historique. Nous allons donc écouter les représentants des associations, notamment Monsieur Belais, Président de la SPA, et Monsieur Kieffer, représentants de l’Œuvre d’Assistance aux Bêtes d’Abattoirs. Pour sa part, Monsieur Le Neindre, directeur de Recherche à l’INRA et président de l’Eurogroupe Santé et Bien-être animal, doit être satisfait de la transformation de l’animalerie et de l’initiation d’un enseignement d’éthologie au sein de l’Ecole d’Alfort. Monsieur Larrère est directeur de Recherche à l’INRA. Il a publié un livre avec Madame Burgat sur le bien-être des animaux d’élevage. Enfin, nous pouvons nous réjouir de la présence de Monsieur Lipietz, député européen.

 I. Le respect de l’animal au cours de l’Histoire

Je vous propose d’entamer ce débat à partir de grandes questions posées par les traditions auxquelles il est fait sans cesse référence lorsqu’on légifère, contrôle ou régule dans le domaine du bien-être animal. Monsieur Larrère, dans la civilisation chrétienne occidentale, seriez-vous d’accord pour affirmer qu’il y a d’abord eu une époque vivantiste ? Dans une certaine tradition médiévale, l’animal était considéré comme un envoyé de Dieu ou un missionnaire. Cela manifeste des vestiges d’une communauté unique dans laquelle fait partie l’animal, donné à l’homme par Dieu pour combler sa solitude. Par la suite, au moment de la tradition cartésienne, l’animal fut observé avec rationalité, comme une machine (cf. Malebranche) qui peut être admirable mais qui n’est pas sensible. Dès lors, comment s’est posé le débat suivant : jusqu’où peut-on maltraiter les animaux ?

Raphaël LARRERE

Dans la civilisation chrétienne, nous pouvons distinguer deux traditions. La chrétienté ayant affirmé que l’homme faisait partie du règne de la grâce et de la nature, une première tradition posait l’homme en maître de la nature. Les animaux, comme toute la nature, étaient donc à la disposition de l’homme. Cette tradition importante a toutefois été critiquée par Thomas d’Aquin et François d’Assise. Ainsi, une deuxième tradition faisait de l’homme l’intendant de Dieu sur Terre. Dans la mesure où l’homme était usufruitier de la nature, il devait rendre compte à Dieu de la manière dont il a fait bon ou mauvais usage de sa création. Ce furent donc deux traditions très différentes.

A l’époque de la Renaissance, la tradition de domination des animaux était capitale. Tout l’intérêt de Montaigne a été de ressortir des enquêtes antiques sur des interrogations et des observations sur l’animal pour défendre sa cause. Montaigne affirmait que les animaux étaient des êtres sans parole mais avec une intelligence. Bien évidemment, Descartes a fait une critique radicale du point de vue de Montaigne. Est née alors la théorie des animaux machine, théorie de rassemblement des cartésiens. Pour sa part, l’argument de Malebranche était très simple : " Supposons que l’animal n’a pas d’âme, il ne peut pas être sauvé. Supposons que l’animal souffre, Dieu est injuste car l’animal aura souffert sans pouvoir être sauvé. Mais il est impossible que Dieu soit injuste. Par conséquent, l’animal ne souffre pas. "

Cette théorie de l’animal machine a été très critiquée par ceux qui se sont posés la question de savoir ce qu’était un animal. Ils ont vu dans l’animal un être sensible. Avec toutes les théories qui faisaient avancer une genèse de l’intelligence, ils en sont arrivés à se dire qu’il y avait une différence de degré et non de nature entre les animaux et les humains. Ainsi, un aspect devait être à respecter dans l’animal : ce qui était commun aux animaux et aux hommes, c’est-à-dire le fait d’être des êtres sensibles.

Jean LEBRUN

Au moment du débat vivantiste cartésien que vous évoquiez, les mêmes questions que celles posées aujourd’hui étaient soulevés. Comment traiter l’animal pour la nourriture ? Jusqu’où et comment doit-on chasser ? Comment doit-on tuer les animaux sachant qu’il ne faut pas verser leur sang sur la Terre, car le sang est l’âme ? Les animaux peuvent-ils faire la guerre ? Ces quatre questions féodales étaient déjà posées, bien avant les débats organisés autour des connaissances scientifiques contemporaines.

Raphaël LARRERE

Tout à fait. Ce débat ne date pas d’aujourd’hui. La question " doit-on manger des animaux ?" fut également très importante.

Jean LEBRUN

L’évolution de la pensée a donc permis le retour à l’idée d’une communauté animal/humain qui ne soit pas aussi différenciée que dans la pensée cartésienne. Par quelle évolution scientifique y aboutit-on ? Le darwinisme ?

Raphaël LARRERE

Il est évident que Darwin a beaucoup contribué à l’évolution de la pensée en la matière, affirmant que l’homme descend du singe et n’a donc pas été créé à l’image de Dieu.

Jean LEBRUN

Au 19ème siècle, de nombreuses études ont été réalisés sur les animaux, dont on imagine qu’elles pourraient être appliquées à l’homme. Je pense notamment à la vivisection.

Raphaël LARRERE

Effectivement, les grandes avancées scientifiques vont démontrer des analogies physiologiques et neurologiques entre l’homme et l’animal. Un certain nombre de disciplines vont alors se développer.

Jean LEBRUN

Monsieur Le Neindre, l’éthologie permet de revenir sur la question traditionnelle suivante : les animaux pensent-ils ? Dit dans des termes plus modernes, il s’agit de savoir si les animaux sont capables d’exprimer des émotions.

Pierre LE NEINDRE

Je le crois. Nous devons essayer de savoir comment les animaux perçoivent leur environnement et en quoi cela peut leur permettre de ressentir des bonheurs ou de la souffrance. Par conséquent, nous tentons de déterminer les éléments importants dans leur vie qui soit vont entraîner une souffrance soit vont leur permettre d’atteindre un état de bien-être.

Jean LEBRUN

Mais dans les temps anciens, les éthologistes sont-ils réellement partis de ce questionnement précis ? En effet, lorsque les éthologistes se demandaient s’il existait une rationalité animale, il s’agissait essentiellement d’étudier la manière dont l’animal mobilise des moyens en vue d’atteindre un objectif. Au commencement de l’éthologie, le cri des oiseaux était étudié dans l’intention de montrer que, si l’oiseau crie, c’est parce qu’il a vu un prédateur et qu’il sait que son comportement doit se modifier. Mais progressivement, l’éthologie a changé d’axe. Aujourd’hui, lorsqu’un éthologiste entend un cri d’oiseau, il se dit que l’oiseau a peut-être peur. Ainsi, l’éthologiste s’interroge désormais sur la capacité de l’animal à déployer des moyens pour exprimer une émotion et non plus pour obtenir ce qu’il cherche.

Pierre LE NEINDRE

Au départ, l’éthologie était un mouvement scientifique pour essayer de s’extirper d’une approche extrêmement rationnelle " stimulus-réponse ". De fait, les animaux semblaient répondre directement à un stimulus de l’extérieur en essayant d’optimiser leur milieu. L’éthologiste a introduit la notion de construction de l’individu avec des tendances ou des instincts qui font que les animaux vont aller dans un certain sens. Cela signifie que l’animal ne doit pas être vu comme une machine. Il ne doit pas être vu d’un point de vue " stimulus-réponse ". L’animal est un tout, avec un passé et un savoir-faire. C’est en intégrant cela que l’on comprend l’animal.

Raphaël LARRERE

C’est à partir de Darwin que les hommes ont commencé à se poser des questions et à faire des comparaisons entre le fonctionnement mental de l’homme et le fonctionnement mental de l’animal. Je pense effectivement que l’éthologie s’est bâtie à partir de la question : l’animal a-t-il une rationalité instrumentale ou bien, avec notre propre rationalité instrumentale, pouvons-nous rendre compte du fonctionnement de l’animal ? Les derniers développements de l’éthologie actuelle tendent à revenir à une interrogation sur la rationalité expressive et pas uniquement sur la rationalité instrumentale.

Pierre LE NEINDRE

En fait, nous avons dépassé la notion de l’animal à l’image de l’homme. Il était important de lui poser des questions, c’est-à-dire de revenir vers l’animal dans son milieu pour essayer de comprendre quels étaient les éléments fondamentaux. Le travail du scientifique n’est pas de trouver des réponses a priori mais de poser des questions et de revenir vers le sujet en lui posant des questions. Comment vit-il ? Quels sont les éléments importants pour lui ?

L’animal a des émotions et des souffrances. Par exemple, lorsque vous proposez deux aliments, un bon et un mauvais, à un animal, vous vous apercevez que l’animal mange toujours un peu de l’aliment qui est mauvais. Pour lui, cela change sûrement. Ainsi, l’animal n’optimise pas. Contrairement à ce que l’on pensait, l’animal réagit à toute une série d’éléments importants qui ne sont pas nécessairement des réponses à des stimulus.

Jean LEBRUN

Vous venez de nous dire que vous posiez des questions aux animaux, mais ceux-ci ne parlent pas pour répondre. J’en conclus que votre obsession est de savoir ce qu’ils diraient s’ils pouvaient parler.

Pierre LE NEINDRE

Non. Je vais vous citer un autre exemple. Je travaille avec un collège économiste, Monsieur Larrère, qui s’intéresse aux réponses des consommateurs. Pendant longtemps, les économistes ont tenté de connaître plus précisément les comportements d’achat des consommateurs. Ils se sont exprimés au travers d’un questionnaire extrêmement savant. Par la suite, ces économistes sont venus dans les supermarchés. Ils se sont rendus compte qu’il y avait un hiatus très important entre le discours et l’action des consommateurs. En fait, ils se sont aperçus que l’action (et non le discours) comptait.

En réalité, nous demandons aux animaux d’agir pour les regarder. Cela rejoint l’exemple précédent. Bien évidemment, le langage est important, mais il véhicule de nombreuses choses, y compris le mensonge.

Jean LEBRUN

Ainsi, les animaux parleraient et mentiraient…

Pierre LE NEINDRE

Les animaux mentent. En leur posant des questions, nous nous apercevons qu’ils mentent. Par exemple, un coq est dans un environnement. Au-dessus de lui, passe un simulacre de faucon. Vous observez sa réponse. En général, lorsqu’il y a des poules autour du coq, il émet un cri qui signifie " attention danger vers le haut ". Tout le monde se réfugie alors dans les abris. Lorsque le coq sujet est entouré d’autres coqs, il se cache et n’émet plus de cri. Nous avons donc une idée du mensonge animal. Je pourrais vous citer des exemples similaires avec des primates. Le mensonge n’est pas le privilège de l’homme.

Jean LEBRUN

Les animaux mentent-ils pas omission ? En effet, vos propos me rappelle une anecdote de Margaret Smith, ethnologue, qui est très étonnée du comportement des indigènes qu’elle observe. Elle devine qu’ils omettent de lui dire un certain nombre de choses. Les indigènes lui répondent alors qu’il faut qu’ils en laissent aux autres ethnologues. Ainsi, peut-être les animaux omettent-ils de vous dire des choses pour en laisser aux éthologistes qui ont une autre méthode ou théorie…

Pierre LE NEINDRE

Je n’ai pas d’éléments factuels à vous présenter en la matière.

Jean LEBRUN

Il existe un danger sur cette pente que vous nous faites remonter, que vous nous faites suivre : l’anthropomorphisme. En effet, si l’on constate un très grand intérêt pour les animaux aujourd’hui, cela tient également à la représentation anthropomorphique à laquelle nous sommes habitués dès l’enfance avec les ours en peluche ou les personnages de Disney. Comment échappez-vous à l’anthropomorphisme ?

Pierre LE NEINDRE

D’un côté, il y a l’anthropomorphisme - ce que vivent les animaux, nous le ressentons -, de l’autre, il y a l’animal machine - les animaux ne ressentent rien. La solution que nous avons trouvée, qui peut paraître triviale, est de leur poser des questions. Il faut revenir vers l’animal et non pas faire des constructions a priori. C’est dans ces conditions que nous réussissons à comprendre les points communs entre l’homme et l’animal : les émotions, la souffrance, le plaisir, la recherche du plaisir. Tous ces éléments sont communs, mais peut-être pas au même niveau. Ils peuvent s’exprimer de manière différente.

Jean LEBRUN

Aux questions de l’humain, vous ne cherchez pas, par la bouche de l’animal qui ne parle pas, des réponses humaines. Mais diriez-vous que les animaux ont des représentations mentales ?

Pierre LE NEINDRE

Je réponds clairement par la positive. C’est la base de notre travail. Nous essayons d’exprimer les représentations mentales des animaux et de voir comment cela peut être important dans leur vie et leur façon de s’exprimer.

L’animal voit-il qu’il est dans un environnement ? Pendant longtemps, il a été dit que l’animal souffrait, sans aucune représentation de lui-même. Puis, une expérimentation qui a été conduite sur les singes a démontré le contraire. Un singe a été endormi dans la salle où il était habitué de vivre, où était placé un miroir. On lui a mis une petite tache de peinture sur le front. Lorsqu’il s’est réveillé, il s’est déplacé devant le miroir, l’a regardé et s’est demandé ce qu’il avait sur le front. Ainsi, le singe a une représentation de lui-même. C’est une hypothèse importante de travail.

Jean LEBRUN

Est-ce un travers des humains de ne pas pouvoir s’empêcher de construire des hiérarchies ? A l’époque médiévale, l’ours ou le cheval étaient perçus comme étant beaucoup plus proches de l’homme que le chien. Aujourd’hui, les possesseurs d’animaux domestiques considèrent le chien comme étant très proche de l’homme. Pouvez-vous nous empêcher de construire une hiérarchie, laquelle est toujours provisoire ?

Pierre LE NEINDRE

Nous nous posons actuellement cette question. On nous a demandé dans quelles conditions le primate pouvait être utilisé en laboratoire. Pourquoi ne nous a-t-on interrogé que sur les primates ? Qu’ont-ils de plus pour que nous soyons si attentionné à leur égard ? J’avoue que, pour le moment, nous n’avons pas de réponse pertinente. Je peux simplement dire que, parmi tous les animaux utilisés en laboratoire qui peuvent subir la souffrance, certains ont peut-être des capacités cognitives supérieures à d’autres, qui font que nous pourrions avoir une attention plus particulière vis-à-vis d’eux. Mais ce n’est pas parce que les primates font des mimiques et ont un faciès qui nous interpelle qu’ils doivent faire l’objet d’une attention plus particulière. Il faut essayer de comprendre pourquoi nous témoignons tant d’attention envers les primates.

Jean LEBRUN

Je prendrais l’exemple des pigeons. Les écologistes eux-mêmes ne les aiment pas beaucoup du fait des dégâts qu’ils causent dans les villes. Pour autant, au Mont Valérien, il existe un musée du pigeon voyageur. Vous pouvez y apprendre que les pigeons ont fait la guerre, ont été décorés, sont photographiés, honorés. En outre, il s’avère que l’élevage des pigeons voyageurs est parti de l’observation du comportement amoureux des pigeons, qui sont des exemples de fidélité. Pourtant, personne ne fait référence à la proximité de l’homme amoureux et du pigeon exprimant ses sentiments amoureux.

Pierre LE NEINDRE

Personnellement, j’aime beaucoup le lapin. En effet, le lapin est un tout. Vous l’aimez dans votre assiette. Les Anglais l’aime comme animal de compagnie. Il est un animal de laboratoire. Le lapin est un gibier emblématique. J’ai vécu longtemps en Australie où le lapin est un nuisible. Là-bas, tous les moyens sont employés pour le tuer. Ainsi, il existe des visions totalement différentes de la même espèce, suivant que vous êtes dans un environnement ou dans un autre. Les éthologistes essayent de dépasser cet a priori, de revenir à l’animal et de lui poser des questions.

Jean LEBRUN

Monsieur Marteau, dans l’Aube, vous élevez des animaux.

Didier MARTEAU

J’ai été éleveur de moutons pendant quinze ans. Ce fut mon premier métier. Je ne le suis plus, car j’ai pris d’autres responsabilités. Aujourd’hui encore, je tire souvent les enseignements de ce que j’ai vécu avec les animaux. L’animal réagit. Il a des instincts. Un jour, j’ai manqué me faire agresser. J’ai essayé de comprendre. J’en suis arrivé à la conclusion que l’animal agresse lorsqu’il a peur. J’ai donc tiré beaucoup d’enseignements à leur contact. Cela ne s’apprend pas ailleurs. Il faut être passionné pour être éleveur. Des sentiments sont partagés entre l’homme et l’animal. Par exemple, j’avais 700 brebis. En période d’agnelage, simplement par la manifestation extérieure, je savais quelle brebis allait agneler dans la journée, était malade ou avait un problème. Il y a véritablement des ressentis qui ne trompent pas.

Selon moi, les liens entre l’homme et l’animal sont nombreux. Je pense notamment à l’instinct maternel, l’instinct de défense ou encore l’instinct hiérarchique. Le lien entre l’éleveur et l’animal doit être très fort. J’ai eu, à trois reprises, la douloureuse mission d’aller annoncer à des éleveurs qu’il fallait abattre leur troupeau. Je vous assure qu’à l’annonce de l’abattage, ces éleveurs ont eu le même ressenti que pour la perte d’un être cher. L’éleveur partage un lien extrêmement fort avec ses animaux, matin, midi et soir. Lorsque les animaux sont montés dans le camion pour aller à l’abattage, je ne supportais pas qu’on les fasse souffrir.

Les éleveurs ont tout intérêt à ce que leurs animaux soient bien. Un animal qui se sent bien va mieux se développer, dans de meilleures conditions. Cela me paraît tellement évident. Cela étant, il est clair qu’il y a toujours des excès, des personnes qui travaillent mal, comme dans toutes les professions.

Jean LEBRUN

En introduction, le Professeur Parodi a parlé des porcs heureux. Pensez-vous que les éleveurs puissent être heureux si leurs porcs sont dans le mal-être ? Aujourd’hui, nous nous apercevons qu’il est de plus en plus difficile de recruter dans l’élevage industriel de porcs. Il est intéressant de savoir si l’éleveur est heureux de voir un animal se sentir bien.

Didier MARTEAU

Naturellement, un éleveur n’aime pas voir ses animaux souffrir. L’épisotie de la fièvre aphteuse a été une période très douloureuse, car il a malheureusement fallu abattre des troupeaux. Un animal qui a la fièvre aphteuse est un animal qui souffre. La sanction pour l’éleveur est très forte si un animal n’est pas bien. Par exemple, au lieu de faire deux agneaux, il ne va en faire qu’un.

Marc SAVEY

Je voudrais argumenter sur quelques points essentiels de cette table ronde, car j’ai entendu plusieurs confusions. Tout d’abord, j’aimerais revenir sur la notion d’animal. Du point de vue zoologique, l’homme est une seule et même espèce. En revanche, nous ne parlons pas d’un animal, mais de centaines d’espèces d’animaux. Toute généralisation est donc forcément caricaturale et produit de nombreux contresens. Le sujet de ces rencontres concerne uniquement les animaux de production, pour lesquels il y a historiquement deux usages. Certains sont consommés. D’autres sont des moteurs pour des charrues. Il ne faut pas oublier que ces deux tendances existent encore. Dans le Tiers-Monde, les animaux sont en premier lieu des sources de traction.

Dans cette hétérogénéité des animaux de production, lorsque l’on parle de bien-être, il me semble difficile de comparer des mammifères, comme des ruminants qui ont un contact quotidien proche avec les éleveurs, avec des poissons ou d’autres animaux élevés hors sol comme les porcs ou les volailles.

Dans cette diversité d’espèces, il ne faut pas oublier la diversité d’entretien. En particulier, l’élevage est très culturel. Au 10ème siècle avant Jésus-Christ, c’est-à-dire au début de l’élevage, le rapport naturel entre l’homme et de l’animal était la chasse. Ces rapports sont aujourd’hui extrêmement divers. Par conséquent, nous ne devons pas simplifier le débat, notamment la notion de bien-être dans laquelle des critères objectifs de comportement doivent également être pris en compte.

Jean LEBRUN

Monsieur Le Neindre, du point de vue de l’éthologie, cette distinction entre les animaux d’élevage et de production et les autres animaux a-t-elle un sens scientifique pour vous ? De fait, la demande des consommateurs est variable selon l’époque ou l’aire géographique. Ce qui est ici un animal de production ne l’est pas à un autre moment, ailleurs. Je pense notamment au taureau que l’on mange après les corridas. Il est également un animal de production reconnu par tous, depuis longtemps.

Pierre LE NEINDRE

J’ai donné l’exemple du lapin, car son utilité est multiple. Je suis tout à fait d’accord avec Monsieur Savey lorsqu’il affirme qu’il y a de multiples espèces et que chacune d’entre elles a sa propre vie. Elles vivent chacune de manière différente. Il est insuffisant de s’arrêter simplement au niveau de la santé. Pour essayer de cerner cette notion complexe de bien-être animal, je vais prendre une définition de la santé. La santé, c’est le bien-être physique, psychologique et social, et pas seulement l’absence de maladies ou de mutilations. Cette définition semble également convenir à l’animal. En fait, il s’agit de celle de l’Organisation Mondiale pour la Santé pour l’homme. Nous savons tous combien il est déjà difficile de traiter ce sujet en tant que tel pour l’homme. En effet, au-delà de la santé physique, nous avons du mal à définir la santé psychologique et sociale. Personnellement, je pense que, du fait que les animaux sont sous la contrainte de l’homme et qu’ils n’ont pas le choix, nous devons au moins avoir un regard sur les autres composantes. Alors que l’homme a son propre choix, au moins en partie, l’animal ne l’a pas. Par conséquent, nous devons mettre ses autres composantes en valeur.

Marc SAVEY

Je suis tout à fait d’accord.

Alain LIPIETZ

Nous sommes là au cœur des problèmes de l’écologie et de l’économie. Ceux-ci doivent être posés dès lors que l’on élève des animaux, donc depuis le néolithique et la naissance des cités et de la politique. Je voudrais insister sur le fait que ces problèmes ne sont pas nouveaux et s’aggravent avec le temps. De siècle en siècle, c’est de pire en pire. La contradiction entre le point de vue strictement économique - " mesure de la mise en valeur de notre domaine" - et le point de vue écologique - "sens donné à cette mise en valeur" - est patente.

Nous avons parlé de la tradition chrétienne. Plus tôt encore, a eu lieu le vrai "bornage" du problème. C’est en fait avec le penseur grec Aristote qu’au IVème siècle avant Jésus-Christ une hiérarchie fut instituée entre les Hommes et les "choses" de leur " domaine ". En premier, il y avait les hommes, c’est-à-dire les Athéniens, en dessous les métèques (autres hommes "barbares" d’Athènes), puis les femmes, puis les instruments vivants qui parlent (les esclaves), les instruments vivants qui n’ont pas de voix (les animaux) et enfin les instruments inertes. Tout est parti de cette classification.

A partir de cette vision instrumentale, deux axes se sont développés.

Selon l’axe du pire, certains cherchent à pousser cette vision instrumentale à son maximum. Dès lors que les animaux ne sont que des instruments, il faut les traiter comme des choses à utiliser de manière de plus en plus efficace. Cela va jusqu’à l’élevage en batterie. Nous évoquions tout à l’heure les formes "médiévales" de traitement des animaux. Je ne suis pas d’accord, car jamais nous n’avons connu d’équivalent à ce que nous connaissons aujourd’hui dans les élevages en batterie, dans la férocité d’utiliser l’animal comme un simple morceau de bois ou de gravat. Les animaux étaient plus respectés au Moyen Age que maintenant ! Cet axe peut également être appliqué aux êtres humains, qui ont été taylorisés et réduits à reproduire un geste élémentaire pour un salaire de misère. Je pense notamment au travail des enfants du Tiers-Monde, qui n’est autre que le prolongement de l’instrumentalisation au dela de l’élevage en batterie et jusqu’à des humains considérés comme sans droit.

A l’inverse et dans le même temps, selon un autre axe, progressisste, d’autres ont fait monter progressivement des éléments de la hiérarchie au même niveau de noblesse que l’homme Athénien. C’est ainsi que l’on a affirmé que les métèques, les femmes ou les esclaves avaient peut-être une âme, que les animaux avaient peut-être leur propre perception… On en viendra même à affirmer qu’un assemblage inerte, comme un grand bassin fluvial par exemple ou la Terre ("Gea"), est un système ouvert qui doit être respecté comme un être vivant.

Il est très important de bien comprendre que ces deux points de vue sont totalement contradictoires, mais ont été développés simultanément. J’aimerais insister sur le fait qu’une solution qui n’a jamais marché : l’idée qu’il y aurait une limite éthique absolue et reconnue, c’est-à-dire l’éminente dignité pour les humains, et l’instrumentalité pour les non-humains. Cela n’a jamais existé. Au 17ème siècle, certains affirmaient qu’il y avait une éminente dignité humaine. Les animaux ne pouvaient pas donc être traités sur le même plan que les êtres humains. Mais même, à l’époque de Malebranche, nombreux étaient ceux qui niaient que les noirs ou les femmes aient une âme. A la Révolution française, il ne fut pas question des Droits de la Femme, mais des Droits de l’Homme. Dans la hiérarchie d’Aristote, la limite n’est jamais vraiment posée entre les humains et le reste. Traiter les animaux en purs instruments, c’est toujours accepter de traiter certains humains en instruments.

Jean LEBRUN

Vos propos me font penser à une anecdote. Une dame promène son chien dans un endroit interdit aux animaux. Le gardien antillais lui en fait la remarque. La dame lui répond alors : " Monsieur, mon chien est plus français que vous ".. Il est donc très difficile de définir une frontière.

Alain LIPIETZ

Ce débat n’est pas simple. Reprenons l’exemple d’un œuf pondu par une poule heureuse. C’est un cas limite plus intéressant que celui de la viande bovine. Monsieur Marteau a affirmé que la sanction était toujours immédiate pour l’éleveur, si un animal n’était pas dans le bien-être. Concernant la viande bovine, il est très probable que, mieux le bœuf est traité, meilleure sera la viande. Intuitivement, chacun pensera que la viande d’animaux élevés en Patagonie, dans la pampa, est meilleure que celle d’animaux élevés en batterie Le consommateur a tout intérêt à ce que l’animal soit le plus heureux possible. Pour l’œuf, je n’en suis pas persuadé, mais je me trompe peut-être. Nous pouvons avoir des doutes sur le fait qu’un œuf soit meilleur lorsqu’il a été pondu par une poule heureuse que lorsqu’il a été pondu par une poule malheureuse. C’est là que se pose la question écologique, voire éthique : même si "économiquement" les oeufs de poules malheureuses sont aussi bons et moins chers, avons-nous le droit d’être indifférent au sort de la poule ? Les consommateurs sont-ils indifférents à la manière dont est produite une chaussure Nike par un enfant de Thaïlande ? Au temps des camps de concentration, les Allemands pouvaient-ils être intéressés par l’idée de la production d’un vêtement par un juif heureux ?

Jean LEBRUN

Pour cette première table ronde, je ne crois pas qu’il faille placer le débat par rapport à la demande du consommateur. Nous y reviendrons dans la deuxième partie de notre discussion. Au 20ème siècle, la représentation de l’animal a été transformé par l’explosion de l’urbanité. La ruralité est aujourd’hui englobée dans l’urbanité. Nous ne savons plus distinguer les cris des oiseaux ou les noms des arbres. Aux yeux des citadins, le rural paraît cruel. L’urbanité demande une régulation particulièrement importante. D’autres facteurs sont également propres au 20ème siècle, comme la montée de la sensibilité féminine, la plus grande place de la femme dans la société, les nouveaux courants religieux avec la tradition de la réincarnation. Le fait qu’il y ait autant de Français qui croient en la réincarnation modifie certainement la représentation des animaux.

Alain LIPIETZ

Vous avez précédemment affirmé qu’il existait une hiérarchie entre les différents types d’animaux. Je suis tout à fait d’accord avec cette idée, mais cette hiérarchie est aussi déterminée du côté des êtres humains, y compris les ruraux. Le cheval était " la plus noble conquête de l’homme " parce que les hommes (masculins) conduisaient généralement les chevaux. Je pense que le problème de la relation des hommes avec les animaux est fondamentalement sexué. L’idée que les poulets n’ont pas d’âme, à l’inverse des chevaux qui en auraient une, est une idée typiquement masculine. Pour en avoir longtemps discuté avec mes amis de la Confédération Paysanne, la tendance à avoir un poulailler industriel d’une part et le petit poulailler personnel que l’on se garde pour manger de bons poulets d’autre part est également une illustration de la division sexuelle du travail à l’intérieur de la ferme. Le travail avec les " vrais poulets ", avec lesquels on peut parler, à qui on donne un nom (" ma cocotte "), est à la charge de la femme ; le travail avec les poulets industriels est plutôt masculin. Comme seules les femmes parlent aux poulets, les hommes ont tendances à dévaloriser les poules. Ainsi, il faut interroger également du point de vue de celui qui observe, même si je pense que les poules sont " objectivement plus bêtes " que les chevaux.

Jean LEBRUN

Une autre caractéristique du 20ème siècle est la multiplication des victimes et la recherche de l’image qui peut en être tirée. Je ne voudrais pas faire de parallèles trop rapides, mais les Juifs, qui furent les grandes victimes du 20ème siècle, sont observés par d’autres qui se disent victimes à leur place. Je pense notamment aux Palestiniens aujourd’hui. Ainsi, je me demande si nous n’assistons pas actuellement à une représentation de l’animal comme une victime, dans la grande chaîne des victimes du 20ème siècle. Je pense aux réflexions qui ont eu lieu au sujet de " l’holocauste " des vaches et des moutons (bûchers des victimes).

Jean-Pierre KIEFFER

C’est votre question. Ce ne sera pas ma réponse… Après cette longue introduction philosophique et historique très intéressante, nous pourrions peut-être poser nos souliers vernis, chausser nos bottes et entrer dans les étables. J’aimerais entrer dans le vif du sujet qui nous réunit aujourd’hui. Toutes vos considérations sont passionnantes et riches, mais Monsieur Belais, représentant de la SPA, et moi-même avons envie de parler de la santé et du bien-être des animaux. En tant que professionnel de la santé et militant du bien-être animal, j’ai envie de chausser mes bottes et de rentrer dans l’étable.

Serge BELAIS

Je suis président de la SPA depuis un an et demi. Je veux faire évoluer l’image de la SPA, organisme souvent considéré comme étant contre tout. Cela étant dit, en mon nom personnel et au nom de la SPA, je ne veux pas faire de corrélation entre l’Holocauste et les bûchers d’animaux victimes de l’ESB ou de la fièvre aphteuse. Cette idée me choque.

Comme le disait Monsieur Kieffer, je souhaite également revenir sur le sujet précis qui nous réunit. Un des multiples combats de la SPA, en dehors de la défense de l’animal de compagnie, est la défense de l’animal de rente. En défendant les animaux d’élevage, la SPA a conscience qu’elle défend aussi les consommateurs. J’ai bien entendu le discours de Monsieur Marteau concernant les éleveurs qui ressentent une grande affection vis-à-vis de leurs troupeaux. Il existe tout de même des éleveurs qui recherche une grande rentabilité économique. Nous ne pouvons pas la nier. Cette notion fait partie intégrante du comportement de certains éleveurs.

Je tiens enfin à souligner le deuxième combat de la SPA vis-à-vis des animaux d’élevage : la défense de l’environnement. J’aimerais donc que notre débat se réoriente sur la protection animale et sur les conditions de vie des animaux d’élevage. Nous avons certainement des préconisations à faire en la matière.

Jean LEBRUN

Vous êtes le représentant d’une société antique, la SPA, créée en 1845. Pendant un temps, la SPA fut cantonnée à l’animal domestique. Vous vous intéressez aujourd’hui aux animaux de rente. N’avez-vous pas le sentiment que notre représentation de l’animal de rente vient du fait que nous avons beaucoup d’animaux domestiques en France ?

Marc SAVEY

Vous voulez sans doute parler des animaux de compagnie, qui sont des animaux domestiques au même titre que les animaux de rente. Il ne faut pas confondre les animaux domestiques et les animaux de compagnie.

Serge BELAIS

Le combat de la SPA n’a justement pas commencé avec les animaux de compagnie, mais avec le cheval. La SPA mène un combat pour les animaux de compagnie, pour les animaux d’élevage - sujet de notre débat - et la faune sauvage française, c’est-à-dire la défense de l’environnement.

Jean LEBRUN

La SPA a mené un combat pour le cheval, puis pour le chien, pour revenir ensuite au cheval. Cela ne donne-t-il pas une représentation du cheval dépendante de la représentation du chien ?

Serge BELAIS

Non. Le combat de la SPA n’est pas passé du cheval au chien, pour revenir au cheval. La SPA s’est toujours battue pour défendre simultanément les chevaux, les chiens, les animaux d’élevage et la faune sauvage. La SPA n’a jamais eu une priorité, mais s’est toujours engagée dans des combats multiples.

Jean LEBRUN

Je vais maintenant donner la parole à Monsieur Fairise, représentant du Ministère de l’Agriculture.

Nicolas FAIRISE

Je vous remercie de me donner la parole. Le débat est d’une haute volée, mais j’ai peur qu’il se fourvoie parfois. Je m’inscris totalement dans la lignée des propos de Messieurs Kieffer et Belais. Il faudrait sortir des considérations philosophiques qui sont très intéressantes, mais qui demanderaient d’y consacrer une journée. Je pense également qu’il faut faire attention aux termes employés. Monsieur Savey a réagi vivement par rapport à la confusion entre les animaux de compagnie et les animaux domestiques. En effet, les animaux de compagnie et les animaux de rente sont des animaux domestiques.

Pour en revenir à l’introduction de ce débat, j’émettrais quelques réserves aux propos de Monsieur Le Neindre, même si je partage un certain nombre de ses conceptions. Des termes comme " bonheur " ou " mensonge " doivent être employés avec beaucoup de précaution, car ce sont des conceptions éminemment humaines d’ordre philosophique. Je préfère parler de bien-être lorsqu’il est question de l’animal. Je comprends ce que Monsieur Le Neindre a voulu dire. Les termes " bonheur " ou " mensonge " sont des mots simples, facilement compréhensibles qui ont le mérite de bien faire passer un message. Mais ils ont aussi le tort " d’anthropoïser " les considérations et les conceptions que nous pouvons avoir par rapport à l’animal.

Par ailleurs, la dichotomie entre l’animal de rente et l’animal de compagnie me semble parfois obsolète. Certes, il reste encore beaucoup à faire pour les animaux de rente, les élevages ayant considérablement instrumentalisé l’animal. Je ne suis pas sûr que tous les éleveurs soient aussi respectueux de leurs animaux que Monsieur Marteau tend à le dire. De même, certains agissements sont faits vis-à-vis des animaux de compagnie, qui ne devraient pas l’être. Je tiens à le dire, même si cela est un peu en dehors de notre débat. D’aucun se soucie assez peu de connaître le bien-être optimal des animaux de compagnie, de savoir par exemple si un chien Husky est à sa place dans un appartement à Paris. Je citerai également l’émergence de nouveaux animaux de compagnie qui ne sont pas domestiques et qui sont extraits de leur environnement sauvage pour être mis dans des appartements.

Le citadin a réellement besoin d’être mieux informé et de connaître ce qui se passe dans les campagnes. A ce titre, je pense également qu’il est bon que nous chaussions nos bottes pour parler concrètement de ce qui se passe en élevage.

Jean-Pierre KIEFFER

A la lecture du titre de notre débat qui évoque la " santé " et le " bien-être " des animaux, je me suis interrogé sur ces deux termes dans le but de bien les comprendre. Dans " bien-être ", il y a " bien " et " être ". Longtemps, le bien-être de l’animal a été cantonné à l’être, c’est-à-dire à l’existence voire la survie. Dans l’élevage moderne, nous avons parfois créé des conditions d’habitat, d’alimentation ou d’éclairage qui permettent à l’animal de survivre, de produire et de se développer. Mais cet animal est-il dans de " bonnes " conditions ? C’est ce sur quoi nous devons porter nos efforts. J’ai été ravi d’entendre le représentant de la FNSEA rappeler combien les éleveurs étaient proches de leurs animaux et combien ils ont pu souffrir de les voir brûler sur des bûcher. Malheureusement, l’élevage ne donne pas toujours la possibilité aux éleveurs d’être proches de leurs animaux.

Certes, des études contradictoires ont été faites. Je me souviens que Monsieur Savey et moi-même avons assisté à un colloque sur le bien-être des veaux. Nous avons entendu des experts se battre avec des chiffres pour démontrer que l’anémie du veau ne le faisait pas souffrir. Le législateur européen a quand même tenu compte des remarques formulées par les représentants de la condition animale. Il ne faut pas que l’animal survive, il faut qu’il soit heureux. Il faut une véritable prise en compte du bien-être animal. C’est ce que tente de faire l’Oeuvre d’Assistance aux Bêtes d’Abattoirs. J’aimerais rappeler qu’il y a 41 ans, une personne a créé cette extraordinaire association, avec de nombreux vétérinaires. Elle a été la première a vraiment s’occuper en France des problèmes de ces animaux d’abattoirs qui étaient délaissés. Depuis, les conditions de transport et d’abattage ont beaucoup évolué.

Jean LEBRUN

Avant de passer à la deuxième partie de notre débat sur la réglementation et sur le rôle des associations en la matière, je vais laisser la parole à la salle.

Héléna FANARTZIS, Groupe de Réflexion et d’Action Animale Libération

Je suis membre du GRAAL et Conseillère Municipale de Maisons-Alfort. Je voudrais revenir sur les propos de Madame Luc. Je tiens à la remercier infiniment de l’émotion et de la souffrance qu’elle a laissé percevoir à propos des poules ou des vaches enfermées. En politique, il est important que des élus laissent percevoir et expriment leurs émotions. C’est à partir de telles révoltes que nous pourrons changer les choses. J’aimerais également remercier Monsieur Lipietz. Il a insisté sur le fait que les conditions de vie des animaux d’élevage s’aggravent de jour en jour et de siècle en siècle. En matière de protection animale au sens large (animaux de production et animaux domestiques), les choses s’aggravent. Même s’il est moins difficile de défendre les animaux aujourd’hui qu’il y a vingt ans du fait d’améliorations notables (cf. méthodes d’euthanasie, de fourrières…), l’aggravation est visible en termes de chiffres. Nous assistons à une augmentation considérable du nombre d’animaux. Monsieur Belais pourrait nous citer les chiffres de l’euthanasie des animaux de compagnie par an. J’ai pu voir des rapports annuels de sociétés de protection anglo-saxonnes, où figurent non seulement un chiffrage global du nombre d’euthanasies pour les chiens et chats, mais également une ventilation par race, ce dont nous ne disposons pas en France. Je pense qu’il est important, à un moment donné, de faire la somme des chiffres, afin de pouvoir commencer à travailler sérieusement.

Pour ce qui est des animaux de rente ou de production, l’opinion publique a ressenti une très forte émotion au regard de ces bûchers qui ont été comparés, à juste titre ou à tort selon les sensibilités, à des faits passés. A ce propos, je tiens à insister sur la révolution silencieuse en cours : la révolution végétarienne. Sur les affiches du Salon de l’Agriculture, vous avez pu voir fleurir de petits post-it collés sur le front des bœufs stipulant " ne mangez plus d’animaux ". Les agriculteurs doivent prendre cette révolution en compte. En effet, nous serons confrontés à une impossibilité d’évolution s’il n’y a pas un dialogue entre toutes les parties prenantes de la société.

J’en reviens au sujet qui nous réunit aujourd’hui. J’attends de cette rencontre que vous apportiez des solutions concrètes. En tant que citoyenne française, citoyenne européenne et citoyenne du monde, je ne supporte plus ce que les animaux subissent. J’aimerais d’ailleurs vous rappeler des propos du Mahatma Gandhi : " La façon dont les nations s’occupent des animaux reflètent avec exactitude leur grandeur et leur hauteur morale ". C’est dire si nous sommes tombés très bas, même si nous avons une apparence de solution réglementaire à considérer que l’agriculture productiviste est en soi une maltraitance et que l’euthanasie de convenance lié à un mode de consommation à outrance est inacceptable. La solution réside dans le slogan : " produisons avec une agriculture durable ".

Serge BELAIS

J’ai bien entendu votre demande concernant les animaux de compagnie. Dans sa volonté de clarté et de transparence, la SPA communiquera les chiffres ad hoc. Son souhait est d’être en partenariat avec tous les acteurs concernés, de faire avancer les sujets et de participer à des tables rondes comme celle-ci pour défendre la cause animale.

Jacques MARET

Des mises en cause sont faites, notamment par rapport au foie gras, mais je ne vais pas en parler car cela fera certainement l’objet de la deuxième partie de cette table ronde. Nous n’avons pas entendu parler de l’utilisation rationnelle économique. Lorsque vous avez abordé la condition des animaux domestiques de rente, le débat était de haute volée. Mais nous savons depuis des années qu’il y a une continuité depuis les animaux jusqu’à l’homme en passant par les poissons coralliens qui sont des poissons sociaux. De même, les vaches et les moutons ont un comportement social. Par exemple, chez moi, j’ai un taureau jaloux. Le comportement social de ces animaux est bien réel.

Les conditions d’élevage hors sol ne déteignent pas uniquement sur les conditions de vie de l’animal, mais également sur la santé de l’homme. La mutualité sociale des Côtes d’Armor a réalisé des statistiques. Il s’avère que 80 % des éleveurs en hors sol sont insuffisants respiratoires à partir de 45 ans. Je vous laisse donc imaginer l’état de stress pulmonaire des animaux qui passent leur vie entière dans ces systèmes hors sol.

L’intérêt qui commence à poindre est l’intérêt comptable. C’est ainsi que nous avancerons. Il faut savoir que, dans un élevage en batterie de poules, la rentabilité se joue à un œuf par an et par poule pour qu’un éleveur puisse vivre. A peine 1 % de la production provoque le fonctionnement économique ou l’arrêt de la production tout entière. Il en est de même pour les porcs. Au lieu de faire 23 porcelets par an, il faut maintenant en faire 25. Puis il faudra en faire 26. Quand s’arrêtera-t-on ? Cela ne pourra pas continuer éternellement, car le revenu de l’éleveur est en cause. L’aspect économique et le respect de l’homme et de l’animal sont deux considérations semblables.

Robert MORAILLON

L’agriculture et l’élevage productiviste entraînent un certain mal-être pour les animaux. Tout le monde en convient. Mais il faut aussi se replacer dans une perspective historique. Il y a un siècle, la population française s’élevait à 8 millions d’habitants en France. Les animaux étaient en élevage extensif et étaient parfaitement heureux. Aujourd’hui, 60 millions d’habitants sont tout de même nourris correctement. Cela a peut-être des conséquences, mais il me semble que nous ne devons pas oublier l’histoire. L’élevage intensif n’a pas été mis en place uniquement pour le profit des éleveurs, mais également pour répondre à la nécessité de nourrir à des prix abordables une population de plus en plus nombreuse.

 II. Le respect du bien-être animal et les impératifs économiques

Jean LEBRUN

Vous avez parfaitement introduit la seconde partie de notre table ronde : le respect du bien-être animal est-il conciliable avec les impératifs de l’économie ? Monsieur Marteau, en tant qu’agriculteur, on vous a demandé de produire beaucoup pour répondre aux besoins des consommateurs. Aujourd’hui, on vous tient un autre discours.

Didier MARTEAU

Dans les années 50, il fallait effectivement remplir les assiettes et nourrir le monde. Aujourd’hui, il y a encore une très grande partie de la planète qui ne mange pas à sa faim. Nous ne pouvons pas en faire abstraction. Il est facile de critiquer lorsque l’on a tout ce qu’il faut, avec un choix extrêmement large, depuis les produits biologiques jusqu’aux produits à bas prix.

Pourquoi sommes-nous obligés d’avoir une telle intensification sur un nombre de productions ? La réponse est simple : il y a encore une grande incohérence entre le citoyen qui souhaite que l’animal soit respecté et que la qualité soit meilleure, et le consommateur qui recherche souvent un prix attractif.

Je vais vous citer mon exemple personnel. Je suis producteur fermier d’un cidre de qualité. Mon marché ne se développe pas autant que je le souhaiterais. Je produis 20 000 bouteilles par an. J’aimerais en produire 60 000, mais le marché ne suivrait pas. Le concurrent direct de mon produit est le produit industriel qui est vendu à moitié de mon prix. Ainsi, il existe un marché auquel les agriculteurs et les éleveurs sont obligés de répondre. S’ils n’y répondaient pas, dès lors qu’il n’y a pas d’harmonisation de la réglementation, ils se feraient prendre ce marché. Par exemple, nous venons de perdre 15 % de la production apicole bretonne qui est partie au Brésil. En effet, dans ce pays, l’alimentation est moins chère. Les contraintes sociales et environnementales sont également moindres. Cet enjeu est majeur pour l’avenir de notre agriculture. Je vous alerte sur la nécessité d’une harmonisation de la réglementation au niveau européen et au niveau mondial.

Jean LEBRUN

Une personne dans la salle a évoqué la révolution végétarienne. D’autres évolutions sensibles ont eu lieu quant à la demande des consommateurs. Cependant, il ne faut pas en avoir une représentation unanime. La demande est segmentée.

Didier MARTEAU

Tout à fait, et cela est heureux. La diversité des produits fait la force de la France. J’en reviens aux produits biologiques qui répondent à une demande. Malheureusement, nous risquons actuellement d’avoir trop de laits biologiques. La conséquence pourrait en être l’effondrement de ce marché. Les producteurs de produits biologiques risquent d’en pâtir profondément. Pour ma part, je suis tout à fait favorable aux produits biologiques, mais s’il y a trop de laits biologiques, le marché risque de s’effondrer.

Je ne peux pas laisser dire que nous n’avons pas fait de progrès au niveau de l’alimentation et de la gestion, même en production céréalière. A l’heure actuelle, je produis près du double de céréales, alors que j’ai fait des progrès autrement plus importants en termes environnementaux ou écologiques. Aujourd’hui, j’alimente mes plantes, je les soigne. Je n’ai plus du tout la même approche qu’autrefois. Pourtant, ma production a augmenté. Ce n’est pas parce que nous produisons plus que nous sommes systématiquement d’affreux pollueurs. Il en est de même pour l’élevage. Si la qualité de l’alimentation, le soin et la santé de l’animal sont bien gérés, le bien-être de l’animal ne sera pas vain. Il faut arrêter avec les images stéréotypées de bons et de mauvais éleveurs ou agriculteurs.

Jean LEBRUN

Vous retracez trente ans d’évolution historique globalement positive, qui se sont inscrits dans la politique agricole commune (PAC). Il faut donc tenir compte des tenants et des aboutissants de cette politique, à l’heure où l’on s’interroge sur sa réforme. Au début de la PAC, le Ministre de l’Agriculture disait que si le consommateur voulait des pommes carrées, il fallait produire des pommes carrées. Il faut donc se méfier de la demande des consommateurs.

Didier MARTEAU

C’est le danger. Nous sommes obligés de répondre à une contrainte économique. Je voudrais pouvoir produire comme je l’entends, mais la sanction du marché serait immédiate. Même pour l’élevage en batterie, le problème se pose en termes de quantité d’aliments. Si nous ne répondons à ces normes, le marché partira au Brésil. C’est la tendance actuelle. Il y a vingt, je vendais mon blé 120 francs le quintal. Aujourd’hui, soit je le vends à 60 francs, soit je ne peux plus le vendre. La logique est aux prix bas et à l’ouverture des marchés. Je m’adresse aux responsables politiques : si nous ne protégeons pas notre marché, nos agriculteurs ne pourront pas survivre à cette logique.

Jean LEBRUN

La PAC était une politique des prix qui devait modérer les surproductions. Aujourd’hui, il est question de la transformer dans la perspective d’une agriculture durable. Cela va certainement avoir des conséquences sur l’élevage.

Didier MARTEAU

Pour moi, les agriculteurs ont à l’esprit de faire durer l’agriculture. Tous les agriculteurs travaillent nécessairement dans la durée. Lorsque j’étais à l’école, je me voyais comme un père qui allait transmettre son savoir à ses enfants. Pour le reste, il ne s’agit que de technique. Celle-ci a heureusement évolué. La différence est importante entre ce que j’ai appris à l’école et ce que je pratique aujourd’hui. Je suis fier de cette évolution, même si des erreurs sont encore commises. Nous avons fait des progrès extraordinaires tant en matière végétale qu’en matière animale. Il est vrai que nous souhaitons qu’il y ait plus de primes. Or les propos entendus dans les grandes négociations actuelles tendent vers plus de libéralisme. Cela met en péril l’agriculture française, caractérisée par sa diversité. En ce qui concerne le mouton, la France ne peut pas être compétitive avec l’Australie qui n’a pas les mêmes contraintes. En matière d’élevage hors sol, nous avons des contraintes de plus en plus fortes. J’insiste sur l’importance d’une harmonisation.

Nicolas FAIRISE

Je suis d’accord avec la fin de l’intervention de Monsieur Marteau concernant le risque de distorsion de concurrence sur le marché international. La PAC, qui est aujourd’hui décriée, a tout de même permis de remonter une pente et de nourrir les populations pour un coût relativement faible. Au début de ce débat, Monsieur Le Neindre a d’ailleurs affirmé qu’il y avait un hiatus sensible entre les déclarations de bonnes intentions des citoyens et ce qui était réellement payé par les consommateurs. Ce n’est pas une spécificité française. Le sens de l’économie peut également être constaté dans d’autres pays. Je pense notamment aux pays du nord qui apparaissent comme de grands défenseurs de la cause des animaux de production, dans lesquels la ménagère regarde d’abord son portefeuille et se pose ensuite des questions d’éthique.

Si l’on considère que le bien-être des animaux intègre leur santé, position généralement adoptée au niveau de la France dans les négociations internationales, il y a eu une amélioration très sensible du sanitaire. Nous ne pouvons pas toujours laisser dire que la situation était bien mieux avant et que les poules et les cochons de nos grands-mères étaient bien meilleurs. Il s’agit plutôt d’une dimension nostalgique, quelque peu irrationnelle. Je ne tiens pas à mentionner l’instrumentalisation à l’extrême qui peut être constatée dans certaines filières de production, mais il faut garder ce phénomène à l’esprit.

Par ailleurs, je rappelle que le débat de ce jour est un débat de pays riche. Puisque nous sommes citoyens du monde, il ne faut pas oublier que des pays ne peuvent pas tenir ces débats. Ils ne produisent pas de la même manière et enverront leurs produits massivement en Europe si le débat n’est pas clairement abordé par l’OMC. Le risque existe de mettre à mal les filières européennes.

Jean LEBRUN

Le débat sur la PAC doit effectivement être englobé dans des débats plus internationaux. Mais je vous propose de continuer à aborder la PAC au niveau européen.

Serge BELAIS

Au niveau européen, nous constatons un réel problème économique concernant le bien-être des animaux. La filière bovine souffre d’une chute des cours à cause d’une surproduction. Cependant, malgré toutes les alertes sérieuses quant aux difficultés des différentes filières, l’élevage industriel reste le mode de production dominant en France. Au regard des plus grands élevages, l’orientation vers une hyper productivité est flagrante.

J’aimerais revenir sur les propositions de Monsieur Glavany concernant l’étiquetage du mode d’élevage. Nous pensons que cela constituerait un grand progrès pour la cause que nous défendons. Cela permettrait un choix plus éclairé de la part des consommateurs. Pour en finir avec la PAC, si les clés du bien-être des animaux doivent nécessiter des subventions nationales ou européennes, cela ne choque pas la SPA. Mais depuis des années, la PAC va à l’encontre du bien-être des animaux et coûte des millions de francs aux contribuables. Ces sommes devraient plutôt revenir aux éleveurs qui veulent améliorer le bien-être des animaux et ainsi la qualité de la viande.

Marc SAVEY

Il existe en Europe une délicieuse production : le veau de boucherie. Vous vous souvenez tous que le veau de boucherie a été marqué par un certain nombre de scandales et de trafics. Il se trouve que cette production était l’exemple même de la production intensive, dans laquelle ces pauvres veaux n’étaient pas dans des conditions de bien-être et ne pouvaient pas développer des comportements. Grâce à une cohérence entre la France et l’Europe, entre ce que voulaient les défenseurs du bien-être animal et les consommateurs, nous avons aujourd’hui une production de veaux de boucherie saine, dans des conditions de bien-être qui ont sensiblement progressé. En affirmant cela, je voudrais prouver qu’en étant cohérent sur les critères économiques, réglementaires et sociaux, nous pouvons progresser. Mais si vous voulez à la fois faire progresser le bien-être de la poule pondeuse par exemple et exposer ces produits à la concurrence mondiale, la régulation se fera toujours par le bas, c’est-à-dire par le minimum de bien-être pour l’animal et le minimum de sécurité sanitaire pour les consommateurs. Il faut donc revenir à un peu plus de cohérence.

Hélène LUC

Cette question du veau de lait me préoccupe beaucoup. J’ai vu élever des veaux de lait en Corrèze. On ne leur fait boire que du lait. On les enferme dans une étable. On les empêche d’aller brouter, alors qu’il y a des herbes en friche.

Marc SAVEY

Cela fait partie d’une tradition multicellulaire. Il existe différents types de veaux en France. Cela répond à une demande du consommateur.

Didier MARTEAU

Le consommateur apprécie le veau de lait pour sa viande blanche.

Hélène LUC

Faut-il vraiment répondre à ce critère de viande blanche plutôt qu’au critère de goût ?…

Alain LIPIETZ

En ce qui concerne la PAC, nous avons distingué, tout à l’heure, deux cas. Soit l’intérêt du consommateur est en ligne avec l’intérêt de l’éleveur et l’intérêt de l’animal, soit chacun a ses propres intérêts. Personnellement, je pense que, si l’on impose de bien traiter les bovins, il ne faut pas ensuite être contre l’importation de bœufs argentins qui vivent heureux dans la pampa. Or aujourd’hui, l’Europe qui inonde le monde de produits agricoles subventionnés et exige le libre accès pour ses services, élève des obstacles au libre-échange dans le cas des productions agricoles du Tiers-Monde, même lorsque l’Argentine s’effondre et a besoin d’exporter, pour éviter que ses populations meurent de faim. Alors que tout le monde aurait intérêt à importer de la viande argentine du point de vue du goût, du point de vue du bien-être animal, pour faire survivre ce pays, nous lui fermons la porte.

Marc SAVEY

Les échanges avec l’Argentine sont réouverts.

Alain LIPIETZ

Je m’en réjouis. Nous ne pouvons effectivement pas refuser l’arrivée d’une viande provenant d’un animal qui a pu gambader dans la pampa…

Marc SAVEY

L’importation de viande argentine a été refusée à cause d’une épisotie de fièvre aphteuse, sur laquelle des règlements internationaux s’appliquent.

Alain LIPIETZ

Non. Je m’occupe de la PAC. Je sais très bien que ce n’est pas uniquement au nom de la fièvre aphteuse que la viande argentine a été interdite d’importation. Elle a été contingentée pour des raisons strictement économiques de protection de l’éleveur français.

Mais, j’aimerais en revenir aux poules. Actuellement, selon la norme européenne, elles disposent de 450 centimètres carrés chacune pour vivre. Cela va certainement être amélioré. En 1987, le Parlement européen a voté pour en finir avec ce scandale. En 1999, il a été décidé de faire avancer la directive qui ne sera pourtant appliquée qu’en 2012, date à laquelle la poule pondeuse en batterie sera " libérée " de ses 450 centimètres carrés (trois quart de feuille A4).

Dans le cas présent, nous ne pouvons pas affirmer que la meilleure qualité du produit (l’œuf de poule heureuse) suffira à garantir sa compétitivité. La seule solution réside donc dans l’harmonisation des règles. La question est de savoir à quel niveau. Autant nous pouvons harmoniser les façons de produire à l’intérieur de l’Europe, autant nous sommes coincés par les règles de l’OMC. Les règles de l’OMC considèrent qu’un œuf est un œuf, quelle que soit la manière dont l’œuf est produit, son " procédé de production ". Dans la définition d’un produit, l’OMC ne reconnaît pas la manière de le produire. C’est vrai pour tous les produits (thon, veau…). En France, grâce à l’étiquetage, nous pouvons distinguer une poule qui gambade d’une poule qui ne gambade pas. Ce n’est pas le cas pour l’OMC.

Nous avons donc une très grande bataille à mener à ce sujet. Si nous nous battons pour le bien-être animal pour des raisons éthiques, nous devrons remettre en cause les règles de l’OMC. Il faut pouvoir dire que la manière de produire contribue à la définition même du produit et que l’Europe a donc le droit d’interdire le veau aux hormones et les poules qui ont moins de 450 centimètres carrés pour vivre (comme aux Etats-Unis où elles ne disposent que de 350 centimètres carrés)… Nous devons livrer cette bataille, faute de quoi tous nos discours n’auront servi à rien.

Didier MARTEAU

Nous nous battons aujourd’hui pour maintenir nos sigles de qualité. En effet, demain, le risque est de voir banaliser les AOC, les labels, les certificats et les produits biologiques au niveau de l’harmonisation mondiale. J’en appelle à la responsabilité des consommateurs. Je discute souvent avec eux au Conseil National de l’Alimentation, pour faire progresser l’étiquetage, la traçabilité ou les chartes de qualité. Cela fait vingt ans que je fais de l’agriculture raisonnée. Je n’ai aucun intérêt à faire n’importe quoi, mais ma première préoccupation n’est pas environnementale mais économique. Il faut que je puisse vivre. Malgré tous les beaux discours, les agriculteurs ne pourront survivre que s’ils ont un revenu. C’est la raison pour laquelle j’insiste sur l’harmonisation. Si l’agriculture française arrive sur le marché mondial sans aucune protection, elle ne pourra pas résister en termes de compétitivité. Il en est de même pour l’élevage. Il est donc essentiel que les Français aient le même discours lorsqu’ils sont citoyens et lorsqu’ils sont consommateurs.

Jean-Pierre KIEFFER

Après les aspects philosophiques et historiques, nous sommes réellement entrés dans le débat politique et économique. Je regrette que le terme " bien-être " ne soit pas prononcé plus souvent dans notre discussion. Nous sommes tout à fait conscients du besoin à satisfaire. Il est certain que les qualités sanitaires des élevages se sont améliorées. Les maladies dont souffraient autrefois les animaux ont disparu grâce aux efforts sanitaires et aux actions vétérinaires. Mais nous avons été trop loin lorsque nous avons utilisé pour l’alimentation des sources alimentaires dont nous ne mesurions pas les conséquences à l’époque.

Un jour, je me suis intéressé à l’équarrissage. Je me suis rendu compte que les chiens et les chats étaient envoyés dans un grand équarrissage qui recevaient tous les déchets de boucherie. Ainsi, les chiens et les chats finissaient dans l’alimentation du bétail. Il serait triste de ne pas l’avouer. Ce n’est heureusement plus vrai aujourd’hui.

Monsieur Marteau, vous avez affirmé que des efforts étaient faits dans l’élevage. Mais tous les éleveurs sont-ils vraiment indépendants ou ne sont-ils plus que des ouvriers à fabriquer de la viande ? J’aimerais que nous abordions ces réflexions.

Serge BELAIS

Nous avons souligné les problèmes de production et d’économie. J’aimerais en revenir au bien-être. Une récente directive a été prise vis-à-vis des poules, concernant l’interdiction du débecquage aux accouveurs. Ainsi, les considérations économiques peuvent être prises en compte, tout en améliorant le bien-être des animaux.

Jean LEBRUN

Pourriez-vous préciser votre pensée ?

Serge BELAIS

Il faut savoir que les poules se piquent entre elles. La coutume était donc de leur couper le bec. Une directive vient d’être votée pour interdire le débecquage.

Pierre LE NEINDRE

Il faut reconsidérer l’ensemble du système de production. Nous ne pouvons pas procéder à des étapes successives. Il est nécessaire et possible de revisiter un certain nombre de systèmes de production. C’est en cela que les techniciens pourront apporter leur savoir-faire et des solutions.

Le sujet des vaches est rarement abordé. Des machines thermodynamiques extraordinaires ont été créées, produisant 10 000 ou 12 000 kilos de lait. Mais nous savons qu’elles engendrent des problèmes importants au niveau de la douleur. La proportion des mammites n’est pas négligeable. Or je suis sûr qu’il existe des pistes techniques qui permettraient de minimiser cette douleur. C’est ce sur quoi nous devons travailler, même si nous nous heurtons parfois à des impossibilités.

Je vais vous citer un autre exemple. La question du bien-être du canard gavé nous a été posée. Nous avons répondu que le gavage n’était pas une partie de plaisir pour les canards. Nous avons ajouté que la société peut faire le choix de gaver des canars mais, en tant que scientifiques, nous considérons que ce n’est pas agréable pour les animaux. Cela étant dit, nous pouvons proposer des pistes pour que le gavage se déroule au moindre mal pour les canards. Dès lors, il faut que la société se détermine en connaissance de cause.

Jean LEBRUN

D’une politique agricole cohérente, vous attendez qu’elle finance, qu’elle aide et qu’elle oriente des recherches, par exemple pour trouver des méthodes de gavage plus raffinées…

Pierre LE NEINDRE

Cela ne concerne pas uniquement les chercheurs. Tout le monde travaille dans ce domaine. Les éleveurs sont les premiers intervenants. Les chercheurs apportent seulement quelques éléments et aident à la compréhension des choses.

Jean LEBRUN

Les vétérinaires et les formateurs ont tout de même un rôle extrêmement important à jouer. Par exemple, la formation dispensée sur la PAC par les chambres d’agriculture et les syndicats a souvent consisté à développer des idées productivistes. Peut-être les systèmes de formation devraient-ils être modifiés…

Pierre LE NEINDRE

Les systèmes de formation devraient être ajustés pour que les personnes sachent exactement ce qui se fait. Il s’agit de rechercher des solutions réellement novatrices. Le travail est conséquent en la matière. Je pense que tout est possible, mais que tout ne doit pas passer par la réglementation. Pour moi, la réglementation correspond au minimum éthique que la société se donne à tel sujet. Pour le reste, il s’agit de la volonté de la société pour atteindre un objectif. A trop considérer la réglementation, nous oublions que tous les Français sont des acteurs. Dans une école vétérinaire comme celle d’Alfort, tout le monde doit être au courant des enjeux, de la façon de faire, des pistes explorées...

Jean LEBRUN

Dans une école vétérinaire comme celle d’Alfort, la formation sur les animaux a longtemps consisté à observer l’adaptation des animaux à des conditions terribles de claustration et d’enfermement. Il y a eu une véritable révolution en matière de formation.

Marc SAVEY

J’ai été enseignant dans cette école. Je m’intéresse aux productions animales. Je suis aujourd’hui directeur de la santé et du bien-être des animaux. A ce titre, j’aimerais insister sur le fait que les vétérinaires sont des artisans au service de la société. Ils n’inventent pas les modalités de production des animaux. Ils ne sont pas à l’origine de l’intensification des élevages. Je fais partie d’une génération de vétérinaires à laquelle il fut beaucoup reproché d’être attachés aux animaux dans leur caractère individuel et à laquelle il était dit d’aller vers ces concentrations. Ainsi, je répète que les vétérinaires sont des artisans de la santé, qui ne sont pas à l’origine du système de production, de l’engouement pour les animaux de compagnie ou de la modification de la faune sauvage. Les vétérinaires sont des biologistes qui doivent s’adapter.

J’aimerais maintenant revenir sur l’articulation entre la santé et le bien-être. Dans la définition sur laquelle nous sommes d’accord, cinq points contribuent au bien-être : avoir à manger et à boire, avoir un toit pour ne pas subir trop d’intempéries, ne pas être exposé à des souffrances, pouvoir développer un certain nombre de comportements, être en bonne santé. Il convient de réfléchir sur la notion de " santé ". Elle présente deux dimensions. La dimension individuelle correspond au fait de savoir si un animal est en bonne santé ou pas. A l’inverse, l’élevage est un produit culturel de population. Or la problématique de la santé au niveau des populations se pose de manière radicalement différente. C’est là où l’anthropomorphisme fait des ravages considérables. En effet, lorsqu’une population est en bonne santé, cela ne signifie pas que 100 % des animaux sont en bonne santé. Cela est irréaliste. La santé est aussi liée à la maladie. Depuis vingt ans, tous les organismes de recherche qui s’occupe des maladies ont le terme " santé " dans leur dénomination. La société a du mal à admettre que, dans un processus de vie, il y a des processus de pathologie.

Dans une population d’animaux, il y a nécessairement une proportion (que l’on espère la plus faible possible) qui est plus ou moins malade. Je pense par exemple à la pathologie enzootique. Tout le monde cherche à la maîtriser. C’est alors que l’on retrouve la liaison entre le bien-être et la santé. A côté de cette pathologie, de temps en temps, des événements frappent l’imagination parce qu’ils sont graves en termes de santé animale ou de santé publique. Nous quittons alors la problématique du bien-être pour entrer dans une autre problématique : comment éviter les conséquences dramatiques sur la santé humaine ou sur la santé animale ? Par exemple, la fièvre aphteuse est une maladie inflammatoire de la bouche et des pieds extrêmement douloureuse. Si nous voulons protéger le bien-être au-delà de la santé animale, il nous faut donc veiller à maîtriser les épisoties. Dès lors, un certain nombre d’options de gestion sont possibles, dont celle de l’abattage. Chacune des options pour combattre les maladies épisotiques a des avantages et des inconvénients. Il convient donc de ne pas mélanger les maladies de base qu’il faut essayer de maîtriser et les grandes maladies épisotiques.

Alain LIPIETZ

A un certain moment, le consommateur est lui aussi responsable. Pourquoi la viande de veau "doit-elle" être blanche ? La société doit prendre position et dire ce qu’elle veut. Par exemple, au 18ème siècle, à l’Age des Lumières, on produisait encore des castrats pour entendre de la belle musique d’opéra. La question est de savoir si la société l’accepte ou non. Si on ne l’accepte pas, on renonce à avoir des castrats et "donc" à entendre de la belle musique. Mais on peut également se dire que l’on peut entendre de la belle musique autrement, nous avons aujourd’hui d’excellents haute-contre qui ne sont pas des castrats ! Il en est de même pour la production de foie gras. Un jour, nous pourrons peut-être produire du foie gras sans traiter les animaux comme aujourd’hui. La société doit en débattre. Elle ne doit pas se voiler la face, comme le font les cinq pays de l’Union Européenne qui refusent la production de foie gras chez eux mais qui acceptent d’en manger ! A un certain moment, il faut que la société se responsabilise.

Pierre LE NEINDRE

Il ne faut pas seulement prendre en compte le consommateur, mais également le citoyen. Madame Fanartzis a fait une remarque justifiée : elle ne mange pas de viande, mais se préoccupe du bien-être des animaux et donne son point de vue. Nous ne devons donc pas nous limiter au consommateur.

Raphaël LARRERE

Ce que la société accepte ou pas est effectivement une question de citoyen. Or le citoyen est différent du consommateur. Ce dernier regarde son intérêt privé en termes de coût sans se préoccuper des autres. Pour sa part, le citoyen débat avec autrui sur l’intérêt commun et les règles communes ad hoc. Il est donc normal qu’il ait un point de vue différent de celui du consommateur.

Hélène LUC

Le consommateur peut être éduqué…

Raphaël LARRERE

Tout à fait. En ce qui les concerne, les citoyens peuvent très bien affirmer que certaines pratiques de consommation ne sont pas justifiées.

Nous parlons beaucoup de bien-être animal, mais nous n’avons pas clairement défini ce terme. Il est plus facile de parler de souffrance que de bien-être, même si elle peut difficilement être mesurée. Quel est l’enjeu réel ? Soit pour des raisons de sensibilité, soit parce qu’elles ont réfléchi au statut de l’animal, de nombreuses personnes sont choquées par la manière dont l’animal est instrumentalisé dans certains types d’élevages. Pouvons-nous instrumentaliser l’animal jusqu’à le considérer comme une machine ? Il est choquant de se dire que, pour des raisons économiques, l’animal malade va être abattu alors qu’il existe d’autres stratégies possibles, comme la vaccination. L’enjeu est donc de savoir si nous allons continuer à traiter les animaux comme des machines ou des objets. Malheureusement, je pense que toute la problématique en termes de bien-être animal vise à éviter cette question pour la remplacer par une autre : comment, dans les élevages intensifs industriels modernes, faire en sorte que les animaux ne souffrent pas trop ?

Jean LEBRUN

Par conséquent, la réglementation est pour vous un processus d’esquive.

Marc SAVEY

Ce sujet est extrêmement important. L’abattage est réglementé par la France et l’Europe. Dans ce cadre, nous ne faisons pas ce que nous voulons. Le principe de responsabilité de base doit encourager chacun d’entre nous à tempérer son discours face à de dures réalités. Concernant le mode de contrôle par abattage, je vous rappelle que les animaux abattus sont soumis à un certain risque. Or le risque en matière de fièvre aphteuse n’est pas le même qu’en matière d’ESB, car il est quasiment inéluctable. Ainsi, sur les 58 000 animaux qui ont été abattus, la plupart d’entre eux auraient été atteints, auraient donc souffert et auraient peut-être fait souffrir beaucoup d’autres animaux. Cela étant dit, toute mesure de contrôle sanitaire doit effectivement tenir compte du fait que l’animal n’est pas un robot mais un être sensible.

Didier MARTEAU

Monsieur Belais a précédemment affirmé que l’on produisait trop. Je vais prendre un contre-exemple. Nous importons 70 % de nos besoins en mouton. Malgré cela, le marché gonfle. Par ailleurs, je pense qu’il y a un lien très fort entre la santé de l’animal et sa production. Un animal qui souffre ne produit pas. C’est une règle de base. Dès lors, des excès ont pu avoir lieu (antibiotiques). En outre, je suis d’accord sur le manque de cohérence constaté au niveau européen. Récemment, des mesures ont été prises pour retirer la viande bovine du marché. C’est ainsi que les Allemands ont renvoyé toute leur viande sur le marché français. De plus, j’aimerais dire quelques mots sur les loups. Lorsque l’on a réintroduit les loups, le stress des animaux a sensiblement augmenté. Par conséquent, les animaux élevés en pleine nature sont également soumis à des conditions environnementales difficiles. Enfin, je ne peux pas laisser dire qu’un éleveur risque sa santé. La première préoccupation d’un éleveur est de se protéger et de protéger sa famille. Je vérifierai les chiffres fournis par Monsieur Maret concernant les Côtes d’Armor. Si les éleveurs sont réellement en danger, il faudra trouver une solution.

Serge BELAIS

J’aimerais préciser quelques points. Tout d’abord, le loup n’a pas été réintroduit. Il est revenu de lui-même. Par ailleurs, Madame Luc a affirmé qu’il fallait éduquer les consommateurs. Au-delà, je pense qu’il faut les informer. Nous ne pouvons peut-être pas définir le bien-être des animaux. Mais si l’on constate qu’il existe un mal-être de ces animaux d’élevage, il convient d’agir face à ces dérives et de prendre des décisions concrètes au niveau européen.

Nicolas FAIRISE

Ma réaction est peut-être tardive, mais je ne peux pas laisser dire que la réglementation est une esquive. De manière purement partisane, j’essaye de défendre l’action du Bureau de la Protection animale au Ministère. Nous sommes parvenus à améliorer sensiblement la condition des animaux de rente et de compagnie. Nous poursuivons des actions en la matière, qu’elles soient prises au niveau communautaire ou national. Cela étant, le débat est nécessaire sur les attentes du citoyen. Il faut effectivement que la société clarifie sa position.

Jean LEBRUN

Pour donner des droits à l’animal, attendez-vous qu’il remplisse des devoirs ? Votre réglementation se situe-t-elle dans la perspective de donner des droits à l’animal ?

Nicolas FAIRISE

J’ai parlé des attentes de la société par rapport à l’utilisation de l’animal. Je n’ai jamais parlé de la conception des droits et des devoirs des animaux, qui est un grand débat au sein des associations de protection animale. En ce qui concerne notre bureau, nous ne considérons pas que les animaux doivent avoir des droits, qui est une conception humaine. Nous n’arriverons jamais à nous mettre à la place des animaux. A partir des connaissances scientifiques et de l’expérience acquise, il convient plutôt de déterminer les devoirs de l’homme vis-à-vis des animaux. Cette réaction me semble plus saine et rationnelle.

Je rappelle qu’au regard du Code Civil, l’animal est toujours un bien meuble. Au niveau européen, l’animal est clairement défini comme un produit agricole. Tant que les responsables en haut lieu n’ont pas décidé de faire évoluer le statut de l’animal, nous sommes tenus de faire avec cette définition et de mettre en place des réglementations de progrès.

Jean LEBRUN

Monsieur Le Neindre, trouvez-vous normal que des peines soient encourues par l’homme en cas de maltraitance ou de cruauté vis-à-vis des animaux ?

Pierre LE NEINDRE

Ce n’est pas à moi de résoudre les problèmes de société. Cela étant dit, je répondrais de manière positive à votre question. Même si les animaux ne peuvent pas prendre la parole, certains êtres humains peuvent prendre la parole en leur nom. Il est de notre devoir de conduire les animaux ou de les faire vivre dans des conditions satisfaisantes. Si cette règle est brisée, la société doit avoir le droit d’interpeller la personne concernée.

Florence BURGAT, INRA

Je voulais faire quelques remarques. J’ai entendu dire que philosopher, c’était mettre des souliers vernis, et que s’intéresser au concret, c’était mettre des bottes. Selon moi, la défense d’une cause n’est pas seulement technique. Dans le débat, nous avons opposer le citoyen et le consommateur, et fait un amalgame entre l’éthique et l’acceptabilité sociale. Or chacun sait que la demande des consommateurs peut être manipulée et transformée. Ce n’est pas mettre des souliers vernis que de rappeler que cette question de l’animal ne doit pas engendrer que des considérations techniques, mais également faire partie d’une interrogation sur le bien et le mal. Le parcours historique et philosophique de cette question du bien-être animal me semble essentiel. Les aspects concrets, sur lesquels il faut bien évidemment se pencher, ne doivent pas être dissociés de l’histoire.

Jean-Pierre KIEFFER

J’ai plaisir à chausser mes bottes pour aller dans les étables. Les vétérinaires sont des professionnels de la santé. Monsieur Belais et moi-même nous considérons comme des militants de la protection animale, et non comme des philosophes. Lors de notre débat, nous avons essayé de définir le bien-être. Personnellement, je pense que le bien-être animal est devenu un alibi vendeur. En effet, la plupart des éleveurs de porcs ou de poules pondeuses utilisent le mot " bien-être " en trompant le consommateur. Lorsque je vois ces boîtes d’œufs avec des photos bucoliques, où il est noté " œufs de ferme " alors que ce sont des œufs de poules en batterie, j’estime que l’on se moque des consommateurs. Je suis peut-être très terre-à-terre, mais je crois que les choses doivent être appelées par leur nom. Lorsque je vois des syndicats d’éleveurs de porcs faire du mot " bien-être " un cheval de bataille pour pouvoir vendre mieux leur porc, je considère que le consommateur est trompé. Ce n’est pas de cette manière qu’il pourra être éduqué.

Serge BELAIS

En tant que représentant d’une association de protection animale, je regrette que notre débat ne nous ait pas permis de réaliser des avancées concrètes. Malgré un débat très riche, mon seul regret est de ne pas avoir entendu de propositions concrètes.

Jacques MARET

J’ai entendu parler de la FNSEA, de l’agriculture raisonnée… En revanche, je n’ai jamais entendu parler des coûts externalisés, c’est-à-dire la dégradation sociale, la dégradation environnementale et le coût énergétique. Ces éléments ne sont jamais pris en compte. En quarante ans, les rendements ont été multipliés par deux ou trois, mais à quel prix en termes d’énergie dépensée (transformation de l’énergie animale en énergie mécanique).

Des études ont été faites sur l’élevage laitier. Un premier groupe de vaches a été considérée : celles qui mangent de l’herbe. Un deuxième groupe de vaches a été pris en compte : celles qui mangent du maïs (plus de 90 % des vaches laitières), c’est-à-dire celles provenant d’élevages ultra intensifs qui utilisent la loi, c’est-à-dire la PAC. Dans chacun des deux groupes, l’étude a porté sur une centaine d’éleveurs. Je vous fais donc part de statistiques tout à fait valable. Le premier groupe occupe 27 hectares, avec 500 000 francs de capitaux. Le deuxième groupe occupe 44 hectares, avec 1 million de francs de capitaux. Il est intéressant de regarder les revenus obtenus. A priori, l’élevage laitier à l’herbe procure un meilleur bien-être pour l’animal. Le revenu acquis par les éleveurs à l’herbe s’élève à 130 000 francs par an, avec 15 000 d’aides publiques. Ces personnes sont autonomes. Le revenu acquis par les éleveurs du deuxième groupe s’élève également à 130 000 francs par an, mais avec 70 000 francs d’aides publiques.

Ainsi, la politique actuelle de la PAC et de l’OMC, en fournissant des fonds publics aux éleveurs hors sol, ne fait que déménager le territoire et polluer l’environnement du fait de la culture intensive de maïs. Nous savons que la culture de légumineuse est moins polluante car les semences ont lieu tous les quatre ans au lieu de tous les ans. Ainsi, pour le deuxième groupe, les coûts énergétiques et sociaux sont colossaux. Cela est d’autant plus révoltant que l’environnement n’est pas préservé et que les animaux ne sont pas dans un bien-être. Je pense aux vaches qui sont dans des " usines à lait " et qui produisent 10 à 12 tonnes de lait par an. Lorsqu’elles sortent dehors, elles ne tiennent plus debout.

Je tiens à faire un historique des différentes PAC. La première PAC a été faite au quintal de blé, avec des subventions de 50 francs par quintal par rapport au prix mondial qui s’élevait à 70 francs. Aujourd’hui, le quintal de blé est vendu au prix mondial et les primes sont fournies à l’hectare au lieu d’être fournies au quintal. Il faut sortir de ce système. Monsieur Marteau, vous avez 160 hectares, ce qui équivaut à environ 400 000 francs de fonds publics. Avec la même surface, un éleveur à l’herbe ne reçoit que 30 000 francs. Je ne fais aucune mise en cause personnelle, mais un simple constat. La deuxième PAC tend vers une politique qui soutient l’homme et les modes d’élevage.

Didier MARTEAU

Avant 1992, je vendais mon blé 120 francs par quintal. Je recevais une aide de 50 francs par quintal. Aujourd’hui, je reçois une aide limitée à l’hectare. Cela a permis une certaine régulation. Certes, le problème du maïs d’ensilage est réel et complexe. Vous pouvez accuser la Bretagne, mais je vous rappelle que cette région a réussi à maintenir un maximum d’agriculteurs. Je ne suis pas Breton, mais je peux en parler facilement. En maintenant un maximum d’agriculteurs sur de petites surfaces, en intensifiant les productions, nous sommes peut-être arrivés à un extrême. Vous avez parlé des subventions. Je ne suis pas fier de recevoir des chèques. Il n’empêche que, si je n’ai pas de chèques, je ne pourrai plus vivre. Il faut donc veiller au propos que l’on tient. J’insiste sur le fait que l’harmonisation au niveau de l’ensemble de l’Europe est indispensable, sans quoi nous risquons de tout perdre.

Hélène LUC

Je tiens à ce que mon propos soit bien compris. En introduction, j’ai parlé des poulets en batterie ou des élevages intensifs de bœufs. J’y suis sensible, mais je ne veux pas faire de sensiblerie. Des images fortes me restent en mémoire, par exemple lorsque j’ai vu ces agriculteurs accompagner leur troupeau et pleurer. Mais il faut être réaliste. Je pense que l’AFSSA a très bien fait son travail. Je sais qu’elle a reçu beaucoup de pressions et qu’elle a tout de même pu donner son avis.

J’aimerais terminer mon propos en disant quelques mots sur l’OMC, la santé, le commerce et l’Europe. Je me bats car la France est une exception en matière d’agriculture. Il faut maintenir les subventions pour nos agriculteurs. La France est le seul pays européen à disposer de tels pâturages. Nous devons garder ce patrimoine. Je me bats pour cela. J’ai envie que des jeunes prennent la relève. Enfin, je relie le problème de l’OMC à celui de l’OMS. Il faut que l’OMS travaille, car un milliard d’individus sur Terre ne mangent pas encore à leur faim.

Jean LEBRUN

Professeur Parodi, je vous laisse le soin de conclure cette table ronde.

André-Laurent PARODI

En ouvrant ces rencontres, je souhaitais que le thème concerne un public très large et que le débat soit ouvert. Je pense que ces objectifs ont été atteints. Je m’en réjouis. Je remercie vivement les intervenants de la table ronde qui, avec beaucoup de pertinence et de conviction, ont abordé cette question du bien-être animal. J’aimerais simplement revenir sur quelques points qui m’ont frappé.

Durant la première partie, nous nous sommes efforcés de cerner ce que pouvait être la notion de bien-être animal. Certains ont regretté l’absence de définition claire. Sont pourtant apparues des notions émanant de la vision d’un sociologue. La notion de bien-être est entachée par la diversité animale. En fonction des regards des observateurs, la définition du bien-être peut être diverse. Pour sa part, Monsieur Le Neindre a soulevé la question de la hiérarchie de l’espèce animale. Ce problème est extrêmement difficile. Je pense notamment à l’expérimentation animale qui est entrée dans cette notion difficile à cerner : une espèce animale peut-elle exiger ou demander davantage de bien-être ? La cosmétique a répondu en partie à cette interrogation en interdisant toute intervention sur les mammifères pour des tests cosmétiques. Pour moi, la meilleure définition du bien-être animal est la suivante : il ne s’agit pas d’une considération technique, mais d’une évolution de la pensée et de la sensibilité collective.

Sur le deuxième volet, il a été clairement démontré que le bien-être des animaux de production avait un coût. Un surcoût est généré par l’accumulation des directives européennes en matière de production animale pour améliorer la salubrité des produits et les conditions d’élevage des animaux. En Europe, ces mesures ont grevé le prix de la viande rouge d’environ 2 francs le kilo et de plus de 4 francs le kilo pour les veaux de boucherie.Jusqu’àprésent,lasécuritéalimentaire a primé. Une grande partie du surcoût est liée à la disparition des anabolisants ou des antibiotiques. Le bien-être de l’animal commence à être pris en considération.

Conclure une telle table ronde est quasiment impossible. Je vais simplement reprendre un terme qui a été évoqué à maintes reprises : la cohérence. Nous sommes dans une démarche de recherche de la cohérence en termes de demande du public. Les différents intervenants ont rappelé que le public, c’était non seulement les consommateurs, mais également les citoyens. Ces derniers sont là pour tenter d’accorder leur regard et leur demande. Une démarche de cohérence est également entamée en termes de politique de production. Nous ne pouvons effectivement pas imaginer, sans mettre en danger les filières de l’élevage, une démarche solitaire de l’Union Européenne. Enfin, il est un point qui n’a pas été évoqué : la cohérence des comportements des professionnels. Dans un document édité par le centre d’information des viandes, il est rappelé qu’une démarche de formation des professionnels est en cours, à l’attention des bouviers, des conducteurs de camion et des agriculteurs.

Pour terminer, je pense que ce thème a démontré que le combat pour le bien-être animal nous concernait tous en tant qu’acteurs de la protection animale, en tant qu’accompagnateurs de la santé animale et en tant que citoyens. Je vous remercie.




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