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par Alain Lipietz | 20 février 2009

Taxe professionnelle et taxe carbone
La proposition abrupte de Nicolas Sarkozy de supprimer la taxe professionnelle, et sa « piste » de la remplacer par une taxe carbone, ne me paraît vraiment pas une bonne proposition.

Rappelons d’abord que la taxe professionnelle est une taxe payée par les entreprises, assise à 80% sur la valeur ajoutée et à 20% sur le foncier, prélevée par les collectivités locales. Elle a été, il y a pas mal de temps, amputée d’une composante « salaire » qui jouait contre l’emploi (celui-ci était alors taxé deux fois, par les salaires et par la valeur ajoutée). En outre, dans le cadre de la loi Chevènement créant les différentes communautés de communes ou d’agglomération, cette taxe a été attribuée entièrement à ces communautés, ce qui a permis de limiter la « concurrence fiscale » entre communes voisines. Aujourd’hui, elle est la source très majoritaire de financement de ces collectivités territoriales. La supprimer, sans la remplacer, serait donc une véritable catastrophe pour ces collectivités qui ont désormais en charge l’essentiel des services publics locaux.

L’argument explicite de Nicolas Sarkozy est bien sûr la concurrence. Nous venons de voir que la TP a été modifiée pour éviter la concurrence locale : Sarkozy vise donc la concurrence internationale. Dans ce cas, c’est l’ensemble de la fiscalité frappant les entreprises et leur valeur ajoutée qui devrait être prise en compte. Or, rien n’indique que cette fiscalité soit en France excessive et la plupart des pays ont aune fiscalité locale alimentée entre autres par les entreprises. Les entreprises françaises souffrent beaucoup plus, dans la crise, du manque de crédits bancaires.

À l’inverse, la TP est l’un des rares impôts locaux exprimant encore l’autonomie budgétaire des collectivités locales, avec la taxe d’habitation et les taxes sur le foncier (pour les communes) et la taxe sur les droits de mutation pour les départements. Elle est assez légitime : d’abord par sa composante foncière, ce qui est évident, mais aussi par sa composante valeur ajoutée, car les services locaux (voirie et réseaux divers, éclairage, nettoyage, formation générale et professionnelle) contribuent à la possibilité pour une entreprise de produire de la valeur ajoutée : on ne conçoit pas d’entreprise sur une île déserte.

Comme il est hors de question, même pour un Sarkozy, de ne pas compenser au moins partiellement la suppression de la source de financement principale des agglomérations, la question se pose : « par quoi la remplacer ? ». Cette discussion doit être menée sur trois plans :

La sécurité de la ressource pour les collectivités,

L’autonomie budgétaire locale et l’incitation pour les collectivités locales à participer à l’animation de la vie économique

Les effets de justice ou d’injustice fiscale résultant du remplacement de la TP par autre chose.

La proposition de Nicolas Sarkozy est la fameuse taxe Carbone. Actuellement, en France, celle-ci prend essentiellement la forme de la TIPP sur les carburants. Elle frappe les ménages tout autant que les entreprises (encore que celles-ci paient une TIPP à taux en moyenne plus faible). Et selon la critique traditionnelle des Verts, elle ne frappe que les hydrocarbures fossiles et non pas l’énergie en tant que telle, donc encourage un déplacement vers l’électricité nucléaire. C’est pourquoi les Verts sont en faveur d’une taxe Énergie-Carbone. C’était d’ailleurs la proposition de la Commission européenne à la veille de la conférence de Rio :une taxe Énergie plancher, l’énergie d’origine pétrolière étant taxée deux fois plus. Cela incitant à faire des économies d’énergie, quelle qu’en soit la source, tout en dissuadant plus fortement la production de gaz à effet de serre.

Comme très souvent, les propositions de Nicolas Sarkozy sont tellement irréfléchies que nous sommes obligés d’imaginer au moins deux modes d’application. Mais en tout état de cause, le remplacement d’une taxe prélevée sur les seules entreprises par une taxe prélevée sur les entreprises et les consommateurs individuels représente un nouveau déplacement de la fiscalité du capital vers le travail. Pourtant la crise actuelle, qui, du point de vue strictement économique, est une crise de surproduction / sous-consommation due à la faible part des salaires dans la valeur ajouté, appellerait au contraire un déplacement des profits vers les salaires. C’est en effet (et Nicolas Sarkozy le reconnaît lui-même en évoquant une règle des trois tiers !) la part monstrueuse des dividendes (75% des profits après impôts) et des hauts salaires redistribués qui provoquent la régression du pouvoir d’achat en France comme à travers le monde, d’où la dimension strictement économique de la crise actuelle (crise du néolibéralisme).

Concrètement, qu’est ce que Nicolas Sarkozy peut avoir en tête ?

a) Il a peut-être voulu dire : « une taxe carbone assise sur la production de CO2 locale, et attribuée à la collectivité locale correspondante ».

Dans ce cas, les collectivités se trouvent dans un dilemme insoluble. Ou bien elles cherchent à sécuriser leurs revenus, et elles ont intérêt, non seulement à attirer chez elles les entreprises les plus polluantes, mais à leur demander de ne faire aucun effort pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre ! Ou bien les collectivités jouent le jeu de la lutte contre le changement climatique, elles évitent de créer des emplois avec des entreprises polluantes, et elles aident les entreprises à ne pas produire de gaz à effet de serre, diminuant ainsi leur propre base fiscale... Une taxe carbone locale, quand elle représente l’essentiel du revenu des collectivités locales, est donc un non-sens. D’une façon générale, une taxe Carbone qui a pour but de diminuer sa propre base fiscale, n’est concevable que si elle joue un rôle mineur dans la fiscalité générale, ce qui ne sera le cas qu’à l’échelle au moins nationale.

Et quid de la part de la taxe frappant la consommation des habitants ? Comment la fixer et la percevoir localement ? En attribuant à la fiscalité locale la TIPP des stations-services locales ? Déjà les camions arrivant d’Angleterre font un crochet par la Belgique pour y faire le plein avant de traverser la France , parce que la fiscalité belge sur les carburants y est plus faible !

b) Nicolas Sarkozy a donc peut-être en tête l’idée d’une taxe carbone étendue avant d’être redistribuée aux collectivités locales. Il y aurait d’abord une réforme de la TIPP, ce qui serait une très bonne idée : la rendre flottante, c’est-à-dire légèrement et perpétuellement orientée vers la hausse en effaçant les fluctuations du cours du pétrole brut, de façon à ce que les entreprises soient incitées à planifier à court, moyen et long terme leurs efforts de réduction d’émission de gaz à effet de serre.

Resterait ensuite à la redistribuer aux collectivités locales, soit en fonction du montant de leur ancienne taxe professionnelle (« méthode du grand père »), soit en fonction de leur population. Mis à part ce qui a été dit au départ sur le fait qu’il s’agirait quand même d’un transfert de la fiscalité des entreprises vers les ménages, ce modèle aurait l’avantage d’assurer une plus grande péréquation entre les collectivités locales. Mais alors, il s’agirait tout simplement d’une extension des dotations de l’État aux collectivités, alimentées par le budget global de l’État central, où la taxe Carbone ne jouerait pas un rôle particulier par rapport aux autres impôts nationaux Oui à la taxe carbone nationale (ou plus si affinité) mais c’est sans rapport avec le problème de la fiscalité locale.

Car il faut souligner que ce qui est gagné en solidarité inter-collectivités est perdu quant à l’autonomie des collectivités. Les Verts, qui sont pour la décentralisation, ne peuvent accepter un tel recul. Oui, il faut augmenter la solidarité des collectivités les plus riches vers les plus pauvres. Non, il ne faut pas déresponsabiliser totalement les communes, agglomérations, départements et régions de tout choix budgétaire côté ressources. C’est au contraire au plus près de la base que peut être menée une politique budgétaire (ressources et dépenses) en vue du développement soutenable.




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