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par Alain Lipietz | avril 2005

Silence n°322
Oui au TCE parce que Non à Maastricht
Quelle bonne idée a eue Silence (janvier 2005) de re-publier mon article de septembre 1992 Contre Maastricht parce que pour l’Europe ! J’y expliquais pourquoi j’étais pour le Non à Maastricht.

Mais quelle drôle d’idée a eue Michel Bernard d’en déduire que si l’on avait été pour le Non à Maastricht, il fallait à nouveau être pour le Non au TCE ! Il va même jusqu’à dire que « les bons arguments d’Alain Lipietz en 92 nous semblent toujours d’actualité aujourd’hui, car entre temps on ne peut pas dire que la volonté de changement par l’intérieur ait porté ses fruits ». Ainsi donc, par continuité peut-être, il faudrait voter Non à toutes les questions que l’on vous pose parce qu’on aurait voté Non à la première !

J’ai pris parti pour le Non à l’Acte unique, pour le Non à Maastricht, pour le Non à Amsterdam, pour le Non au traité de Nice. Et c’est pour les mêmes raisons je suis pour le Oui au TCE. Mes raisons pour le Non à Maastricht sont parfaitement résumées par l’extrait de mon article de 92 que cite Michel Bernard. Toutes ces raisons sont encore plus valables pour tous les traités qui se sont accumulés jusqu’à Nice :

- le traité d’Amsterdam a confirmé les « critères de convergence » de Maastricht, gravés dans le marbre sous le nom de « pacte de stabilité »,
- l’intégration de l’Union européenne dans l’OTAN par le biais de son bras séculier, l’Union d’Europe occidentale, n’a jamais été remise en cause,
- le droit de co-décision accordé au Parlement européen, seule instance supra-nationale élue par les citoyens de l’Europe » est resté dérisoire.

Incidemment, il y a un autre point que rappelle la citation de Michel Bernard : dès 1992, je considérais que Maastricht était déjà une Constitution : « d’une Constitution, on n’attend pas qu’elle fixe les lois et les compromis sociaux dans le détail, mais nous savons qu’elle n’est pas neutre non plus ».

Alors de quoi s’agit-il aujourd’hui ? De remplacer cette Constitution (Maastricht, Amsterdam, Nice), par une autre, le Traité pour une Constitution européenne. La question qui nous sera posée au referendum est simple : « Voulez-vous remplacer l’actuel traité par le TCE ? » Si vous préférez l’actuel traité, vous votez Non, si vous préférez le TCE, vous votez Oui, si vous considérez que c’est blanc bonnet et bonnet blanc, vous vous abstenez ou mieux, vous boycottez. C’est ainsi que l’on se comporte toujours face à un referendum. Michel Bernard est pour le Non, donc son vote pèsera pour le maintien du traité de Maastricht-Nice.

Mais bien sûr, son argumentation est un peu plus complexe : « En votant Non, on exprime en fait un Non à l’Europe telle qu’elle est aujourd’hui, c’est à dire à l’Europe de Maastricht-Nice. ». Michel Bernard, comme tous ceux qui voteront pour le Non en fonction de ce raisonnement étrange qui prend la liberté d’interpréter à l’envers la question posée, oublie simplement une chose : l’intention des votants n’a aucune importance. Trois mois après, tout le monde aura oublié qui a voté pour quoi et au nom de quelles idées. Le seul résultat, c’est que, si le Non l’emporte, on gardera le traité de Nice, c’est à dire l’Europe actuelle, ou bien on disposera d’un autre outil pour adopter les lois gouvernant notre vie quotidienne, nos relations sociales, notre environnement : les nouvelles règles du jeu du TCE.

Or, il suffit de reprendre point par point les arguments de mon article de 1992 pour constater à la fois les limites et les avancées du TCE.

La limite fondamentale est évidente : les règles monétaires et budgétaires (pacte de stabilité) adoptées à Maastricht restent intégralement en l’état. Cela ne veut pas dire qu’elle ne seront jamais changées : l’abandon du pacte de stabilité est déjà en négociation, ce sera sans doute pour la prochaine révision constitutionnelle.

En revanche, sur deux les autres points, les avancées sont tout à fait réelles [1].

En ce qui concerne l’intégration de la défense européenne à l’Otan, elle disparaît purement et simplement. Il est simplement précisé « que certains pays" pourraient demeurer dans l’Otan, et qu’alors leur défense dans le cadre de l’OTAN sera compatible avec la défense européenne. En revanche, la défense proprement européenne, c’est à dire la capacité d’intervention civile et militaire de l’Europe en tant que telle, « dans le cadre de la charte des nations unies », ne fait tout simplement plus référence à l’Union de l’Europe occidentale et à l’Otan. Ce changement considérable a été décortiqué à l’époque. Il marque un premier pas vers la défense autonome de l’Union européenne. Bien entendu, cette évolution reflète les désaccords profonds qui se sont révélés à l’occasion de l’invasion de l’Irak, mais qui sont appelés à se développer.

On peut bien entendu refuser le principe même d’une défense militaire. Mais en tout cas, si le problème pour Michel Bernard est l’intégration de cette défense au sein de l’Otan, alors, on ne peut que saluer l’évolution que marque le TCE par rapport à Maastricht, qui fait tomber la deuxième des raisons que j’avais de m’opposer au traité de Maastricht.

L’évolution sur le troisième point est bien sûre la plus importante : c’est le pas en avant considérable vers la démocratie que permet leTCE.

Michel Bernard, au début de son article, donne une description assez caricaturale de la situation actuelle. Il est exagéré de dire que le Parlement n’a aucun pouvoir et que les décisions sont prises par une Commission en liaison avec les gouvernements nationaux. La réalité a quand même évolué depuis Maastricht. Amsterdam a donné au Parlement de nouveaux pouvoirs, de telle sorte que l’on peut considérer que, sur un tiers des chapitres de compétence européenne, le Parlement est en co-décision avec le Conseil des gouvernements. Il nous est arrivé de transformer complètement le sens d’une directive proposée par la Commission. Il nous est arrivé d’émettre en troisième lecture notre veto à une directive proposée par la Commission et approuvée par les gouvernements : ce fût le cas pour refuser la privatisation de ports lors de la dernière législature. Mais je persiste et signe : le fait que nous n’ayons voix au chapitre dans la majorité des domaines affaiblit notre rapport de forces même sur ces sujets là.

C’est ici que le TCE inverse la règle du jeu : s’il est adopté, le parlement aura droit à la co-décision sur les deux tiers des chapitres...et notamment sur le budget. Mais pas sur des chapitres essentiels tels que l’harmonisation de la fiscalité écologique ou de la législation sociale à l’échelle de l’Europe. Sur ces deux points, (droit social et fiscalité), il faut toujours l’unanimité entre les gouvernements. Ce qui signifie que chaque gouvernement a un droit de veto sur toutes les décisions communes.

Or, du point de vue d’un écologiste, qui sait que la pollution n’a pas de frontières, l’Europe se désarme et désarme les conquête sociales et la protection de la planète par cette discordance entre un espace économique unique et une multiplicité d’Etats qui doivent adopter unanimement la même décision pour avancer. Les progrès de la co-décision, qui vont de paire avec la généralisation de la règle de la majorité au Conseil des gouvernements, représentent un pas en avant vers une Europe fédérale où le politique (et la démocratie) prendront progressivement le pas sur le déchaînement des forces du marché. Le TCE est un gros pas en avant, mais pas le dernier.

Ces progrès au niveau de la démocratie représentative sont accompagnés d’un pas en avant étonnant dans le domaine de la démocratie participative : les citoyens eux-mêmes pourront, par une pétition recueillant un million de signatures, prendre l’initiative d’une loi européenne (qui restera bien entendu à débattre entre les deux assemblées, Parlement et Conseil).

On pourrait ajouter un progrès considérable du côté de la défense des services publics. Alors que (on l’oublie trop souvent) le traité actuel dit déjà que les lois du marché s’arrêtent là où commence la nécessité pour les services publics d’accomplir leur mission, le traité actuel va plus loin dans l’obligation pour les Etats d’assumer ces services publics. Grâce à la bataille menée par le syndicalisme européen, les forces écologistes et de gauche lors de la Convention, cette obligation est maintenant inscrite dans le TCE, qui fait obligation aux états et à l’Union de veiller à ce que les services publics placés dans des conditions, "y compris économiques et financières, d’accomplir leur mission », et rappelle aux états qu’ils ont la responsabilité de « les fournir, les concéder et les financer ».

C’est donc un traité imparfait qui nous est proposé, mais personne, pour peu qu’il ait lu et comparé les deux traités, ne songerait à choisir Nice plutôt que le TCE. Faites d’ailleurs une expérience de pensée : supposez que le traité actuellement en vigueur soit le TCE, et que l’on propose de revenir au traité de Nice. Beaucoup des actuels partisans du Non voteraient Non avec la même énergie !

Un tout dernier argument (que ne retient d’ailleurs pas Michel Bernard), qui court chez lez partisans du Non, est qu’il serait plus difficile, par la suite, de modifier le TCE, sous prétexte qu’il porterait le nom de Constitution. Les lecteurs de Silence sont assez grands pour ne pas tomber dans ce genre d’illusion nominaliste. L’un et l’autre traités précisent selon quelles règles ils peuvent être révisé. Le traité actuel précise en quelques lignes qu’il ne peut être changé qu’à l’unanimité. Le TCE, au contraire, propose trois longs articles détaillant une procédure normale, une procédure simplifiée et une procédure super-simplifiée pour ses futures révisions. Gageons que ceux qui les ont rédigés ont souhaité que l’évolution imparfaite qu’il représente par rapport à la situation actuelle soit réparée le plus rapidement possible...

Les lecteurs de Silence ont encore plusieurs semaines pour étudier les différences entre les deux textes. Certes, les Français ne sont que douze pour cent des Européens, et il y a de fortes chance que la droite, (qui dans le reste de l’Europe, est plus ou moins violemment contre le TCE), obtienne la victoire, au moins en Tchéquie et en Pologne (parce que Dieu n’est pas dans la Constitution), et en Grande-Bretagne (qui refuse toute forme de pouvoir démocratique supranational et préfèrerait un simple traité de libre-échange). Toutefois, il est clair que l’exemple français pèsera lourdement sur ceux des pays qui n’ont pas encore voté.

Le choix est donc aujourd’hui non pas dramatique, mais sérieux. Pas dramatique, si le Non l’emporte en France, on en restera tout simplement à l’Europe actuelle qui est très largement profitable pour le néo-libéralisme et tous ceux qui préfèrent la loi du marché à celle de la démocratie. Mais ce sera une occasion perdue pour s’engager sur une bretelle de sortie de l’Europe de Maastricht-Nice. Et c’est cela qui est grave. Si au contraire le Oui l’emporte, alors, l’appétit venant en mangeant, c’est une dynamique de révision du traité et de réforme des lois européennes qui s’enclenchera, avec cet outil remarquable qu’est la pétition d’initiative citoyenne. On voit déjà les premières campagnes communes : pour le bannissement de l’énergie nucléaire et des OGM, pour la citoyenneté de résidence etc... Gageons qu’alors, même les lecteurs de Silence qui auront voté Non seront au coude à coude avec ceux qui, en votant Oui, auront obtenu cet outil pour nos combats communs !




NOTES


[1Dans ce court courrier des lecteurs nous avons omis les références, notamment aux articles des deux traités.

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