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par Michael Adenuga | 6 décembre 2007 Amnistie sans amnésie : Le dispositif d’amnistie de l’accord de Lomé et ses effets sur le Tribunal Spécial pour la Sierra Leone LANGUE ET TRADUCTIONS DE L’ARTICLE : Langue de cet article : français
À propos d’amnésie et d’impunité, je citerai brièvement l’évêque Joseph Humper, Président de la Commission Vérité et Réconciliation de Sierra Leone. « Les conclusions de la Commission imposent à notre nation de regarder son passé. Elles confirment la conviction que le passé ne peut pas, et même ne doit pas être oublié. Oublier ou ignorer le passé signifierait que nous ne saurions pas en tirer les leçons, et courir le risque que tout recommence. En désignant les responsables chez les différentes parties au conflit et les nombreuses violations des droits de l’Homme qui ont été commises, nous produisons de la « redevabilité » et déclarons sans équivoque que nous refusons l’impunité. Avec ce savoir et cette compréhension, nous voulons construire une société qui saura éviter le retour des mêmes causes et des mêmes violences. » Historique Dans la période qui a suivi le conflit [1], la Sierra Leone a connu une expérience unique de justice transitionnelle. Elle a mis en place deux structures parallèles pour traiter des méfaits commis pendant le conflit : la Commission Vérité et Réconciliation, et le Tribunal Spécial pour la Sierra Leone. La mise en oeuvre de ces deux institutions me confirme dans l’idée que plutôt que pardonner et oublier les méfaits et les crimes commis pendant le conflit, le gouvernement et le peuple de Sierra Leone ont choisi d’avoir un registre du conflit, comme moyen de guérison et de réconciliation. En outre, ceux qui seraient supposés les plus gravement responsables ne seraient pas laissés impunis et auraient à répondre de leurs crimes devant un tribunal, le Tribunal Spéciale pour la Sierra Leone. Après un conflit long de dix ans, en l’an 2000, l’Acte pour la Vérité et la Réconciliation a créé la Commission Vérité et Réconciliation. Son principal objectif était d’éclairer la vérité cachée derrière le conflit et d’établir un rapport historique des atrocités commises. Le Tribunal Spécial pour la Sierra Leone avait pour mission de rechercher les principaux responsables supposés des crimes commis sur le territoire de Sierra Leone. Certains se sont inquiétés de la mise en place simultanée de ces deux institutions, craignant que l’efficacité de la Commission Vérité et Réconciliation soit compromise par l’existence même du Tribunal Spécial, du fait que les auteurs d’exactions auraient pu, par crainte des poursuites, hésiter à parler à la Commission. D’autres ont invoqué que dans un pays comme la Sierra Leone, le peuple préfèrerait pardonner et oublier plutôt que voir s’établir les institutions de la justice transitionnelle [2]. Je suis convaincu qu’à la fin d’un conflit, ces différentes réponses peuvent coexister, selon la gravité des crimes commis et le niveau de participation de leurs auteurs. Les principaux responsables des crimes les plus graves ont à en répondre devant un Tribunal. J’évoquerai plus particulièrement l’établissement du Tribunal Spécial pour la Sierra Leone comme réponse au conflit, son rôle dans la poursuite des criminels et dans l’assurance que des crimes aussi graves que les violations du droit humanitaire international ne seraient pas oubliés, glissés sous le tapis ou laissés impunis. Le Tribunal spécial pour la Sierra Leone A la fin du conflit, le gouvernement de Sierra Leone a demandé aux Nations Unies de l’aider à élaborer un mécanisme qui puisse traiter des crimes impunis du conflit. Le Tribunal spécial pour la Sierra Leone a ainsi été créé, le 16 janvier 2002, par un accord entre le gouvernement du Sierra Leone et les Nations Unies. Il fut créé par la résolution 1315 du Conseil de Sécurité, avec le mandat de poursuivre « les personnes qui s’avèreraient porter les plus grandes responsabilités dans les graves violations du droit humanitaire international et de la loi de Sierra Leone, commises au Sierra Leone depuis le 30 novembre 1996 ». La particularité notable de ce Tribunal spécial est que c’est le seul tribunal international pour les crimes de guerre à siéger dans le pays même où se sont déroulés les crimes de sa juridiction. La seule exception concerne Charles Taylor, l’ancien président du Liberia, dont le procès a été transféré d’Afrique de l’Ouest aux Pays-Bas par le Conseil de Sécurité des Nations Unies, pour des raisons de sécurité. Le cas de Charles Taylor est un important précédent du fait qu’un Chef d’Etat en place puisse être inquiété par des poursuites judiciaires. C’est un signal d’alerte, que des chefs d’Etat en exercice, supposés avoir commis de graves crimes, puisse un jour rendre compte pour les crimes graves qu’ils auraient commis durant leur mandat. Le Tribunal spécial, pour en finir avec l’impunité, a déjà mené deux procès qui se sont terminés par des condamnations, celles des trois accusés du procès du Conseil des forces armées révolutionnaires, et celle de deux des trois accusés du procès des Forces de défense civiles (le troisième accusé, Hinga Norman, étant décédé avant le verdict). Le troisième procès, celui du Front uni révolutionnaire, est actuellement dans sa phase de défense. Et on attend, le 7 janvier prochain, la suite du quatrième procès, celui de Charles Taylor [3]. Il faut dire quelques mots du dispositif d’amnistie de l’accord de Lomé signé le 7 juillet 1999 entre le Front uni révolutionnaire et le gouvernement de Sierra Leone. Cet accord visait à garantir l’amnistie générale des protagonistes du conflit sierra leonais. L’article IX de l’accord de paix de Lomé, sur le pardon et l’amnistie, précise que : 1 - Afin d’apporter une paix durable au Sierra Leone, le gouvernement prendra les mesures légales appropriées pour accorder un pardon libre et absolu au Caporal Foday Sankoh. 2 - Après signature du présent accord, le gouvernement de Sierra Leone accordera également un pardon libre et absolu, et la grâce de tous les combattants et collaborateurs, pour tous les méfaits subordonnés à la poursuite de leurs objectifs jusqu’à la signature du présent accord. 3 - Pour consolider la paix et promouvoir la cause de la réconciliation nationale, le gouvernement de Sierra Leone s’assurera qu’aucune action officielle ou juridique ne sera engagée à l’encontre de membres du RUF/SL, des ex-AFRC, ex-SLA ou ex-CDF, pour les faits commis dans le but d’atteindre leurs objectifs, en tant que membres de ces organisations, depuis mars 1991, et jusqu’à la signature du présent accord. En outre, les mesures législatives et autres qui seront nécessaires pour garantir l’immunité des anciens combattants, exilés et autres personnes actuellement hors du pays pour des raisons relatives au conflit armé, seront adoptées pour leur assurer le plein exercice de leurs droits civiques et politiques, en vue de leur réintégration dans le cadre légal. On notera que le représentant spécial du Secrétariat général des Nations Unie s’opposa à cet accord, au motif que la garantie d’amnistie générale et de pardon libre et sans condition ne pouvait s’appliquer au crime de génocide, aux crimes conter l’humanité, aux crimes de guerre et autres violations graves de la loi humanitaire internationale [4]. La Commission Vérité et Réconciliation L’accord de paix de Lomé, signé entre le gouvernement de Sierra Leone et le Front uni révolutionnaire, a donné naissance à la Commission Vérité et Réconciliation, en février 2000. Ses objectifs étaient de : créer un registre historique impartial des violations aux droits de l’Homme ; traiter de l’impunité ; répondre aux besoins des victimes ; promouvoir la guérison et la réconciliation ; prévenir la reprise des violences et des abus. Elle a utilisé de multiples voies : – Enquêtes sur les évènements-clé, les causes, les motifs d’abus ou de violences, et sur les parties responsables. – Organisation d’auditions, parfois publiques, pour entendre les témoignages et les histoires des victimes, des bourreaux des de toutes les autres parties intéressées. – Recueil des dépositions individuelles et des éléments additionnels permettant la compréhension de chaque événement relaté. Dans un esprit de réconciliation nationale, la Commission a été établie pour traiter les questions de violations des droits de l’Homme de 1991 (début du conflit), à 1999 (signature de l’accord de paix de Lomé). On voulait que la vérité soit consignée dans un registre historique impartial des violations des droits de l’Homme et du droit humanitaire international, relatives au conflit armé du Sierra Leone. La Commission a le pouvoir de recueillir toute observation qu’elle considère utile à ses buts, de toute origine que ce soit, y compris des autorités gouvernementales. Elle peut visiter tous les lieux et institutions, et exiger toute information. Elle peut user de semonces, d’auditions individuelles, de groupes ou de membres d’organisation, et peut choisir de le faire à huis clos. Elle peut exiger des déclarations sous serment. Quoi qu’il en soit, chaque information peut être donnée confidentiellement, et la Commission n’a pas à révéler les informations confidentielles. Il y a des limites au pouvoir de la Commission. Contrairement au Tribunal Spécial, elle ne peut pas punir les auteurs de violences. Elle peut seulement proposer des réformes et autres mesures, d’ordre légal, politique, administratif ou autre, nécessaires à la poursuite de sa mission. On note donc que la Commission Vérité et Réconciliation n’est pas un tribunal, et ne peut punir personne. C’est seulement un lieu où chacun raconte ce dont il a été témoin, ou victime, ou ce à quoi il a participé. Cette Commission est un outil important de la justice transitionnelle, parce que cacher la vérité peut être mauvais pour le processus de guérison et de réconciliation. Amnistie L’article 10 des statuts du Tribunal spécial stipule qu’une amnistie déjà accordée à une personne tombant sous la juridiction du Tribunal spécial en vertu des crimes cités aux articles 2 à 4 de ses statuts ne sera pas un obstacle aux poursuites. Ainsi, on verra que le dispositif d’amnistie de l’accord de paix de Lomé n’a pas fait obstacle à des poursuites par le Tribunal spécial. Bien que l’amnistie générale offerte par l’accord de paix de Lomé puisse avoir des avantages, elle n’augure pas bien de l’unité nationale et de la réconciliation. Une telle amnistie signifie que non seulement les auteurs de crimes parmi des plus horribles resteraient libres, mais encore que leurs victimes n’obtiendraient jamais réparation. La justice est une condition préalable à la réconciliation. Si on refuse la justice aux victimes de violation des droits humains, il y a toute probabilité qu’ils se fassent justice de leurs propres mains et s’adjugent réparation. Le pardon ne peut être accordé sans la reconnaissance des crimes, et sans pardon, il ne peut pas exister de pleine réconciliation. Pour s’assurer que les crimes honteux qui ont été commis pendant le conflit de Sierra Leone ne soient pas oubliés, la Commission Vérité et Réconciliation et le Tribunal spécial, dans leurs mandats respectifs, traitent des méfaits et des crimes commis. La jurisprudence du Tribunal spécial Le Tribunal spécial a eu à traiter la question de la légalité du dispositif d’amnistie et de ses effets sur les poursuites qu’il engageait [5] La Cour d’appel du Tribunal spécial a statué solennellement que l’amnistie accordée aux membres des factions combattantes selon le code civil de Sierra Leone et en vertu de l’accord de paix de Lomé n’était pas un obstacle à des poursuites devant le Tribunal spécial. La Cour d’appel a déclaré que la validité du dispositif d’amnistie pour la loi intérieure de Sierra Leone était sans effet sur ses conclusions à elle, car elle n’a à traiter que de crimes internationaux, et à dire si l’amnistie de Lomé empêche le Tribunal spécial d’exercer sa juridiction sur de tels crimes. La Cour d’appel a évalué la portée de l’amnistie dans le droit international et a invoqué le principe de juridiction universelle pour proclamer solennellement qu’un Etat ne peut pas priver un autre Etat de sa compétence à poursuivre des criminels en leur accordant des amnisties. « Un Etat ne peut pas plonger dans l’oubli et la perte de mémoire un crime qui viole le droit international, et que d’autres Etats sont fondés à garder présent à l’esprit et au souvenir ». En conséquence, la Cour d’appel a considéré que les amnisties accordées en Sierra Leone ne pouvaient pas couvrir les crimes justiciables du droit international, puisqu’ils relèvent de la juridiction universelle. « L’obligation de protéger la dignité humaine est une norme péremptoire et a la nature d’une obligation erga omnes [6] ». Accompagnement (Outreach) On doit mentionner un élément clé du travail du Tribunal spécial : l’accompagnement. La Section d’accompagnement travaille à établir un pont entre le Tribunal et la communauté sierra leonaise, visitant tous les districts du pays pour expliquer le travail du Tribunal. Parmi ses activités, elle intervient dans les écoles sur les questions de justice, de responsabilité et de droits de l’Homme, elle forme des intervenants pour des ateliers, organise des séminaires sur le travail du Tribunal spécial, intervient à la radio… Par exemple, le procès de Charles Taylor sera retransmis au Palais de justice de Freetown et sur les radios de la région. Afin d’évaluer l’impact du programme d’accompagnement du Tribunal spécial, un sondage national sur la perception qu’avait le public du Tribunal spécial a été réalisé en 2006 par le département des études sur la paix et les conflits de l’Université de Sierra Leone. Les sondés furent choisis au hasard parmi des catégories prédéterminées, comprenant des leaders d’organisations de la société civile, des dirigeants d’institutions, des fonctionnaires du gouvernement, des professionnels, des enfants et des femmes. Dix mille questionnaires furent renseignés dans tout le pays. Le sondage voulait mettre en lumière les résultats et les défis du Tribunal spécial et de son programme d’accompagnement, et aussi, de façon plus importante, contribuer au débat sur la pertinence des systèmes de justice criminelle transitionnelle. Les résultats les plus importants de ce sondages sont les suivants : 91% de la population pense que le Tribunal spécial contribue à construire la paix au Sierra Leone ; 88% disent que le Tribunal spécial est pertinent au Sierra Leone ; 85 % pensent que les auteurs de crimes de guerre doivent être puni après une grande violence ; 99 % connaissaient l’existence du Tribunal spécial ; 68% disaient que les verdicts du Tribunal spécial ne provoqueraient pas de tensions dans le pays ; et 40% étaient en faveur de la peine de mort comme moyen de traiter l’impunité. Je remercie ici l’Union européenne pour son généreux concours financier au travail de la section d’accompagnement du Tribunal spécial. Conclusion En conclusion, je recommanderai l’expérience unique et riche en succès de la Sierra Leone aux pays émergents d’un conflit. Cette expérience confirme que des institutions de la justice transitionnelle comme la Commission Vérité et Réconciliation peuvent co-exister avec des tribunaux pénaux, et que les dispositifs d’amnistie ne peuvent pas être étendus aux graves crimes conte le droit humanitaire international. Elle confirme aussi que l’amnésie n’est pas une panacée pour traiter les violations graves du droit humanitaire international. Il ne peut pas y avoir de paix sans justice, il ne peut pas y avoir d’authentiques guérison et réconciliation sans qu’aient été poursuivis les supposés principaux responsables d’insignes violations du droit humanitaire international. NOTES [1] Note de la traductrice : De 1991 à 1999, une guerre civile horriblement sanglante et barbare (enrôlement forcés d’enfants soldats, mutilations, esclavage sexuel…), extension du conflit du Liberia voisin pour la conquête des mines de diamants, a ravagé la Sierra Leone. Voir à ce sujet les articles de l’encyclopédie Wikipedia : Guerre civile de Sierra Leone ; Foday Sankoh et Sam Bockarie (les chefs du Front uni révolutionnaire RUF-SL) et Charles Taylor (le président du Liberia). [2] Voir par exemple : Rosalind Shaw, Rethinking Truth and Reconciliation : Lessons from Sierra Leone. L’auteur dit : « Les gens ont parlé de la violence tandis qu’elle était présente, mais une fois qu’elle fût terminée, la cicatrisation a pris une place dans le processus d’oubli collectif (…) L’oubli collectif a été une pierre angulaire de la réintégration et de la cicatrisation des anciens combattants du Nord de la Sierra Leone, enfants et adultes. » [3] Note de la traductrice : Quant à Sam Bockarie et Foday Sankoh, ils sont tous deux morts en 2003, avant d’avoir pu être jugés. [4] Septième rapport du Secrétariat général pour les Nations-Unies, Mission en Sierra Leone, UN Doc. S/1999/836, 30 July 1999, para 7.@ [5] Simon Meisenberg, International Revue of the Red Cross, décembre 2004, vol. 86, n° 856 : « Légalité des amnisties en droit humanitaire international, La décision du Tribunal spécial pour la Sierra Leone sur les anmisties de Lomé ». [6] Erga omnes : à l’égard de toutes les juridictions pénales. |
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