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par Alain Lipietz | 3 septembre 2003

Sur la nouvelle "video’ d’Ingrid Bétancourt
Attention , cet article est relatif à la video de 2003 !! Pour celle de 2007, voir ici
La cassette vidéo communiquée par les FARC à la presse colombienne a suscité joie et surprise à la fois. On n’avait jamais vu des ravisseurs autoriser leur otage à appeler l’armée à venir la délivrer ! En réalité, le double message d’Ingrid et des FARC est bien plus complexe.

Rappelons les données du problème. Les FARC prétendaient utiliser des otages civils (y compris des élus) comme monnaie d’échange pour récupérer leurs prisonniers militaires et obtenir une nouvelle "zone de détente". Cette revendication était révoltante. Le principe même des prises d’otages civils est criminel. La capture de représentants du peuple ou d’envoyés de paix est plus qu’un crime, c’est une faute. Cela vide de contenu l’idée même d’émissaire, de médiateur. C’est pourquoi, après l’enlèvement d’Ingrid, le groupe des Verts au Parlement européen (dont moi-même en particulier) ne s’était plus opposés au classement des FARC comme force terroriste. Nous avions affirmé que nous ne prônerions plus une médiation entre les FARC et le gouvernement colombien, tant que notre camarade Ingrid n’était pas libérée unilatéralement, et rendue au mouvement Vert mondial dont elle est l’une des plus illustres représentantes (voir mon analyse "visite en Colombie et au Venezuela") .

Cette position de principe devait cependant être conciliée avec le légitime souci de faire libérer Ingrid le plus rapidement possible. D’où la proposition de la famille d’Ingrid et du Partido Verde-Oxygeno : un échange "humanitaire", manière dépolitisée d’accéder partiellement à la logique cynique de l’échange. Position que les Verts du reste du monde avait respectée. Comme ils respectaient les appels de la famille et du parti d’Ingrid à ne pas tenter une libération en force, le tragique échec d’Urao (où deux otages très importants avaient été tués) montrant que l’armée colombienne en est tout à fait incapable.

Depuis des mois, Juan Carlos Lecomte, mari d’Ingrid, me confiait l’embarras de sa famille, de ses amis politiques : ils souhaitaient avoir une nouvelle cassette vidéo pour avoir la preuve qu’Ingrid était toujours vivante, mais ne voulaient pas réclamer cette cassette pour ne pas faire pression sur Ingrid. Ils se doutaient bien en effet que les ravisseurs ne communiqueraient une telle cassette que si leur otage acceptait d’y défendre leur exigence d’un échange "politique", et ils devinaient qu’Ingrid y répugnerait.

Ils avaient raison, et la communication tardive de cette cassette au contenu complexe témoigne d’un long bras de fer entre des ravisseurs embarrassés et une otage à la lucidité politique et au courage intraitables. Que dit en effet Ingrid ? Pourquoi les ravisseurs ont-ils préféré le lui laisser dire ?
1. Ingrid appelle à un échange des prisonniers militaires, "obligation morale pour un État démocratique".
2. Elle refuse "par principe" l’usage d’otage civils comme monnaie d’échange.
3. Elle appelle à leur libération "unilatérale", en tant que geste "humanitaire" et "initiative pour la paix".
4. Faute de quoi, il reviendrait à l’armée de libérer en force les civils, mais "un sauvetage doit être réussi ou ne pas avoir lieu".

Ce qui est stupéfiant dans cette déclaration, c’est la rigueur intellectuelle, politique et morale dont elle témoigne. Ingrid y défend une position impeccable, comme s’il ne s’agissait pas de ses propres intérêts. Elle rejoint la position que le Groupe Vert européen défendait depuis le début : sa libération ne peut être qu’unilatérale. Ce serait à la fois conforme au droit international humanitaire, et un signe, de la part des FARC, de leur volonté de revenir aux négociations de paix.

En revanche, l’échange des prisonniers militaires est un "classique" du droit de la guerre. Au contraire, accepter l’échange d’otages civils serait encourager un cycle infernal. Enfin, un gouvernement et son armée ont bien l’obligation de tenter de libérer leurs citoyens injustement privés de leur liberté, y compris par la force, mais il s’agit là d’une obligation de résultat : ils ne peuvent pas faire tuer des otages "dans leur intérêt" !

En laissant passer un tel message, les FARC ont dû faire une importante concession aux principes démocratiques, ce qui traduit à la fois la fermeté d’Ingrid, la volonté des FARC de renouer le dialogue avec le reste du monde à travers elle, et une prise de conscience de leur total isolement sur ce point de droit humanitaire international, y compris dans la gauche latino-américaine.

Cela dit, cette concession de principe n’a guère de conséquence pratique. L’"habillage théorique" du schéma d’Ingrid, s’il est adopté, ne change pas le résultat final : tous les prisonniers seraient libérés de part et d’autre. Quant à son appel à une opération militaire réussie, il s’agit tout aussi bien d’une condamnation de l’opération ratée d’Urao, et elle a dû faire bien rigoler les FARC.

Le 1er septembre, dans une interpellation orale en séance plénière du Parlement européen, j’ai appelé la Commission, le Conseil et le Parlement européen à se caler sur la position d’Ingrid.
Beaucoup de politiques et de journalistes avaient autrefois mis en doute la valeur politique des engagements de notre camarade. On allait jusqu’à l’accuser de n’avoir fait que rechercher sa propre publicité en volant au secours du maire (Vert) de San Vincente Del Caguan), se jetant ainsi volontairement dans la gueule du loup.

Les vrais personnalités se révèlent ou mûrissent dans l’épreuve. Par cette cassette, Ingrid se révèle digne de l’affection et du soutien que lui accorde le mouvement Vert mondial, et l’une des plus nobles figures de la politique colombienne.




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