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par Alain Lipietz , Gaby Kuppers , Caroline Lucas , Frithjof Schmidt , Carl Schlyter , Martin Koehler | 23 septembre 2008

Une Europe globale et verte
Coopérer avec le monde pour devenir l’économie la plus durable
La stratégie « Une Europe compétitive dans une économie mondialisée » : un projet appartenant au passé

A l’automne 2006, la DG "Commerce" de la Commission Européenne inaugurait une nouvelle stratégie en matière de commerce international, intitulée « Une Europe compétitive dans une économie mondialisée ». Cette nouvelle stratégie renonçait essentiellement à l’approche multilatéraliste de l’OMC pour la libéralisation progressive des échanges. A la place, elle privilégiait un bilatéralisme agressif visant à obtenir à tout prix une pénétrabilité mutuelle des économies.

Depuis 2007, cette stratégie constitue la « dimension externe » de la stratégie communautaire de Lisbonne, qui vise à faire de l’UE « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde ». La conclusion d’accords avec les économies les plus compétitives du monde a pour finalité de créer un marché sans entrave pour les biens, les services et les capitaux, obéissant au principe de libre concurrence.

La pression compétitive passe dès lors au niveau mondial, tout en s’intensifiant à l’échelle communautaire. Cette politique va bien au-delà des aspects commerciaux : elle concerne tous les aspects économiques et sociaux de la vie en Europe, ainsi que les questions de genre.

Cette nouvelle stratégie arrive à un moment où prendre des mesures urgentes pour lutter contre le changement climatique doit être considéré comme un impératif fondamental de toute activité politique. Or, la stratégie « Une Europe compétitive dans une économie mondialisée » ne répond pas à cet objectif ; elle constitue même un sérieux obstacle en la matière.

 Accélérer les processus de libéralisation – au détriment de tous les impératifs environnementaux

Le but de la stratégie « Une Europe compétitive dans une économie mondialisée » est d’ouvrir les marchés étrangers plus vite que dans le cadre de l’OMC. Elle vise notamment à garantir à l’UE un accès sans entrave à toutes les ressources naturelles, ce qui poussera vraisemblablement toutes les économies industrielles à se livrer une course effrénée pour se voir offrir les meilleures conditions d’accès aux pays riches en ressources. Pourtant, la lutte contre le changement climatique nécessite l’approche contraire : l’accès aux ressources doit être négocié au niveau multilatéral afin de garantir équité et sécurité, et inciter les pays industrialisés à réduire leur consommation de ressources, et même offrir des compensations aux pays les plus pauvres qui laissent sous terre leurs ressources naturelles.

L’ouverture des marchés étrangers (selon la nouvelle stratégie) devrait aller au-delà d’une diminution des droits de douane, et viser à ce que les entreprises actives sur les marchés étrangers soient mises sur un pied d’égalité avec les entreprises nationales. Les règles et normes qui sont considérées par ces entreprises comme des obstacles aux échanges sur les marchés hôtes devraient être abandonnées, ou alignées sur les règles de leurs marchés nationaux, et une consultation avec le monde des affaires deviendrait obligatoire avant la mise en place de toute nouvelle règle, tant dans l’UE que dans les pays avec lesquels des accords sont conclus. Cela représenterait un obstacle de taille à l’instauration des normes environnementales plus exigeantes qui doivent être prises de toute urgence afin de lutter contre le changement climatique, dans les pays partenaires comme dans l’UE.

En outre, "l’ouverture des marchés" devrait inclure des questions plus larges telles que les marchés publics, la politique de concurrence, la liberté des investisseurs, et la délivrance et la propriété des services de base. S’ensuit une difficulté sensiblement accrue pour les pouvoirs publics, désireux de mener des projets à grande échelle afin de relancer les transformations de nos sociétés indispensables pour mieux répondre au changement climatique.

 Un refus de partager les connaissances dans la création d’une économie "zéro- carbone"

En fait, tout ne devrait pas circuler librement, selon la stratégie « Une Europe compétitive dans une économie mondialisée ». Les connaissances – ces biens qui circulent d’eux-même car leur utilisation ne coûte rien à personne –seraient appropriés par une firme et commercialisés en tant que « propriété intellectuelle », dès qu’une idée serait en passe de devenir le concept d’un produit potentiellement commercialisable. Les grandes entreprises procèdent ainsi afin de rétribuerr les inventeurs, de commercialiser leurs idées et de s’assurer des bénéfices pendant vingt ans. Certes la protection de la propriété intellectuelle est essentielle pour que les petites et moyennes entreprises participent à la recherche et au développement. Mais il y a lieu de trouver le juste équilibre permettant de répandre les nouvelles technologies dans le monde, par exemple quand il s’agit des applications qui nous rapprochent d’une économie zéro-carbone. Lutter contre le changement climatique implique de développer des technologies économes en énergie et en ressources ou produisant de l’énergie renouvelable.

L’Europe, dans sa stratégie « Une Europe compétitive dans une économie mondialisée », souhaite que le monde entier achète ces technologies dans l’UE, ou que les entreprises des autres pays versent des droits et des redevances pendant vingt années pour les produire. Cela pénalise essentiellement les pays les plus pauvres, qui ont le plus besoin de passer rapidement à des technologies écologiques, et à grande échelle. Par ailleurs, cela les dissuade d’adhérer à l’accord climatique post-Kyoto.

 La stratégie « Une Europe compétitive dans une économie mondialisée » à l’œuvre dans le monde entier

En avril 2007, l’UE a entamé des négociations bilatérales pour la conclusion d’accords de libre-échange (ALE) avec l’ANASE, la Corée et l’Inde, conformément aux objectifs agressifs fixés dans la stratégie « Une Europe compétitive dans une économie mondialisée ». Les pays asiatiques sont en effet les premiers pays concernés par la nouvelle stratégie commerciale de l’UE.

Cependant, cette stratégie sera vraisemblablement le modèle suivi dans les négociations avec d’autres pays et régions. L’UE applique également son approche « plus rapide, plus poussée et plus globale » de l’ouverture économique dans les négociations d’ALE en cours avec les pays de la région du Golfe, et le fera probablement aussi dans le cadre des négociations avec la Russie et l’Ukraine. De plus, les « accords de partenariat économique » (APE) conclus avec les pays pauvres d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) suivent cette stratégie.

Conformément aux objectifs de cette stratégie, l’UE a également entamé une série de négociations dans le but de revoir les chapitres commerciaux des « accords de partenariat et de coopération » (APC) existants conclus avec des pays tiers, comme c’est le cas avec la Chine, l’Amérique centrale ou la communauté andine. Les APC ne sont de fait que des ALE déguisés.

 « Ne faites pas de mal aux gens et à l’environnement » : le bon côté de l’UE

La stratégie « Une Europe compétitive dans une économie mondialisée » prévoit certes que tous les nouveaux ALE ou accords commerciaux des APC contiendront un chapitre consacré au « développement durable ». Les partenaires commerciaux s’engagent à respecter les principales normes sociales et du travail définies par l’Organisation internationale du travail (OIT), les conventions internationales les plus importantes en matière d’environnement et quelques normes minimales de « travail décent ». Cela pourrait représenter un grand pas en avant vers une plus grande équité dans les relations commerciales, si l’on pouvait convaincre les gouvernements des pays partenaires, eux-mêmes influencés par le monde des affaires, d’accepter un tel chapitre... Ce qui n’a pas été le cas dans les négociations en cours avec la Corée, l’Inde, l’ANASE et le Conseil de coopération du Golfe.

Quoiqu’il en soit, il y a un « mais ». Le recours à ces normes ne serait pas obligatoire, simplement encouragé. Un autre « mais », plus important celui-ci, concerne la stratégie globale de ces nouveaux ALE, ou chapitres commerciaux des APC, qui impose moins de restrictions et renforce la concurrence dans l’exploitation des ressources naturelles et l’inondation des marchés en produits de moins en moins chers. Faute de règles strictes et contraignantes, les "mesures sociales et environnementales prioritaires pour le commerce" ne mettront pas un terme à la course au moins-disant, fortement induite par les ALE eux-mêmes. Une telle notion n’est qu’un rêve. Les chapitres consacrés au « développement durable » des nouveaux ALE ne sont que de la poudre aux yeux permettant de vendre aux populations des ALE nuisibles pour leur société et leur environnement.

Le problème fondamental et primordial, c’est que la véritable durabilité sociale et environnementale est le produit de la démocratie économique de chaque pays et de la présence d’un espace politique permettant à un pays de suivre sa propre voie de développement. Aucun raccourci ne mène à la démocratie économique. Pourtant, cet espace politique, en particulier dans les pays les plus pauvres, est de plus en plus réduit par les ALE, qui viennent s’ajouter aux impacts des réglementations existantes de l’OMC.

 Les ALE sont réciproques : la concurrence totale nous concerne aussi

L’ouverture économique que l’UE exige de ses partenaires a une contrepartie : elle-même doit être prête à s’ouvrir. C’est ici que la politique commerciale internationale devient une affaire interne de l’UE. Les ALE influeront considérablement sur l’évolution du marché intérieur, sur la mise en œuvre de la stratégie de Lisbonne et sur l’avenir de l’Europe sociale. Ils exerceront un poids même sur notre manière de décider des normes et règles pour instituer une économie européenne qui allie bien-être et justice sociale, égalité des genres et durabilité environnementale. Or, dans les services de base, les marchés publics ou les règles d’investissement, l’EU demande à ses partenaires des ALE de procéder à une libéralisation plus grande que celle que ses propres États membres étaient jusqu’à présent disposés à offrir à leurs partenaires communautaires ! L’objectif agressif de la "compétitivité mondiale" est également une tentative directe de pousser à l’extrême un projet de concurrence interne totale, sous le couvert de la stratégie de Lisbonne. Or, la politique de l’UE est censée être pleinement cohérente avec les principes de développement durable formulés dans la stratégie de Lisbonne elle-même, dans la stratégie de Göteborg et dans les plans encore plus ambitieux de réduction des gaz à effets de serre annoncés par le Conseil de l’UE en 2007. Mais ces priorités font de plus en en plus les frais de l’objectif prédominant de concurrence avant tout.

  Dans l’intérêt de qui ?

Les échanges mondiaux obéissent de plus en plus à la volonté des grandes multinationales : exploiter, produire et vendre là où les bénéfices sont les plus grands pour leurs actionnaires. Les entreprises établies dans l’UE jouent un rôle dans cette délocalisation mondiale de l’activité. La stratégie « Une Europe compétitive dans une économie mondialisée » sert leurs intérêts – veiller à ce que les règles de concurrence et d’investissement soient à leur avantage, quel que soit leur lieu d’activité –, au détriment des entreprises qui ont jusqu’à présent maintenu leurs emplois et la création de valeur ajoutée en Europe. Les normes européennes du travail, et ce qui restait du modèle social européen seront les véritables victimes, si encore plus d’entreprises sont encouragées à organiser leurs activités au niveau mondial, ou si les règles européennes limitant la concurrence sont nivelées vers le bas, vers les normes les plus basses des règles mondiales.

Le perdant est aussi l’environnement, parce que les règles exigées par cette stratégie communautaire dans les négociations des ALE avantagent les actionnaires, non les acteurs. Les investisseurs veulent pouvoir déplacer leurs capitaux et leurs bénéfices en toute liberté à travers les frontières, mais sans payer de taxes, par exemple pour assainir le sol avant de fermer une usine dans un pays hôte et délocaliser. Ils refusent d’être pleinement responsables de tout dommage causé à l’environnement.

En résumé, la stratégie « Une Europe compétitive dans une économie mondialisée » ne fait que répéter des recettes obsolètes et non durables de libéralisation et de dérégulation économique. C’est un mode de penser passéiste inadapté aux défis d’aujourd’hui en matière de changement climatique et de justice sociale. Le groupe Verts/ALE s’oppose à cette nouvelle stratégie. Il faut la remplacer par un modèle très différent d’excellence pour l’Europe sur le plan mondial : une Europe globale et verte.

 La vision des Verts : coopérer avec les autres pays du monde, prendre les devants pour devenir l’économie la plus durable

La politique économique doit tenir compte de nombreux facteurs en visant le véritable bien-être. La « compétitivité mondiale » n’est qu’un aspect de la politique économique, et certainement pas le plus important à l’heure actuelle, ni pour l’UE ni pour le reste du monde. Selon les indicateurs traditionnels, la position générale de l’UE en matière de compétitivité est bonne. C’est pourquoi nous devons, dès que possible, remplacer l’objectif de la concurrence mondiale par celui de coopération mondiale, et examiner ensemble la meilleure manière d’adapter nos modèles économiques afin de lutter efficacement contre le changement climatique et la dégradation de l’environnement. Nous devons coopérer avec les autres pays du monde pour organiser au mieux notre activité économique, réduire notre consommation de ressources et renforcer la satisfaction sociale, sans se limiter au consumérisme :

- La stratégie de Lisbonne doit être revue dans les détails et rééquilibrée, mise en œuvre d’une manière propre à conserver et renforcer la valeur de notre modèle social.

- La production locale pour la consommation locale doit être protégée et encouragée, par exemple grâce à la différentiation dans les régimes fiscaux et en mettant un terme à la règle illimitée des "avantages compétitifs" et de franchise de droits et de taxes pour les importations. Taxer les moyens de transport gourmands en énergie est aussi une solution, afin d’internaliser les coûts environnementaux du transport et donc inciter à économiser davantage les ressources et à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Le statu quo, c’est une division mondiale du travail, l’Asie devenant la réserve de main-d’œuvre pour les biens de consommation, l’Amérique latine le producteur alimentaire du monde, l’Europe le prestataire de service, les États-Unis le centre du pouvoir financier (ainsi qu’un producteur d’armes) et l’Afrique la source de matières premières bon marché. Une telle division du monde n’est absolument pas durable et suscite des conflits.

- Les transferts et la coopération dans le domaine de la technologie sont indispensables afin que l’exploitation et la transformation locales des ressources soient des options plus adaptées pour le plus grand nombre de pays. Nous devons dès lors rééquilibrer les régimes de propriété intellectuelle, en tenant compte des objectifs en matière de coopération technologique.

- Il faut se fixer des objectifs ambitieux en matière d’efficacité énergétique et de ressource, et investir dans les énergies renouvelables aux niveaux local, national et communautaire en stimulant l’innovation technologique. L’approche « premier arrivé, premier servi » qui prédomine dans la libéralisation des marchés de l’énergie et des ressources n’est absolument pas durable.

- Les modèles économiques reposant sur le travail en réseau, avec un haut niveau de transferts de technologies sont les mieux placées pour adapter de manière flexible leurs structures de production à de nouveaux besoins. Les grands conglomérats et les multinationales organisées de manière hiérarchiques appartiennent au passé et leur survie ne doit pas être encouragée.

- Les services publics financés équitablement et distribués gratuitement sont le meilleur outil de production de biens communs, aux niveaux communautaire et mondial.

- Les échanges devraient être "qualifiés" afin de soutenir l’équilibre optimal, du point environnemental et social, entre exploitation locale et mondiale. Tous les accords de libre-échange doivent contenir des dispositions contraignantes de respect des droits de l’homme et des considérations sociales et environnementales, et d’engagement envers les principes du travail décent.

- Il est indispensable que nous préservions un espace politique autonome, celui que constitue l’UE et ceux de nos partenaires, afin de faciliter la prospection de nouvelles voies vers le développement économique durable. Les règles sociales et environnementales ne doivent pas être considérées comme des obstacles aux échanges, et aucun partenaire commercial ne devrait être contraint à respecter les règles en matière de libéralisation des marchés publics, de liberté des investisseurs ou de libéralisation des services.



À noter :

PHoto KaCey97007, sous licence CC.

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